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Publié le 14 juin 2008 par Untel
On peut dire qu’il parle d’un sujet « de société », un sujet politique et moral : le sort des immigrés des pays d’Europe. Mais si le dit comme ça une larme risque rapidement de pointe au bord de l’œil, et on se dit : ah oui, c’est terrible. Certes ça l’est, mais là n’est pas le propos (c’est vrai qu’on a tendance à dire : heureusement, mais peut-être n’est-ce qu’une façon de prendre la pose). Il n’est pas là pour nous délivrer sa thèse ou pour nous emporter dans un combat politique, une cause, qui aurait ses dogmes et ses slogans. Si, à la limite, il nous délivre une vérité, c’est une vérité individuelle, et non une idéologie ou un idéalisme. Et vu le caractère du bonhomme, on aura du mal à en tirer une leçon. Il ne fait évidemment pas la morale il ne prétend pas même être objectif : tout ce qu’il veut bien nous montrer est filtré par son regard, désabusé, blasé, cynique et malveillant jusqu’au comique. Plus que ses opinions c’est la teinte qu’il donne à son récit qui nous importe et qui le distingue : la distance d’un type qui constate que de toute façon il n’y a rien à faire c’est comme ça, les immigrés se battent entre eux, selon leur lieu d’origine, ou selon l’ancienneté de leur séjour dans le pays « d’accueil », ils sont considérés comme des demeurés par les autochtones puisqu’ils ne comprennent pas leur langue et sont donc incapables d’exprimer une pensée digne de ce nom (le pays en question est la Suède, et le personnage est Uruguayen). Bref c’est son style qui nous plaît, il peut mentir, dire la vérité, ou n’importe quelle vérité, en réalité il reste partiale, et l’intérêt est de savoir comment un type comme ça, avec un tel état d’esprit, peut survivre, et ce qu’il pense. Peu importe d’ailleurs, à la limite, que l’auteur sache quelque chose de ce genre de personnes, ou même qu’il connaisse un type comme ça, ou qu’il partage son désenchantement. On trouve beaucoup de choses, mais pas vraiment de matière à théorisation, et il y a tout sauf des thèses : il y a des jugements de valeur sur les autres personnages qu’il rencontre, mais des jugements qui sont souvent fondés sur des a priori et une simple réaction émotionnelle, plutôt que, par exemple, sur leurs actes. On pourrait, à la limite, se confronter à ses jugements, penser qu’il est insupportable, que son mode de pensée est intolérable, mais sa ne nous empêcherait pas de continuer à le lire avec plaisir, tant sa mauvaise foi et son absence d’engagement dans ce qui lui arrive, son manque de volonté, nous amusent finalement, même si ce n’est pas toujours drôle. Mais on pourrait tout aussi bien imaginer un roman qui traite d’un personnage similaire d’un point de vue opposé. L’histoire d’un combattant idéaliste en lutte contre les structures sociales oppressantes des démocraties policières d’Europe. Des militants, des terroristes, des types engagés à mort, solidaires, et on pourrait tout aussi bien apprécier la beauté de leurs gestes, si on partage leur point de vue, ou considérer que ce ne sont que de simples connards tout en appréciant la qualité du récit. Il se pourrait très bien que ces deux romans opposés dans leurs perspectives soient bons, et même beaux. S’il y a une vérité elle est profondément sceptique (tout est possible – même prendre au sérieux et à la lettre certaines positions, et les privilégier à d’autres). Ça ne s’arrêtera jamais.
En lisant La Route d’Ithaque¸ de Carlos Liscano, et La Connaissance de l’écrivain, de Bouveresse

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