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Le vrai ou faux de la réforme de l’orthographe

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

orthographe réformeA moins de vous être exilés sur une autre planète ces derniers jours, vous ne pouvez pas être passés à côté de la polémique autour de la réforme de l’orthographe. « Mort de l’accent circonflexe », des oignons/ ognons et autre nénuphar/ nénufar pour les exemples les plus couramment cités, plus de 2000 mots sont concernés par un relooking que l’on apprécie ou pas.  Cette semaine, les réseaux sociaux se sont enflammés contre ce crime de lèse-langue et les internautes ont brandi leurs banderoles « Touche pas à mon accent circonflexe » ou, pour être dans l’air du temps, «  Je suis circonflexe »  (On notera ici le sens des proportions entre la mort de personnes et des questions d’orthographe, bref…).

Ce qui m’interpelle particulièrement dans ce que j’ai pu lire cette semaine, ce n’est pas de constater que les français sont attachés à leur langue – c’est une excellente nouvelle- ou que les gens soient en majorité contre,  mais d’avoir vu circuler des affirmations aussi étonnantes qu’abracadabrantesques au sujet de ces modifications qui seraient un prélude à une sorte de cataclysme linguistique qui aboutirait à terme à la mort de la langue française.

Une réforme de… 1990

Première intox lue çà et là: la dite réforme serait le fruit d’une lubie ministérielle récente. En réalité, l’origine de cette polémique vient de l’annonce des éditeurs de manuels scolaires qui, dès la rentrée 2016, ont décidé d’appliquer la réforme en même temps que les nouveaux programmes scolaires. Or, celle-ci n’est pas nouvelle puisqu’elle a été rédigée il y a 26 ans par l’Académie française  (ces « vieux croûtons décrépis », comme j’ai pu lire, et qui ne sont « que » des gens de lettres), garante de notre belle langue depuis le 17e siècle. Lorsqu’on consulte les documents, il est bien spécifié qu’on ne nous demande pas du jour au lendemain de renoncer à notre manière d’écrire. (La preuve est que peu de monde connaissait cette réforme avant cette semaine.)

« Il ne peut être évidemment demandé aux générations antérieures de désapprendre ce qu’elles ont appris, et donc l’orthographe actuelle doit rester admise. » Journal officiel de la République Française.

Donc pas de panique ! On pourra toujours utiliser l’orthographe durement acquise à l’école, personne ne viendra nous taper sur les doigts à coups de règle puisque les nouvelles graphies ne remplacent pas les précédentes, mais sont simplement admises.

Le fantasme de la langue immuable

Les changements peuvent ne pas plaire. J’ai moi aussi beaucoup de mal avec certaines propositions. Mais qui manifeste contre en arguant la mort de la langue française méconnaît de toute évidence son histoire, faite de créations, d’emprunts à d’autres langues, mais aussi de réajustements, de contradictions et d’adaptations. Un petit rappel historique n’est sans doute pas inutile.

C’est une évidence, mais notre français est en perpétuelle évolution depuis la conquête de la Gaule par ce cher Jules et les invasions germaniques du Ve siècle. Notre français est issu principalement de l’oral qui, au fil des siècles, a supplanté la langue écrite officielle qu’était le latin. Depuis 842 ( date du premier texte officiel écrit en langue « romane »), la langue n’a cessé d’évoluer, influencée par l’usage oral.

Un exemple, tiré du Serment de Strasbourg écrit en 842.

En français du XIIe siècle :

 …si salverai jo cest mien fredre Charlon, et en aiude, et en chascune chose, si come on par dreit, en ço que il me altresi façet.

En français du XVe siècle :

…si sauverai je cest mien frere Charle, et par mon aide et en chascune chose, si, comme on doit par droit son frere sauver, en ce qu’il me face autresi.

En français moderne :

…je soutiendrai mon frère Charles de mon aide et en toute chose, comme on doit justement soutenir son frère, à condition qu’il en fasse autant.

