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Développement des énergies solaires Au Maroc : Quel Impact sur la création d’emplois ?

Publié le 09 février 2016 par Massolia

Au mois de novembre 2009, notre pays s’est lancé dans une stratégie énergétique avant-gardiste et ambitieuse. Tout le monde se rappellera de cette réunion à laquelle a assisté l’actuelle candidate aux présidentielles américaines, Mme Hillary Clinton, pour la présentation du « Plan Solaire Marocain »de 2000 MW à l’horizon 2020 à Ouarzazate.

Avec l’inauguration de la première unité de la première phase de ce plan par Sa Majesté la semaine dernière, ce sont finalement 160 MW qui viennent d’être mis en exploitation et 350 MW qui sont actuellement en construction.

En supposant que la construction des deux nouvelles unités (Noor II et III) se passe sans incident majeur, nous aurons donc 510 MW de capacité CSP(Thermique) sur le seul site de Ouarzazate à l’horizon 2018.

Même si 510 MW ne constitue que 25% de l’objectif tracé en 2009, l’on peut dire qu’aujourd’hui que la vision stratégique était la bonne. Le PSM nous a assuré une place de choix et une visibilité internationale. Il a aussi poussé notre opérateur national de l’électricité « l’ONEE » à considérer sérieusement les énergies renouvelables comme source fiable d’électricité.
Nous avons certes le droit de nous réjouir et de célébrer cette réalisation unique dans notre région. Mais nous ne devons quand même pas oublier les quelques bémols au plan initial lancé par le roi en 2009:

Les Délais : Il nous a quand même fallu 6 ans pour mettre en service la première unité du plan solaire. Le retard est dû principalement à la complexité du montage financier imaginé et réalisé par MASEN afin de réduire le coût du financement en utilisant de la dette concessionnelle tout en essayant de garder une clause de préférence nationale. Ceci dit, même si on arrive à mettre en services les deux projets lancés par MASEN (400 MW Hybride PV-CSP + 160 MW PV) à l’horizon 2020, ce qui est loin d’être acquis vu la procédure adoptée, cela ne constituera qu’un taux de réalisation de 53 % de l’objectif tracé il y a 6 ans.

La Technologie : Lors du lancement du plan, le CSP (solaire thermodynamique) était la technologie la plus adaptée aux grandes centrales connectées au réseau de transport et son cout était similaire à celui du Photovoltaïque. La baisse vertigineuse du prix du photovoltaïque ces 5 dernières années a cependant changé la donne. Le PV est aujourd’hui, et de loin, la technologie solaire la plus compétitive et la plus simple à mettre en œuvre que ce soit de manière distribuée (petites installations) ou à grande échelle.Malgré l’énorme effort d’optimisation financière réalisé par MASEN, le cout du kWh reste assez haut à 1,5 DH comparé au PV qui, sans stockage, aurait été autour de 0,5 DH/kWh.

La Création d’emploi : Vu la complexité de la technologie CSP, les opérateurs privés nationaux, même s’ils n’osent pas le dire très fort, sont quasi-unanimes : Noor I n’a pas eu d’impact réel sur leurs carnets de commande. Il n’aura certainement eu aucun effet sur leurs compétences en matière de technologies de l’énergie solaire. Seules quelques entreprises de génie civil et de montage ont pu bénéficier de contrats directs auprès du contractant principal. Ceci équivaut à dire que, aujourd’hui, la majorité des emplois créés par le projet solaire sont des postes temporaires et à faible valeur ajoutée. Le taux d’intégration local, avancé par MASEN, ne peut pas valoir d’indicateur de création d’emploiscar il n’est pas difficile de créer une entreprise nationale pour montrer que le chiffre d’affaires a été réalisé localement.

Le modèle choisi et la création d’emploi
Jusqu’à date d’aujourd’hui, il parait que MASEN, pour le développement des capacités solaires de PSM, a privilégié le modèle d’Appel d’Offres avec pré-qualificationaboutissant à un PPA sur 25 ans. On peut résumer ce modèle dans les étapes suivantes :
1. Choix du site du projet et de la technologie à mettre en œuvre.
2. Appel à Manifestation d’intérêt pour le site et la technologie.
3. Pré-qualification d’entreprises capables de financer, de construire et de gérer des projets (références) similaires… Ces groupements doivent souvent inclure, en plus de l’exploitant, un EPC (Entreprise capable d’assurer l’Ingénierie de détail, les achats et la construction) dont l’expérience permet de conforter les banquiers quant au risque lié à la construction.
4. Préparation de l’avant-projet détaillé par le MASEN et ses consultants
5. Remise du Dossier d’Appel d’Offres aux entreprises pré-qualifiés
6. Remises des offres et alignement technique des soumissionnaires pré-qualifiés
7. Remise et évaluation des offres financièresdes soumissionnaires techniquement retenus
8. Choix de l’entreprise ou du groupement ayant proposé le tarif du kWh le plus bas
9. Signature d’un PPA entre MASEN et l’adjudicataire
10. Signature d’un PPA entre l’ONEE et MASEN
11. Préparation des documents et clôture financière (Accord final des banques pour financer le projet)
12. Lancement des travaux de construction
13. Exploitation de l’unité par l’adjudicataire pendant les 25 ans prévus par le PPA

