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462ème semaine politique: l'uberisation de François Hollande

Publié le 12 mars 2016 par Juan

462ème semaine politique: l'uberisation de François Hollande

François Hollande avait fait de la jeunesse une priorité de son quinquennat. A quelques mois de la campagne présidentielle, il est parvenu à mobiliser contre lui toutes les organisations syndicales étudiantes et lycéennes.

Belle prouesse, joli fiasco.

Lundi, le cap du million de signatures électroniques contre la loi El-Khomri est franchi. La plus grande autonomie accordée aux entreprises aux détriments des accords de branches, l'élargissement des critères de licenciements économiques ("baisse des commandes ou du chiffre d'affaires"), ou la modulation de la rémunération des heures supplémentaires sont quelques-uns des paramètres qui ont embrasé une fraction de l'opinion. La flexibilité assurée par l'avant-projet de loi étend la précarisation du travail, dans ses conditions d'exercice comme de sortie. Il suffit de considérer une à une les "avancées" du texte pour réaliser le futur quotidien du salariat précarisé.


Ironie du sort et coïncidence des dates, la geek-compagnie défiscalisée du transport personnel "Uber" lançait justement cette semaine une joyeuse campagne de promotion auprès du public français. Tandis que l'uberisation d'un secteur s'affichait sur les panneaux publicitaires du pays, d'autres mercredi manifestaient contre l'aggravation de la précarisation de leur emploi.

Les charlatans de la flexibilité sévissent depuis longtemps. Ne les imaginez pas modernes, un autre Gattaz braillait déjà en 1984 la même antienne. La loi El Khomri n'est que la traduction législative d'un argumentaire rabâché depuis le début du quinquennat et, en France comme ailleurs, depuis plusieurs décennies.

Mardi, le jeune et souriant ministre de l'Economie tente de rétro-pédaler dans son argumentation. Emmanuel Macron fait la couverture de l'Express, quotidien racheté par le milliardaire Patrick Drahi et repositionné sur son engagement libéral. Macron contredit explicitement ses patrons Hollande et Valls. Naaaann ! On avait mal compris ! Assouplir les conditions de licenciements n'avait rien à voir avec l'espoir de favoriser les embauches. Une telle assurance dans le mensonge ou la mauvaise foi est assez lunaire. Depuis 2014 déjà, Hollande et Valls répètent à l'envie combien nos employeurs ont peur d'embaucher à cause de la " rigidité" du code du travail.

Patrick Cohen: "Il y a l'idée que faciliter les licenciements ça favorise les embauches. Ce n'est pas le raisonnement ?"
Emmanuel Macron : "Non".

462ème semaine politique: l'uberisation de François HollandeMEDEFisation
Le même jour, Manuel Valls a le sens du timing. Il reçoit le MEDEF. Allait-il prendre les consignes ? Où voulait-il mesurer jusqu'où le gouvernement pouvait reculer sans s'aliéner son allié patronal?

Depuis quelques jours, le front syndical se fissure (un peu) entre les " réformistes" prêts à négocier (CFDT) et les " irréductibles" (tous les autres) qui réclament le retrait du texte. Mais la fronde générale demeure, d'autres manifestations et journées de grève sont déjà prévues après le 9 mars. Les supporteurs du président et la droite toute entière minorent encore la colère. Cette dernière n'est peut être qu'une rage, mais il ne faut pas chercher loin pour trouver ces signaux faibles qui précèdent les grandes catastrophes politiques.

A l'approche de la première journée d'action le 9 mars, sur les plateaux radiophoniques, quelques éditocrates glosent sur cette jeunesse fort mal placée pour critiquer une loi qui, d'après ses promoteurs, doit favoriser l'embauche des jeunes. Ministres ou élus LR un à un expliquent combien les salariés à durée indéterminée sont les nouveaux privilégiés. Des éditocrates payés quelques dizaines de fois le SMIC confirment.

"Quant aux jeunes, si on poussait le bouchon, on pourrait dire que leur statut actuel, c'est celui du CPE de 2006, le contrat première embauche, qu'ils avaient combattu et c'est donc étrange qu'ils le défendent." Dominique Seux, France Inter. 9 mars.

Considérer que la "jeunesse" n'y connait rien ou si peu au monde du travail ou à la précarité professionnelle est incroyable, indécent, indéfendable. Entre 20 et 24 ans, 6 jeunes sur 10 travaillent, au moins à temps partiel. Et leur taux de chômage a bondi de 17 à 21% entre 2007 et 2014.

Ces pressions, rétro-pédalages ou mépris n'y changent rien.

Rien n'y fait.
Mercredi, la France est douchée par des vents pluvieux et froids. Et pourtant, partout dans le pays, à Tours, Lyon, Paris, Toulouse, Brest ou Lille, dans des villes et des villages, voici quand même quelques centaines de milliers de manifestants, souvent jeunes. 240 000 nous assure la police, 500 000 rétorquent les organisateurs. Des lycées bloqués, des manifestations, des syndicats étudiants (Unef) et lycéens (SGL, UNL, FIDL), mais aussi tous les représentants de l'opposition de gauche et même une quinzaine de députés socialistes, tous sont bien là. Sur les réseaux sociaux, on se régale.

