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Le musée brûle, de Marie-José Imsand

Publié le 11 février 2016 par Francisrichard @francisrichard
Le musée brûle, de Marie-José Imsand

"Parce que c'était lui, parce que c'était moi.", écrit Michel de Montaigne, dans ses Essais, à propos de son amitié avec Etienne de La Boétie.

Marie-José Imsand illustre ce thème éternel de l'amitié, où les âmes se mêlent et se confondent, dans son roman, Le musée brûle (dont le titre ne se comprend qu'à la toute fin). Ce livre est en effet un hymne à l'amitié, celle d'un Suisse, David, et d'un Roumain, Pablo, qui n'ont de prime abord rien en commun.

Pablo, le musicien, vient de mourir. Alors, David, le journaliste-photographe, se souvient de leur amitié qui a transformé son existence - à son contact, lui le matérialiste, il a notamment "appris à transformer l'avoir en devoir de partager" -, et il s'adresse à lui, en ces termes amicaux, en son for intérieur:

"Tu es mieux que tous les livres que j'ai ouverts parce que tu es un homme. Tu m'as appris à aimer sans admirer. Nous étions égaux. Ni de religion, ni de père, ni de mère, ni de langue, ni d'éducation, ni de pays, ni de coutume, mais peut-être un peu du regard même que les autres posaient sur nous."

Il se répète depuis sa disparition, et se récite, des paroles de cet ami, inoubliables et inoubliées, gravées de manière indélébile dans sa mémoire et devenues pour lui, en quelque sorte, de vivants préceptes, qu'il s'efforce de suivre, à sa façon, parce qu'elles donnent une tout autre saveur à l'existence:

On ne craint rien quand on aime.

La mort n'existe pas pour ceux qui s'aiment.

Tout ce qui est difficile est bon pour la croissance de l'homme.

Si nous ne savions pas que la vie nous dépasse, comment pourrions-nous être à elle?

La beauté est sans approche.

Pablo laisse derrière lui une femme, Iona, et trois fils, dont le petit dernier se prénomme Cyan, comme la couleur primaire. David a une fille, Jaïna, prénom qui, sauf erreur, signifie Dieu est miséricordieux en hébreu. Alors que David est en reportage en Irak, Jaïna et Cyan cohabitent dans l'appartement de David.

Après la mort de Pablo, Cyan n'a reçu pour tout héritage que le smoking de son musicien de père. Aussi David prend-il soin de Cyan, venu à Lausanne pour échapper au sort commun des habitants de son pays sous dictature. Cyan a trouvé un emploi de balayeur dans les jardins de la ville et suit des cours aux Beaux-Arts.

Jaïna, conquise par l'art actuel, va bientôt quitter Rome, "avec assez de diplômes pour être reconnue par les collectionneurs". David s'en réjouit, même s'il n'apprécie guère les installations qu'elle fait et qui semblent réduire sa sensibilité par leur froideur affligeante. Car, à dire vrai, il les trouve tout simplement immondes.

David prend davantage soin de Cyan qu'il n'a pris soin de sa fille, pour laquelle, souvent en reportage, il n'a peut-être pas été le père qu'il aurait fallu. Cela n'empêche pas Jaïna de s'inquiéter pour lui quand elle apprend qu'il se trouve à Bagdad au milieu d'émeutes civiles qui ont éclaté après la commission d'un attentat.

Pour maîtriser sa peur et celle des autres, à Bagdad, justement, David leur lit Les Arts et les Dieux du philosophe Alain, qui écrit: "Il faut croire qu'il y a un bien et un mal. Car si je me crois libre, il est bien que je me garde libre, et il est mal que je me rende esclave de préférer les biens extérieurs à la liberté."

Dans la rue, David croise des enfants - il y en a dans toutes les guerres. Il met un genou à terre et fait des prises de vue: "Je n'ose dire combien ils sont magnifiques à travers toute cette vitalité qui les anime et semble les transporter à tout moment vers ce qu'ils peuvent lui prendre de meilleur. Ils m'entourent. Leur amusement est réel."

Il fait quelques portraits: "Ces jeunes adolescents me regardent dans d'inconscientes supplications. Leurs regards parlent de la folie alentour et du désarroi qui feront d'eux, demain, les mêmes hommes qui s'entre-tuent aujourd'hui. Je touche leurs mains. Nos gestes sont nos mots, un bref instant de survie, peut-être."

Après avoir vu les oeuvres de Cyan, Jaïna ne considère plus cet étranger comme un intrus imposé par son père. Après avoir vu les photos de son père, elle est "à la fois étonnée par la beauté de ces gosses et surprise de l'équilibre qu'ils dégagent malgré leur dénuement dans un pays en guerre".

Mais elle n'est pas la seule à changer. Son père ne la regarde plus du même oeil. Il lui offre des photos d'enfants d'Irak pour sa prochaine installation. Cyan lui-même change à la faveur de deux événements, qui se produisent l'un ici, l'autre en Roumanie, et qui permettent à ce "magnifique jeune homme" de le rester.

"Comment as-tu fait, Pablo?", se demande David au sujet de Cyan.

Francis Richard

Le musée brûle, Marie-José Imsand, 88 pages BSN Press


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