Cette année, l'épisode climatique risque d'être aussi catastrophique que celui de 1997-1998, qui avait fait 22.000 victimes et 33 milliards de dollars de pertes économiques.
Explications et prévisions d'un phénomène planétaire.
Par Mathilde Golla
Le 28 janvier 2016
Un phénomène climatique naturel
Synonyme d’inondations et de sécheresses record sur une grande partie du globe, El Niño est, à l'origine, un courant océanique.El Niño, «l’enfant Jésus» au sens littéral du terme, désigne, à l'origine, un courant côtier saisonnier chaud au large du Pérou et de l'Équateur mettant fin à la saison de pêche. «Lors des périodes normales, les vents d’est - les alizés - repoussent les eaux chaudes de l'Amérique du Sud vers l’Océanie. Des eaux froides remontent alors le long des côtes du Chili et stabilisent la masse d’air», explique Cyrille Duchesne, météorologue pour Météo Consult.«Lorsque les alizés faiblissent, les eaux se réchauffent sur la partie Est du Pacifique. Une inversion des courants s'opère alors. D’un côté, les eaux chaudes s’évaporent et forment des cumulonimbus porteurs de fortes pluies orageuses qui vont se déverser sur une partie de l’Amérique du Sud. A l’inverse, de l’autre côté du Pacifique, les eaux plus froides entraînent une plus grande stabilité des masses d’air».
Résultat : les moussons sont retardées dans certaines parties du globe, ce qui entraîne de fortes sécheresses et des feux de forêts.
Des conséquences dévastatrices
Certaines parties de la planète connaissent des inondations sans précèdent tandis que d'autres vivent d'intenses sécheresses.Les effets d’El Niño dépassent la région pacifique et ce phénomène «a une conséquence à l’échelle planétaire», explique Jean Jouzel, ancien vice-président du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. El Niño provoque de nombreux bouleversements climatiques car les océans et l’atmosphère sont en continuelle interaction.Le phénomène est ainsi à l'origine d'anomalies de vent. En période d'épisode intense, les typhons sont déroutés de leurs trajectoires habituelles et les pluies tropicales et les moussons sont retardées. Aux latitudes tempérées, les effets sont les plus importants en hiver : les températures ont tendance à être plus élevées que la moyenne.Des épisodes cycliquesD'après l’indice d’oscillation austral, qui prend en compte les anomalies de la pression à Tahiti et à Darwin (Tahiti représente les hautes pressions subtropicales de l'est du Pacifique et Darwin les basses pressions équatoriales du nord de l'océan Indien et de l'Indonésie), les épisodes apparaissent tous les 2 à 7 ans. Leur durée est de 12 à 18 mois.
2016, la planète se prépare au pire
Les anomalies météorologiques provoquées par El Niño devraient se poursuivre au moins jusqu’au printemps.2015, les premiers effetsEl Niño en 2015 : les dégats du Paraguay à l'Indonésie
Au Paraguay, en Argentine, au Brésil et en Uruguay, les excédents de pluie ont entraîné des glissements de terrain et des inondations. Près de 170.000 personnes ont dû être évacuées.
Aux États-Unis, des tornades ont fait des dizaines de victimes depuis le 26 décembre. De fortes pluies se sont également abattues dans le sud de la Californie, causant par endroits inondations et coulées de boue. Sur la côte Est américaine, les températures sont particulièrement douces, comme à New-York où il a fait plus de 20°C en décembre. Au Canada aussi, l’hiver est particulièrement clément tout comme au pôle Nord où les températures ont dépassé la barre de 0°C en janvier, plus de 20 degrés au-dessus des normales de saison. En Indonésie, le climat sec et chaud exacerbé par El Niño depuis le mois de novembre provoque des feux de forêts et de la fumée toxique à cause des incendies.
