Magazine France

Il pleut…

Publié le 10 février 2016 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 74

Il pleut, il pleut, il pleut… Il devient urgent de trouver Un abri pour nos têtes et justement, c’est le titre d’un recueil de Shirley Kaufman qu’il vaut mieux lire plutôt que de l’installer à califourchon sur son crâne. En effet, on y trouvera un ustensile indispensable sur le chemin qui mène aux abris qui nous sont chers. Car le parapluie est un abri fort précaire et temporaire, et il peut arriver que la pluie soit salutaire, comme pour « rincer notre esprit de l’impensable ». Quant à sa taille ou à son utilisation,  chacun mesurera l’inconvénient que présente un parapluie dégoulinant de retour au logis et s’il ne vaut donc pas mieux le laisser sec, ce qui pose la question du sens de son bon usage ou non-usage…

Ce recueil étant un vrai traité de vie pratique, on y trouve aussi des échelles si nécessaires aux grenouilles barométriques pour se hisser hors de l’eau du bocal,  comportement qui serait signe de beau temps à moins que ce ne soit l’inverse. Mais dans ce second poème, il  est question de créatures autrement plus subtiles...

Le parapluie d’Ungaretti

 "Ça, c’est le parapluie d’Ungaretti", dit Claude
en venant rapporter un livre. Il s’amène
entre deux averses, pour garder
le parapluie au sec.

Claude se rappelle le tonnerre et la grêle
quand Ungaretti a lu ses poèmes à Jérusalem
mais les mots étaient tranquilles :
Isonzo ... Serchio ...
les noms que portaient ses fleuves .

Tout le monde peut oublier son parapluie,
mais ça, c’est le parapluie d’Ungaretti.
La crosse de la poignée cerclée d’argent
suffirait pour deux mains. "Pourtant, dit Claude,
Ungaretti était un fort petit homme."

Qu’avait-il à faire
d’un si vaste parapluie noir ?
Dehors, la pluie s’est remise à tomber,
douce maintenant comme les fils du ver à soie,
les lacis légers de l’espoir.

Les pins, le cyprès,
les poivriers de l’autre côté de la rue
s’élancent à sa rencontre. Si nous le pouvions,
nous rincerions ainsi
notre esprit de l’impensable.

Je vais faire du thé. Le parapluie
se tient plié dans le coin
comme la manche noire du capitaine Hook.
Nous avons encore besoin d’un abri
par dessus notre tête.

Échelles

Quand les anges qui grimpaient devinrent trop vieux

pour monter et descendre leur échelle

ils aspirèrent leur propre haleine,

et déployant leurs ailes s’exaltèrent

d’un souffle à l’échelon suivant.

Jusqu’à l’instant où même ceci leur fit défaut.

C’est comme tourner une clé dans un jouet

en forme d’oiseau lorsque la pile est déjà morte.

Alors ils se débarrassèrent des échelles.

Avec Dieu c’est pire encore. Il oublie

que toutes les échelles sont tirées.

Il oublie qu’il oublie.

Il fait ce qu’il sait faire le mieux :

nous appeler au sacrifice,

son épreuve inéluctable,

comme si les temps n’avaient pas changé, comme si

nous pouvions compter sur un bélier dans le fourré

ou arrêter le couteau.

Shirley KaufmanUn abri pour nos têtes,  traduit de l’américain et préfacé par Claude Vigée,  collection D’une voix l’autre, Cheyne éditeur, 2003.  D’origine russe, Shirley Kaufman est née le 5 juin 1923 à Seattle.  Poétesse et traductrice elle vit à Jérusalem depuis 1973.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Thomas 103 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte