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Une affaire de femmes - 7,5/10

Par Aelezig

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Un film de Claude Chabrol (1988 - France) avec Isabelle Huppert, François Cluzet, Nils Tavernier, Marie Trintignant, Marie Bunel, Evelyne Didi

Affligeant (l'histoire... pas le film).

L'histoire : 1941. La France occupée. Marie élève difficilement ses deux jeunes enfants ; la vie est dure, les revenus presque inexistants depuis que son mari est parti guerroyer. Un jour une amie lui confie qu'elle est enceinte, mais que son amoureux part à son tour, et ne veut pas garder l'enfant. Marie a entendu parler d'une méthode pour faire passer les bébés. Elle l'essaie sur son amie... qui est si contente qu'elle lui offre un beau cadeau. Marie se dit qu'elle pourrait proposer ses services à d'autres malheureuses et améliorer son ordinaire et celui de ses enfants.

Mon avis : Ce film est bouleversant tant il manie le paradoxe. L'avortement était une chose illégale ; parce que depuis des millénaires, l'homme se pensait maître de la femme et donc de sa sexualité. Son seul devoir était de procréer, pour transmettre un nom, pour transmettre un héritage ; les enfants, les hommes s'en fichaient à peu près autant que de leurs épouses. Ils préféraient leurs maîtresses ou les prostituées. La religion approuvait et confirmait, en fermant chastement les yeux sur les désirs sexuels de ces messieurs. Vous étiez mère ou putain.

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Ainsi les femmes étaient-elles condamnées à enchaîner les grossesses et à s'épuiser. Des ventres. Alors quand une femme telle que Marie proposait de les aider... quel soulagement ! Un énième bébé alors qu'on n'en peut plus, qu'on n'a pas de quoi le nourrir ; un bébé illégitime, pour un instant de plaisir volé à la vie, qui vous damnera pour l'éternité... Les faiseuses d'anges ont toujours existé et je crois que pas une femme ne peut les blâmer. Pas une. Et si quelquefois certaines y perdaient la vie, c'était la faute des conditions d'hygiène, des méthodes rudimentaires, de la clandestinité. Marie, on a envie de la défendre !

En même temps, cette femme nous est présentée comme un être assez malsain. Dure avec son mari, ambitieuse, superficielle, inconsciente des interdits qui pèsent sur elle. Elle trompe son mari et trouve ça normal, elle n'est pas amoureuse de lui. Elle défie la loi, mais c'est pour aider des femmes, qui sont prêtes à la payer pour cela : tout le monde est content. On pourrait alors se dire que le cynisme du personnage traduite une certaine misogynie de la part du réalisateur. Elle est méchante, elle est coupable, elle fait le mal.

Mais parallèlement, elle semble si fraîche et si joyeuse... Elle n'est qu'une enfant, naïve, qui a envie de jouer, de profiter de la vie. Chabrol ne juge pas et présente toutes les facettes du personnage.

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On lui reproche aussi de fournir des chambres à des prostituées. Quelle hypocrisie de la part de ces messieurs, qui sont si contents de les trouver ! C'est aberrant !

Quand vient l'enfermement et la condamnation démesurée alors qu'aujourd'hui l'avortement est légal, on passe alors dans les enjeux politiques et religieux. Face à l'occupant, le pays doit être digne et exemplaire ; morale, discipline et famille. La patrie a besoin d'enfants pour compenser les pertes humaines dues à la guerre.

Et aujourd'hui, tous ces mêmes paradoxes sont là et reviennent en force. Partout l'avortement est menacé. Parce que la civilisation est en péril, que certains l'expliquent par le laxisme des décennies précédentes, l'immoralité... les femmes. A la maison. Les enfermer, les contrôler.

Ce film me hérisse le poil. Sa réalisation parfaite, son sens narratif, les questions qu'il pose, les multiples facettes que peut avoir la féminité... tout y est, rien ne manque, le sujet est parfaitement et brillamment illustré. Le titre dit déjà tout ! Le film rappelle beaucoup Vera Drake, de Mike Leigh, tout aussi poignant et dont l'action se situe une dizaine d'années après.

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L'histoire est vraie. Marie-Louise Giraud, guillotinée en juillet 1943. Cette femme fut, sans le savoir, une héroïne de son temps.

La lutte pour faire de la femme un être égal à l'homme est loin d'être finie.


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