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Quand Babelio rencontre les éditions Zulma

Par Samy20002000fr

Dans le cadre de notre série d’entretiens avec les éditeurs, et plus précisément à l’occasion du Salon Livre Paris, nous avons posé quelques questions à Laure Leroy, fondatrice des éditions Zulma.

On reconnaît entre mille les couvertures de cet éditeur parisien. Explorateur littéraire de renom, la maison Zulma s’aventure chaque année aux quatre coins du monde pour y dénicher de petites perles exotiques, qu’elles nous propose, dans un écrin unique en son genre. Rencontre avec ces amoureux de la langue, qui fêtent cette année leurs 25 ans.

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Pouvez-vous nous parler de l’histoire de la maison ?

La maison a été fondée il y a exactement 25 ans, en 1991. Après 15 années pendant lesquelles j’ai fait mes armes, elle a été complètement refondée en 2006. En effet, après mes études de lettres, j’ai directement participé à la création de la maison et ai dû apprendre le métier sur le tas. Le recul n’est venu que quelques années plus tard.

L’idée de départ était de se concentrer sur quelques livres seulement, 10 ou 12 par an, pas davantage et de nous ouvrir au monde entier, en traduction comme en langue française. Remarquez d’ailleurs que nos auteurs francophones ne sont pas tous franco-français, car nous nous attachons à publier de la littérature sans que la langue ne représente jamais une quelconque barrière. J’avoue que la forte présence de la langue anglaise dans la littérature étrangère me pousse à privilégier d’autres idiomes au quotidien. J’aime m’aventurer hors des sentiers battus, m’intéresser au monde avec tout ce qu’il comprend, de voir ce qu’il s’écrit partout, même là où personne ne va. Il y a, à travers le monde, différentes manières de raconter des histoires et d’habiter une langue. Les imaginaires sont singuliers à chaque langage et je voulais, à travers les livres, pouvoir mettre en lumière cette diversité.

Vos couvertures font mouche. Pouvez-vous nous expliquer leur origine ?

Nos couvertures évoquent volontairement la thématique de la tradition du livre imprimé : grands rabats, beau papier, typographie soignée… mais tout en bénéficiant d’un design très contemporain, non figuratif mais bel et bien narratif ! Bref, nos couvertures sont autant de portes ouvertes sur l’imaginaire.

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Great Ideas

Une seule et même personne est en charge de leur réalisation. Il s’agit du bien connu David Pearson, un artiste mondialement connu pour ses dessins. Avant la refonte de Zulma, il avait travaillé sur un projet appelé Great Ideas, que j’ai trouvé merveilleux. J’ai alors décidé de le contacter et depuis, il travaille avec nous sur chacune de nos parutions.

Comment choisissez vous les manuscrits que vous publiez ?

Je pense que mes choix sont à la fois très exigeants mais absolument pas élitistes ; en un mot, j’aime ce que tout amoureux de la littérature est susceptible d’aimer de son propre chef. Il m’arrive d’apprécier des choses complètement différentes, je suis tout sauf mono-maniaque en termes de goûts littéraires ! Le seul point commun entre mes publications est que tous les textes m’ont beaucoup plu.
Pour avoir envie de publier un livre je dois avoir ressenti à sa découverte une sorte de coup de coeur, un coup de foudre inexplicable. Je dois éprouver une sorte d’empathie, d’affinité pour le texte et l’auteur et surtout ne pas réfléchir davantage ! Aucune publication n’est forcée chez Zulma, les livres doivent me plaire, sans plus d’explications. Finalement, les livres sont à mes yeux comme les personnes : il existe tout un tas de gens aimables et sympathiques, mais ce ne sont pas tous nos meilleurs amis. A l’inverse, nos meilleurs amis ne sont pas toujours les plus plus beaux ni les plus intelligents. En résumé, je ne publie pas que des grands chefs d’oeuvres, auxquels je préfère largement de très bons livres qui ne laissent pas le lecteur indifférent et qui racontent une histoire de manière originale.

Sans être la seule éditrice chez Zulma, je tiens à lire tous les manuscrits ainsi qu’à être présente tout au long du processus de publication. C’est également une raison pour laquelle nous ne publions pas plus de 12 titres par an, je ne pourrais pas m’intéresser autant à chacun d’entre deux si je devais accélérer ma démarche.

Publier de la littérature étrangère modifie-t-il votre rapport avec vos auteurs ?

Je ne pense pas que la relation entre nos auteurs et nous soit différente lorsque ces derniers sont francophones ou parlent une langue que je ne maîtrise pas. L’unique distinction réside en la transformation du duo éditeur-auteur en un trio éditeur-auteur-traducteur. La relation professionnelle est véritablement intense avec les traducteurs, sans qui le processus ne serait pas réalisable. Mais  en aucun cas je ne publie de texte que je n’ai pas lus, quitte à les découvrir dans leur traduction anglophone ou directement en français. Cette précision peut paraître bête, mais lire tous les textes que l’on publie est une évidence à mes yeux qu’il est bon de souligner.