L'élite est saisie d'effroi, ses laquets se rassurent comme ils peuvent."Toujours le même sentiment de malaise de voir de très jeunes lycéens dehors plutôt qu'en classe à apprendre et développer leur sens critique" tweete le directeur du service de presse du Medef

"Hollande, tu es foutu, la jeunesse est dans la rue" pouvait-on entendre, évidemment. Ce succès hivernal contre un texte indigeste qui agira comme cette goutte d'eau qui fait déborder un vase trop plein est réel mais encore modeste. La rage est froide, la colère déterminée, mais la mobilisation reste à se confirmer.
Réveillez-vous.

Les déçus, jeunes comme vieux, votent d'abord avec leurs pieds. Hollande n'échappera pas au rappel de ces images le moment venu.


A l'Elysée, on a senti le vent du boulet
Les trolls hollandistes s'empressent de minorer l'importance de cette contestation, mais les ministres - jusqu'au premier d'entre eux - stressent et reçoivent dès le lendemain les représentants des critiques contre le projet de réforme du code du travail. A l'Elysée, à Matignon, dans les ministères et les salles de rédactions endoctrinées à la TINA thatchérienne, on semble surpris du ras-le-bol, de cette colère qui grossit. La présidente de la CFE-CGC, syndicat représentant les cadres, reçoit des SMS rageurs de son alter-ego du MEDEF: " Si vous persistez dans cette attitude "cgtiste" sur cette loi, le Medef en tirera toutes les conséquences sur nos discussions en cours" menace Pierre Gattaz.


Dès jeudi, Valls accepte de taxer davantage les contrats courts afin d'en limiter l'utilisation par les employeurs. La mesure, tardive, fait sourire. Tout comme la focalisation sur la barémisation des indemnités prudhommales. Car la contre-révolution majeure que cette loi autorise est ailleurs, dans le primat accordé à l'employeur ou aux négociations intra-entreprises aux détriments des accords de branche.

Valls, Macron et El-Khomri reçoivent les représentants syndicaux étudiants et lycéens. Leurs sourires sont crispés. La scène fait peine à voir.

Rien n'y fait. Un à un, les délégués de l'UNEF, la FIDL et quelques autres confient leur déception. Tous appellent à de nouvelles manifestations.

Jeudi, François Hollande prend la parole, mais il trébuche. Il confirme que le texte, qui n'est qu'un projet, ira jusqu'au parlement, mais concède qu'il y aura des concessions. Il a surtout cette formule curieuse, un brin méprisable pour les critiques: " La vie, c'est pas de se retirer, ni de retirer. La vie, c'est d'avancer" explique Hollande, ce jeudi. La vie n'est pas de trahir, ni de laisser trahir, devait-on lui rappeler.

Mais Hollande ignore
La réaction de Hollande est méprisante pour trois raisons. En premier lieu, Hollande parle d'avancées quand son quinquennat est d'abord marqué par des reculs, des revirements, des trahisons. Nicolas Sarkozy s'abritait derrière la grande crise de 2008 pour justifier les siens, et son échec. L'ancien monarque livre à ce propos une longue interview au Monde, le jour des manifestations du 9 mars. L'entretien est drôle. Sarkozy accuse Hollande d'avoir trahi ses promesses, mais questionner sur ses propres échecs, il se défausse: la réforme des retraites ? " je n'avais pas de mandat pour revenir sur la retraite à 60 ans, (...) mais je l'ai fait car les conséquences de la crise économique (...) l'exigeaient." L'assouplissement du code du travail ? " Nous avons fait un nombre considérable de réformes, (...) mais je ne prétendrai pas avoir tout fait."

En second lieu, l'échec de François Hollande sur le front du chômage après 4 années de politique de l'offre est patent: le coût du travail a baissé en France, les entreprises ont bénéficié d'exonérations de charges sociales inédites dans leur ampleur, les seniors ont été contraints de travailler/chômer plus longtemps avec la réforme très sarkozyste des retraites de 2013. Pour quel résultat ? 80 000 créations nettes d'emploi en 2015. Combien faudra-t-il pour résorber le chômage ? Plusieurs centaines de milliards d'euros de baisses de charges et la destruction du système social ?

En visite à Paris, le premier ministre ne cache pas son soutien aux critiques de la loi El Khomri:"plusieurs gouvernements socialistes adoptent les thèses néolibérales mais le problème c'est qu'à chaque fois qu'on a voulu créer plus de flexibilité, ça a été un échec."

Sous le quinquennat Sarkozy, les moins de 25 ans avaient déjà payé le prix fort du chômage et de la précarisation: fiasco du RSA Jeunes, dégringolade de l'apprentissage, explosion du chômage, les " jeunes" ont beaucoup subi. En mai 2012, Hollande écrasait son rival dans les urnes chez les 18-25 ans. Mais depuis, le péril est dans la demeure. Depuis 2012, plus de 500 000 d'entre eux sont sans aucun emploi, 270 000 chômeurs en activité partielle. L'inversion de la courbe du chômage a bien eu lieu, mais au profit d'une accélération des stages et autres sorties en formation.


Hollande est confronté au péril jeune, un péril de plus. Le socle de son électorat de 2012 s'éparpille. Il s'est désolidarisé de sa gauche; il a perdu une fraction centriste et socialiste avec la déchéance de nationalité; il s'est aliéné l'électorat populaire avec sa politique de l'offre. Il a perdu le vote des plus religieux des musulmans avec le mariage gay. Et voici une fraction de la jeunesse qui s'échappe, incapable de comprendre pourquoi l'uberisation des conditions de travail lui serait bénéfique et moderne.

Ami socialiste, réveille-toi.


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