Les délais de réalisations

Les délais de mise en service des 4 phases de Noor Ouarzazate et de Noor Midelt sont d’environ 6 ans pour chaque tranche. La mise en service de ces deux centrales sera intégral à horizon de 2021, et ce, pour une capacité de production de 980 MW sur les 2000 MW prévus par le Plan Solaire Marocain.

Les étapes à franchir, telles que décrites ci-dessus, permettent de comprendre pourquoi les entreprises nationales sont souvent disqualifiées dans ce type de projets d’envergure.

Le positionnement des entreprises nationales

Nul besoin d’expliquer que nous n’avons pas, au Maroc, des entreprises capables d’investir des années de travail et des millions de dollars sans être sures de se voir adjuger un projet au Maroc. Il est donc clair, puisque c’est ce modèle qui est choisi, les entreprises nationales se doivent de limiter leur aspiration à jouer ou un rôle de partenaire financier ou celui d’un sous-traitant au constructeur (EPC) principal, au meilleur des cas. Seul problème, un EPC qui vient d’un autre pays, ramène presque toujours avec lui son réseau de sous-traitants avec lesquels il a une relation à long terme. C’est pour cette raison que seuls les entreprises de génie-civil et de montage arrivent à se placer en tant que contractants directs. La construction et le montage nécessitent une connaissance accrue de la main d’œuvre et des matériaux locaux. Ces entreprises sont donc compétitives par définition. Les autres corps de métier, nécessitant des compétences plus techniques et à plus forte valeur ajoutés, sont par contre hors de la portée des entreprises locales qui arrivent trop tard lorsque l’adjudicataire est connu.

L’intégration locale

Le processus de l’appel d’offres ci-haut explique aussi pourquoi MASEN, et plus récemment l’ONEE (Dans son programme éolien intégré) tiennent beaucoup aux clauses dites « Intégration locale » dans leurs appels d’offres. Le meilleur prix signifie que le soumissionnaire (EPC) doit chercher les biens et les prestations là ou leur cout est le plus compétitif. La clause d’intégration locale, en quelque sorte, tente de forcer les soumissionnaires les plus sérieux à trouver les prestataires locaux les plus compétitifs.
Il n’existe pas encore d’études détaillées sur les retombées des projets Noor I, II et III sur l’emploi. Cependant, d’après les entreprises nationales basées à Casablanca et Rabat, les clauses d’intégration locale n’ont pas, dans le programme solaire au moins, eu l’effet escompté en terme de création d’emplois à long terme.

Qu’est ce qui permettra de créer plus d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables ?

Maintenant que le Maroc a assuré une visibilité auprès des développeurs sur le marché international en réalisant ce qui sera la plus grande centrale CSP au monde à l’horizon 2018, et que plusieurs de ces développeurs sont venus s’installer dans notre pays depuis 2010, plusieurs pistes méritent d’être explorée et débattues afin de maximiser la valeur ajoutée et la création locale de postes d’emplois stables et à forte valeur ajoutée :
1. Réduire la taille des IPP (20 à 50 MW) et réduire les critères de pré-qualification afin de donner aux petits et moyens développeurs nationaux l’opportunité d’apprendre le business des IPP et au grands des concurrents capables.

2. Lancer des appels d’offres de type EPC avec contrat d’exploitation…. Permettant aux dizaines d’entreprises électriques locales qui ne désirent pas ou ne peuvent pas investir dans l’exploitation de développer leurs compétences dans la conception et l’installation de centrales photovoltaïques.

3. Au lieu de continuer à faire de MASEN un simple véhicule de subvention et de financement, capitaliser sur son expertise dans les montages financiers en y ajoutant une expertise en gestion pour lui permettre, un jour, de jouer son rôle de locomotive des énergies renouvelables en Afrique.

4. Donner plus de liberté aux soumissionnaires quant au choix de la technologie à utiliser afin de réduire les risques liés au choix technologiques. Le principal enjeu des énergies renouvelables ces 10 prochaines années réside dans la capacité des opérateurs des réseaux à gérer l’intermittence des source d’énergies solaire et éolienne. Il faudra donc diversifier l’investissement dans ces moyens

5. Accélérer la libéralisation du secteur en créant l’instance de régulation prévue par le projet de loi 48-15.

6. Appliquer la loi 58-15 et le décret sur le raccordement des unités de production au réseau MT.

Karim Chraïbi, Expert en Energie, Cadre réglementaire, Investissements, énergies renouvelables


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