Zulma possède différentes collections. Pouvez-vous nous les présenter ?

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Je ne parlerais pas de collections, nous avons simplement deux formats : les grands formats et les poches. Le poche est arrivé en 2013 chez Zulma, sous l’appellation Z/a. Je publie sous cette appellation, des titres repris du grand format de chez nous, tout autant que des titres d’autres éditeurs qui n’existaient jusque là pas en poche.

Nous avons eu plusieurs tâtonnements car le poche pose certaines questions chez un éditeur en termes de positionnement. La question peut se résumer à : “Comment faire semblable et différent à la fois ?” Tout le système repose sur la confiance que j’entretiens avec mes lecteurs en tant qu’éditrice, tout autant qu’avec les autres intermédiaires de la chaîne du livre. Nous avons chez Zulma une maquette hautement reconnaissable, qui suscite un désir et un goût de lire chez nos lecteurs fidèles, une envie de nous suivre dans l’exploration de nouveaux textes. C’est pour cette raison principalement que, selon moi, le poche doit être en synergie avec le grand format ; pour conserver ce lien, cette confiance des lecteurs envers la proposition éditoriale de la maison. Maintenir le lien, tout en étant différent, voilà le paradoxe à réaliser.

Vous publiez également des ebooks : quel est votre regard sur le sujet ?

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Nous publions des ebook parce que ce format existe, mais il ne représente aucun enjeu particulier à mes yeux. Je n’y vois pour ainsi dire pas un grand intérêt. Certains lecteurs pratiquent cette lecture et y sont sensibles et c’est pourquoi je ne souhaite pas faire barrière à ce format et en priver mes lecteurs. Par ailleurs, c’est très intéressant en tant qu’éditrice de savoir ce que c’est de publier dans ce format, mais disons que je n’en attends rien de particulier. Je reste véritablement focalisée sur la papier et l’appropriation qu’il permet à ses lecteurs.

Quelle a été la bonne surprise parmi vos parutions de ces dernières années ?

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Rosa Candida a été une excellente surprise pour nous ! Il a été vendu à 100 000 exemplaires en grand format ainsi qu’à 200 000 en poche chez Points. Nous venons d’ailleurs de récupérer les droits poche. S’il fallait en expliquer le succès, je dirai que l’atout principal de ce texte est son ton. Très original, il possède un charme fou, une belle sensibilité, une grande intelligence du récit. Le ton est si différent du reste qu’à la lecture on croirait n’avoir jamais rien entendu de tel. Il existe un véritable décalage dans le regard de cette auteur et cela joue beaucoup sur le charme du texte.

Les librairies font-elles partie intégrantes de votre métier ?

A 100% ! Chez Zulma, nous sommes focalisés sur des livres que personne n’attend, puisqu’ils ne sont pas connus. La partie prescription n’en est que plus importante, puisque mes publications ne répondent à aucune demande en particulier.

Pour faire connaître un livre, la méthode est simple : il y a les journalistes et les libraires, dont l’action est, je trouve, absolument magnifique. Il s’agit là d’une transmission du registre de l’humain, de lecteur séduit à lecteur en attente de séduction. Les libraires sont des gens comme nous, qui connaissent eux aussi le besoin de parler d’une lecture qui les a touchés. Lorsque l’on aime un livre, on ressent l’envie d’échanger à son sujet et c’est exactement ce qui est appréciable chez nos libraires. Évidemment, il existe des livres qui se vendent tout seul sans que l’on puisse expliquer véritablement pourquoi, alors que d’autres ont besoin d’être portés.

Chez les libraires on retrouve également l’appropriation, ce phénomène bien connu des fous de lecture. Lorsque l’on aime un livre, on le veut près de nous, on préfère racheter un exemplaire et l’offrir plutôt que de prêter le nôtre, de peur qu’il ne revienne pas. L’appropriation est très forte à mes yeux concernant l’objet livre. Je pense que tout le système repose en résumé sur cette entente entre lecteurs, et sur des engagements personnels et forts envers la littérature. Tout comme nous, les libraires veulent les livres sur leurs étagères et adorent échanger à leur sujet ! Voilà leur force et voilà pourquoi ils font partie intégrante du processus de publication d’un ouvrage.

Concernant le devenir des librairies, je ne pense pas qu’elles finissent par disparaître. Beaucoup ferment, certes, mais nombreuses sont celles à être créées ! Les librairies sont des endroits merveilleux et beaucoup d’entre elles marchent très bien et sont en passe de devenir de vrais centres culturels à elles toutes seules. Ce sont des lieux d’échange, de partage, tenus par des gens passionnés, je ne vois aucune raison à ce que cela s’arrête un jour.

Pouvez-vous nous parler de la revue Apulée ?

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J’aime l’idée qu’une maison d’édition puisse également publier des revues. La revue Apulée n’est pas notre première expérience en la matière. Il y a deux ans, à l’occasion de la sortie de son troisième numéro, la Haïtienne IntranQu’îlités, publiée par les éditions Passagers des Vents, a rejoint notre système de diffusion. Revue littéraire et artistique, elle demeure animée et dirigée par James Noël, poète, chroniqueur et acteur haïtien, et Zulma participe de son côté à la fabrication. Cela a été le premier pas de notre maison dans la direction de la publication de revues.

