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Chronique Santiago (B-Gnet) – Vraoum

Par Bande Dessinée Info

Dans le cinéma de genre, vous avez deux écoles, celle du héros solitaire, si possible ténébreux et indéchiffrable, ou celle du groupe, sorte de microcosme de la société. Dans la BD de genre, impossible de s’affranchir de l’un de ces deux postulats. Pour sa nouvelle création, « Santiago », B-Gnet a choisi de conter les aventures d’un groupe de héros farouches dans l’ouest sauvage, ou l’inverse. Une bande de desperados mexicains sanguinaires et sans foi ni loi. Bon, sauf que des mexicains, il n’y en a qu’un dans la bande, le rondouillard Pablo, et qu’il n’est pas bien finaud, du genre à toujours paumer son colt, si possible en plein désert ou au moment où il en aurait le plus besoin. Une sorte de croisement entre Sancho Panza et le Sergent Garcia. Les autres mexicains de la bande n’ont de mexicain que leur patronyme, ce qui est déjà pas mal, c’est vrai. Santiago, le chef, qui aligne quand même quelques mots d’espagnol au moment de piller une banque, un établissement qui fait aussi dans la tortilla parce que c’est la crise, que les temps sont durs et que personne n’a d’argent à confier à son coffre-fort, est texan. Vous me direz, y a pas une grande différence, d’autant que le Texas est quand même resté mexicain jusqu’en 1836, alors on va dire que c’est presque pareil.

Juan, lui, est un indien de Floride, Séminole quoi. Quant à Bones, qui a un nom anglais, tiens, et qui ne sait pas où il est né, il est néanmoins certain de ne pas être mexicain. Ne me demandez pas pourquoi, il le sait c’est tout. Voilà donc nos quatre lascars en quête de gloire. Mais quatre, comme chiffre, c’est pas terrible pour la symbolique, c’est ce que se dit Santiago durant un moment d’intense réflexion. Sa bande, elle devrait plutôt être impaire. Mais où va-t-il chercher tout çà ? D’autant que quatre, personnellement, je trouve que c’est pas mal. Prenez les Beatles, ça leur a plutôt réussi. D’accord, en plein XIXe siècle, Santiago, il ne pouvait pas prévoir. Prenons donc les Dalton... Euh... Oui, non, finalement, il a raison Santiago, quatre, pour une bande de desperados, c’est nul. Encore que, les quatre cavaliers de l’Apocalypse, en y réfléchissant, ça en jetait. En même temps, la bande à Santiago, ils sont quatre, il faut bien qu’ils fassent avec. De toute façon, le problème est bientôt résolu quand un cinquième membre est incorporé, Chico. Qui n’est pas plus mexicain que les autres, mais on n’est plus à ce genre de détail près.

En revanche, au vrai, Chico ne s’appelle pas Chico. Il s’appelle Jessica et ne sait ni cuisiner, ni soigner un blessé, ni utiliser un métier à tisser, ni tirer au revolver. Le seul truc qu’il sait bien faire Jessica, c’est le café. Et aussi être une femme comme Santiago s’en rend compte en matant son gros c.. euh derrière au moment où elle prend son bain. Du coup, Jessica, qui n’aime pas trop qu’on lui fasse des remarques sur son physique, colle une baffe à Santiago, ça, elle sait faire aussi, qui, désormais, est bien obligé d’admettre que Chico n’est définitivement pas un homme. Ce qui ne change pas grand-chose au final, Jessica fait quand même partie de la bande. Surtout une fois que son mari s’est vu brusquement rayé de la liste des vivants. Donc, la bande à Santiago, tels les preux chevaliers d’Arthur, repartent en quête de gloire. Mais c’est quand même pas de chance. Quand ils attaquent une maison, elle est vide. Quand ils attaquent un train, leurs chevaux se barrent. Ouaip, même leurs montures ne les aiment pas. Quand ils attaquent une diligence, celle-ci s’est déjà fait détrousser. Quand ils trouvent refuge chez les Apaches, ils les mettent sur le sentier de la guerre. Quand ils sont secourus par l’armée, les braves cavaliers US se prennent la pâtée de leur vie.

Bref, on aura compris que Santiago et sa bande ne sont rien d’autres que de beaux pieds nickelés. C’est pas comme ça que la postérité va leur tendre les bras. Face à cette adversité contraire, il leur faut se rendre à l’évidence, ils ne sont peut-être pas faits pour atteindre à la glorieuse gloriole des plus grands desperados. Et s’ils devenaient fermiers ? Hein ? C’est pas plus bête qu’autre chose. C’est sur ce happy end que se termine l’album. Même s’il laisse en suspens de nombreuses questions. La récolte sera-t-elle bonne ? Santiago et Jessica vont-ils... ? Pablo va-t-il arrêter ses conneries ? Sans compter qu’un nouveau péril se profile à l’horizon. Il se nomme Quito, et c’est lui qui a trouvé le colt que Pablo a perdu au début de l’histoire... Damned ! Le suspense est haletant autant qu’à son comble.