Le préambule de la réforme de 1990 précise d’ailleurs que « Ces rectifications ne prétendent pas à rendre l’orthographe simple et rationnelle : d’aucuns s’en affligeront, d’autres s’en réjouiront. On rappellera seulement que, si la logique doit régir la syntaxe, c’est beaucoup plus l’usage et les circonstances historiques ou sociales qui commandent au vocabulaire et à sa graphie. »

Autrement dit, la réforme ne touche pas la grammaire, mais le vocabulaire et l’orthographe davantage liés à l’usage oral. « L’orthographe à Kévin est catastrophique, «  le chien à ma voisine », « aller au coiffeur » «  Malgré que je vous explique », « si je voudrais » … seront toujours faux !  Et pour ceux et celles qui sont toujours persuadés que ces nouvelles graphies proposées appauvrissent la langue, sachez que le fameux « oignon » s’écrivait au XIIIe siècle oinun ou oingnun et que la graphie  nénufar  existait également à cette époque aux côtés de son comparse nénuphar.

L’accent circonflexe qui cache la forêt…

Vous rappelez-vous de la collection de la bibliothèque rose avec ses couvertures cartonnées et ses feuilles jaunissantes ? Et notamment des aventures du Club des cinq ? Si oui, vous vous rappellerez peut-être de la traduction soignée que les éditeurs français proposaient des romans d’Enid Blyton. Je vous laisse donc admirer le massacre effectué l’année dernière sur les rééditions de 2014. A gauche, l’ancienne traduction, à droite, la nouvelle proposée depuis l’année dernière. Exit le passé simple trop compliqué, à mort le « nous » trop guindé, et bonjour le « on » impersonnel et le présent qui envahit une grande majorité des romans jeunesses.

le club des cinq

En définitive, le problème majeur n’est pas de savoir si on doit écrire « oignon » ou « ognon », mais que 12 élèves de 4e (j’ai testé pour vous, pas plus tard qu’hier) sur 26 l’écrivent « onion » (parce que ça ressemble à « Minions » sans doute) et que 10 ne savaient pas ce qu’était un nénufar / nénuphar. Quant à l’accent circonflexe, à chaque fois, une main se lève pour demander si c’est bien le « chapeau pointu ». Il est là, le vrai appauvrissement de la langue et de la culture. Dans cette simplification à l’extrême de certains ouvrages destinés aux enfants et dans les nouveaux programmes scolaires utopiques qui se sont succédé  ces dernières années avec une inefficacité flagrante. 

Mais tout cela est une autre polémique…

Sources :  Ici et 

orthographe réformeA moins de vous être exilés sur une autre planète ces derniers jours, vous ne pouvez pas être passés à côté de la polémique autour de la réforme de l’orthographe. « Mort de l’accent circonflexe », des oignons/ ognons et autre nénuphar/ nénufar pour les exemples les plus couramment cités, plus de 2000 mots sont concernés par un relooking que l’on apprécie ou pas.  Cette semaine, les réseaux sociaux se sont enflammés contre ce crime de lèse-langue et les internautes ont brandi leurs banderoles « Touche pas à mon accent circonflexe » ou, pour être dans l’air du temps, «  Je suis circonflexe »  (On notera ici le sens des proportions entre la mort de personnes et des questions d’orthographe, bref…).

Ce qui m’interpelle particulièrement dans ce que j’ai pu lire cette semaine, ce n’est pas de constater que les français sont attachés à leur langue – c’est une excellente nouvelle- ou que les gens soient en majorité contre,  mais d’avoir vu circuler des affirmations aussi étonnantes qu’abracadabrantesques au sujet de ces modifications qui seraient un prélude à une sorte de cataclysme linguistique qui aboutirait à terme à la mort de la langue française.

Une réforme de… 1990

Première intox lue çà et là: la dite réforme serait le fruit d’une lubie ministérielle récente. En réalité, l’origine de cette polémique vient de l’annonce des éditeurs de manuels scolaires qui, dès la rentrée 2016, ont décidé d’appliquer la réforme en même temps que les nouveaux programmes scolaires. Or, celle-ci n’est pas nouvelle puisqu’elle a été rédigée il y a 26 ans par l’Académie française  (ces « vieux croûtons décrépis », comme j’ai pu lire, et qui ne sont « que » des gens de lettres), garante de notre belle langue depuis le 17e siècle. Lorsqu’on consulte les documents, il est bien spécifié qu’on ne nous demande pas du jour au lendemain de renoncer à notre manière d’écrire. (La preuve est que peu de monde connaissait cette réforme avant cette semaine.)