Un lien avec le réchauffement climatique
El Niño exacerbe le processus de réchauffement climatique en participant à la hausse des températures, affirment de concert les météorologues. «El Niño et le changement climatique provoqué par l’homme peuvent interagir et influer l’un sur l’autre de manière totalement inédite», estime ainsi Michel Jarraud, secrétaire général de l’Organisation météorologique mondiale. «El Niño peut accentuer des tendances climatiques qui apparaissent déjà du fait du réchauffement. De même, le réchauffement climatique renforce l’impact d’El Niño», ajoute l’ONG Oxfam.
Des prévisions alarmantes pour 2016
Les experts prévoient des inondations sans précédent et d'importantes sécheresses, préjudiciables aux récoltes et source d'insécurité alimentaire.Cette année, toute la région bordant le Pacifique, la zone tropicale et la zone équatoriale, va être le théâtre d’évènements climatiques extrêmes. De fortes précipitations sont à prévoir dans le Sud et l’Est des États-Unis et sur la côte Est de l'Amérique du Sud. «Le trimestre devrait être humide sur le Mexique et le sud des États-Unis d'une part et sur l'extrême sud du Brésil, l'Uruguay, et l'Argentine d'autre part, indique Météo France. De pluies excédentaires sont également attendues sur l'Est de l'Afrique, indique les météorologues.Toute la région bordant le Pacifique
va être le théâtre d’évènements climatiques extrêmes
A l'inverse, d'importantes sécheresses devraient s'abattre dans le Sud de l'Afrique, en Inde, en Australie et en Indonésie. L’Asie du Sud, l’Australie et le Sud de l’Amazonie, sont également exposées à «un très fort risque d’incendies pour 2016», précise une agence de la Nasa.Dans les régions qui ne touchent pas directement le Pacifique, comme l’Europe, la péninsule arabique ou la Russie, les liens avec El Niño sont moins directs. L’Europe du Nord devrait toutefois connaître d‘importantes précipitations et l'inverse devrait se produire sur l'Afrique du Nord et la Méditerranée, souligne Météo France. Les météorologues tablent par ailleurs sur une hausse générale des températures dans ces zones.Dix millions de personnes touchées par la malnutritionDe l'Inde aux Philippines, les récoltes de riz sont menacées. La récolte de café en Indonésie pourrait baisser de 10%, celle d'arabica au Brésil sera la plus faible depuis six ans. La culture de maïs dans le Sud de l'Afrique est également en danger. Ainsi, l’ONG Oxfam, qui qualifie l’épisode El Niño actuel «de crise de dimension mondiale», estime que les conséquences risquent d'être «tragiques».« Les plus vulnérables, les enfants des pays pauvres,
vont être les plus touchés »
Selon elle, au moins dix millions de personnes sont ou vont être confrontées à des problèmes de malnutrition. Le PAM (programme Alimentaire des Nations Unies) estime quant à lui à 14 millions le nombre d'individus qui pourraient souffrir de famine cette année, principalement dans le Sud de l'Afrique. Au total, El Niño pourrait affecter quelque 60 millions de personnes, surtout dans les régions tropicales, alerte de son côté l'OMS.
Les plus vulnérables, les enfants des pays pauvres, vont être les plus touchés. Les organisations appellent ainsi à un «soutien international urgent» pour aider les pays les plus menacés: la Somalie, le Kenya, le Tchad, la Tanzanie, le Nicaragua, le Honduras et le Pérou. L’Ethiopie devrait également faire face à une «situation d’urgence majeure» jusqu’en juin 2016. Le Soudan du Sud, le Zimbabwe pourraient également être touchés par un manque de pluies et des problèmes «d’insécurités alimentaires». La Papouasie-Nouvelle-Guinée est aussi particulièrement concernée par ces risques, indique Oxfam. Pour prévenir les conséquences dans les sept pays les plus à risque, 76 millions de dollars seront nécessaires, affirme l'OMS. Le courant El Niño «est notre plus grande préoccupation actuellement», a souligné Rick Brennan, directeur de la gestion des risques d'urgence à l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
va être le théâtre d’évènements climatiques extrêmes
vont être les plus touchés »