Anyway ! « Santiago » est donc un western parodique qui, pour dynamiter les codes du genre, n’en utilise pas moins toutes les ressources. L’album de B-Gnet est bourré de références. A John Ford. L’action se situe dans le désert du sud-ouest américain, en Arizona ou au Nouveau-Mexique, là où Ford a filmé ses propres westerns. A Sergio Leone. Certains plans sont clairement inspirés de la trilogie du dollar ou de « Il était une fois dans l’ouest ». Mais aussi à Django. L’outrance, le comique et le second degré des séries B italiennes sont omniprésents. On peut aussi penser au « Shérif est en prison » de Mel Brooks pour le côté barré et décalé. Voire à « Al Crane », la BD d’Alexis et Lauzier où tout le monde foire lamentablement tout ce qu’il entreprend. « Santiago » n’est qu’une galerie de losers, de branques, de demi-sels, d’empotés, d’incapables. A commencer par la bande de Santiago, qui en arrive même à se tirer dessus mutuellement et délibérément. Les autres protagonistes ne sont pas mieux lotis. Les Apaches ne pensent qu’à apprendre à se servir d’un métier à tisser pour se fabriquer de belles couvertures et de beaux vêtements. On ne voit d’ailleurs aucune femme quand l’action se déroule chez eux. Et quand ils partent au combat, ils perdent un temps fou à savoir avec quels motifs ils vont peindre leurs chevaux. L’unité de cavalerie en prend aussi pour son grade. Dans n’importe quel western qui se respecte, la cavalerie arrive toujours à temps pour sauver la situation. Ici, elle est certes à l’heure, mais c’est pour se prendre une peignée de première par les Apaches sus-cités qui ne sont pourtant pas vraiment des flèches non plus.

C’est sûr, le mythe du western, avec ses héros plus grands que nature, avec ses John Wayne (qui prête ses traits au shérif qui s’apprête à pendre Pablo) ou ses Clint Eastwood, prend un sérieux coup de mou. Mais n’oublions pas que, dans la vraie vie, dans l’ouest, le vrai, les héros n’existaient pas. Il n’y avait que du pionnier lambda, du cow-boy ordinaire, du soldat mort de trouille au moment d’affronter de l’indien réputé sauvage mais qui ne faisait que défendre sa peau. La légende de l’ouest est une invention hollywoodienne. Il existe cette anecdote sur Jesse James, pourtant pas réputé être un rigolo, qui, attaquant une banque, face au refus du caissier de lui remettre l’argent, vide son colt sur le pauvre homme, six balles donc, tirées quasiment à bout portant, mais dont aucun n’atteindra sa cible. Et que penser des Dalton, les vrais, qui ne trouvent rien de mieux que de dévaliser deux banques en même temps, en plein jour, à Coffeyville, Kansas, une ville où tout le monde les connaît, et qui se font évidemment cueillir par une volée de plomb. Des cinq membres du gang, un seul survit, Emmett Dalton, après avoir reçu la bagatelle de 23 pruneaux dans le corps.

Alors oui, quelque part, « Santiago », malgré son côté parodique et son parti-pris humoristique, est sûrement plus proche d’un ouest bien réel que tous les westerns hollywoodiens. Et c’est ce qui fait l’intérêt de l’album, cet humour soutenu. Il n’y a pas une page où l’on ne rit pas. B-Gnet alternant à peu près toutes les formes connues de comique, de situation, de répétition, de surprise, tout y passe. Le dessin est à l’avenant, suffisamment réaliste pour ancrer l’histoire dans une réalité à laquelle on veut croire, suffisamment décalé pour renforcer l’humour du propos. B-Gnet dessine superbement les paysages désertiques, pas aussi ennuyeux qu’on pourrait le croire, John Ford en avait déjà fait la démonstration. Il excelle aussi à tirer le portrait de ses personnages. Tous ont des tronches comme on dit dans le cinéma, et B-Gnet n’hésite pas à forcer le trait pour que leurs expressions, joie, peur, colère, ennui, surprise, les rendent encore plus vivants. Il sait jouer aussi des contrastes, des couleurs, de l’ombre et de la lumière, comme le ferait un cinéaste. On a coutume de dire que la BD ressemble au cinéma, dans le cas de « Santiago », c’est évident, tant cet album est conçu et réalisé comme un film. La fin laisse suggérer une suite. Elle serait bienvenue, ne serait-ce que pour savoir ce qu’il advient de cette bande de bras cassés à laquelle on s’est attaché.

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