« Il ne peut être évidemment demandé aux générations antérieures de désapprendre ce qu’elles ont appris, et donc l’orthographe actuelle doit rester admise. » Journal officiel de la République Française.

Donc pas de panique ! On pourra toujours utiliser l’orthographe durement acquise à l’école, personne ne viendra nous taper sur les doigts à coups de règle puisque les nouvelles graphies ne remplacent pas les précédentes, mais sont simplement admises.

Le fantasme de la langue immuable

Les changements peuvent ne pas plaire. J’ai moi aussi beaucoup de mal avec certaines propositions. Mais qui manifeste contre en arguant la mort de la langue française méconnaît de toute évidence son histoire, faite de créations, d’emprunts à d’autres langues, mais aussi de réajustements, de contradictions et d’adaptations. Un petit rappel historique n’est sans doute pas inutile.

C’est une évidence, mais notre français est en perpétuelle évolution depuis la conquête de la Gaule par ce cher Jules et les invasions germaniques du Ve siècle. Notre français est issu principalement de l’oral qui, au fil des siècles, a supplanté la langue écrite officielle qu’était le latin. Depuis 842 ( date du premier texte officiel écrit en langue « romane »), la langue n’a cessé d’évoluer, influencée par l’usage oral.

Un exemple, tiré du Serment de Strasbourg écrit en 842.

En français du XIIe siècle :

 …si salverai jo cest mien fredre Charlon, et en aiude, et en chascune chose, si come on par dreit, en ço que il me altresi façet.

En français du XVe siècle :

…si sauverai je cest mien frere Charle, et par mon aide et en chascune chose, si, comme on doit par droit son frere sauver, en ce qu’il me face autresi.

En français moderne :

…je soutiendrai mon frère Charles de mon aide et en toute chose, comme on doit justement soutenir son frère, à condition qu’il en fasse autant.

Le préambule de la réforme de 1990 précise d’ailleurs que « Ces rectifications ne prétendent pas à rendre l’orthographe simple et rationnelle : d’aucuns s’en affligeront, d’autres s’en réjouiront. On rappellera seulement que, si la logique doit régir la syntaxe, c’est beaucoup plus l’usage et les circonstances historiques ou sociales qui commandent au vocabulaire et à sa graphie. »

Autrement dit, la réforme ne touche pas la grammaire, mais le vocabulaire et l’orthographe davantage liés à l’usage oral. « L’orthographe à Kévin est catastrophique, «  le chien à ma voisine », « aller au coiffeur » «  Malgré que je vous explique », « si je voudrais » … seront toujours faux !  Et pour ceux et celles qui sont toujours persuadés que ces nouvelles graphies proposées appauvrissent la langue, sachez que le fameux « oignon » s’écrivait au XIIIe siècle oinun ou oingnun et que la graphie  nénufar  existait également à cette époque aux côtés de son comparse nénuphar.

L’accent circonflexe qui cache la forêt…

Vous rappelez-vous de la collection de la bibliothèque rose avec ses couvertures cartonnées et ses feuilles jaunissantes ? Et notamment des aventures du Club des cinq ? Si oui, vous vous rappellerez peut-être de la traduction soignée que les éditeurs français proposaient des romans d’Enid Blyton. Je vous laisse donc admirer le massacre effectué l’année dernière sur les rééditions de 2014. A gauche, l’ancienne traduction, à droite, la nouvelle proposée depuis l’année dernière. Exit le passé simple trop compliqué, à mort le « nous » trop guindé, et bonjour le « on » impersonnel et le présent qui envahit une grande majorité des romans jeunesses.

le club des cinq

En définitive, le problème majeur n’est pas de savoir si on doit écrire « oignon » ou « ognon », mais que 12 élèves de 4e (j’ai testé pour vous, pas plus tard qu’hier) sur 26 l’écrivent « onion » (parce que ça ressemble à « Minions » sans doute) et que 10 ne savaient pas ce qu’était un nénufar / nénuphar. Quant à l’accent circonflexe, à chaque fois, une main se lève pour demander si c’est bien le « chapeau pointu ». Il est là, le vrai appauvrissement de la langue et de la culture. Dans cette simplification à l’extrême de certains ouvrages destinés aux enfants et dans les nouveaux programmes scolaires utopiques qui se sont succédé  ces dernières années avec une inefficacité flagrante. 


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