De son côté, Hubert Haddad portait en lui  depuis quelques temps un projet du même acabit. Zulma s’est alors proposé de devenir l’éditeur de ce projet de revue, tandis qu’Haddad en serait le rédacteur en chef, entouré de ses amis écrivains à la rédaction. Pour le moment, Apulée publie un numéro d’environ 400 pages par an. La publication s’apparente à une revue de littérature et de réflexion décentrée : tous les membres de la rédaction ont un lien plus ou moins fort avec l’une ou l’autre rive de la Méditerranée, sans que cela implique que la revue soit méditerranéenne ; le regard de ses auteurs provient simplement de cette région et l’on évite par là le biais d’un regard parisiano-centré, que l’on trouve bien trop souvent dans ce genre de publication.  Le dernier numéro d’Apulée s’intéresse aux galaxies identitaires et je trouve que le thème y est abordé d’une façon très riche et passionnante. Pour ce numéro, plus de 70 contributeurs, réunissant au global près de 10 langues différentes, ont travaillé sur le sujet. On y trouve de nombreux textes traduits ainsi que des pages de poésie en version bilingue.

Nous nous rencontrons dans le cadre du salon du livre de Paris. Est-ce une habitude pour Zulma d’y être présent ?

Nous venons effectivement tous les ans, depuis un certain nombre d’années. J’aime ce salon pour plusieurs raisons. En tant que lectrice, j’en apprécie la festivité ainsi que que sa présentation par éditeur. J’aime redécouvrir les fonds des éditeurs, ce qu’on ne peut que rarement apprécier en librairies, où le classement est unique, par genre. Découvrir les oeuvres par éditeur est une façon agréable pour les amateurs de lecture d’aller à la rencontre des textes.

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En tant qu’éditrice, c’est un moment très gratifiant ! D’année en année, les lecteurs sont, je trouve, de plus en plus nombreux et enthousiastes. Au delà des rencontres professionnelles que permet le salon, le contact avec les lecteurs est un réel plaisir. Nous travaillons comme des fous toute l’année et voir les lecteurs enthousiasmés par nos parutions est une joie incroyable. J’adore entendre les lecteurs dire “c’est ma collection préférée”. En effet, je prétends publier une très grande diversité d’ouvrages et c’est rassurant de voir que les lecteurs me suivent dans cette aventure littéraire.

Cette année, nous emmenons sur le salon de Paris plusieurs auteurs tels que Răzvan Rădulescu, Miquel de Palol, Jean-Marie Blas de Roblès, Hubert Haddad ou encore Makenzy Orcel. Nous organisons également une rencontre autour de Théodose le petit de Răzvan Rădulescu et fêterons enfin le lancement de notre tout nouveau label…

Justement, pouvez-vous nous parler de Céytu ?

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Céytu est un nouveau label de chez Zulma qui propose des textes en Wolof, la langue la plus largement parlée au Sénégal.

3 titres marquent le lancement de ce label : la traduction en wolof d’Une saison au Congo d’Aimé Césaire, Une si longue lettre de Mariama Bâ et enfin L’africain de J.M.G Le Clezio. Ce label est dirigé par Boubacar Boris Diop qui écrit habituellement en français, mais qui a souhaité cette fois préfacer en wolof les ouvrages de ce label. Cet homme a enseigné plusieurs années la littérature wolof et l’aboutissement de sa carrière a toujours été pour lui la création de ce label. J’ai eu la chance de rencontrer cet homme et c’est ensemble que nous avons décidé de mener à bien ce projet, qui rassemblera la traduction des plus grandes oeuvres francophones en wolof.

La Corée du sud est le pays à l’honneur cette année au salon Livre Paris, quels sont vos rapports avec cette littérature ?

Nous la connaissons très bien chez Zulma ! Nous avons publié énormément d’auteur coréens pendant les 15 premières années d’existence de la maison, beaucoup de très beaux textes d’ailleurs. Après quelques années, ma curiosité à découvrir les textes du monde m’a instinctivement poussée vers d’autres choses et mon lien avec la Corée s’est quelque peu amoindri, sans pour autant, bien sûr, disparaître. Dans notre catalogue de parutions vous pouvez d’ailleurs trouver Le vieux jardin de Hwang Sok-Yong ou encore Monsieur Han du même auteur.

Sans pouvoir faire de généralités, la littérature  coréenne n’a absolument rien à voir avec celle de ses voisins asiatiques. Cette culture est très spécifique et cela se sent beaucoup dans sa littérature. La voix des narrateurs est très spéciale, très intéressante pour nous, public européen. Je trouve souvent dans ces textes des atmosphères singulières par rapports à celles des Japonais par exemple et c’est exactement en ça que réside mon métier : découvrir des voix uniques et singulières.

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