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Interview éditeur – Kana : souvenirs et bilan pour l’anniversaire des 20 ans !

Publié le 28 mars 2016 par Paoru

Kana 2015-2016 Interview

Suite des passionnantes interviews éditeur avec, pour ce mois de mars Kana et Christel Hoolans, sa directrice éditoriale. Une façon de faire un coucou à la Belgique, aussi, en espérant qu’elle se remet doucement et qu’aucun de vos proches, ami(e)s belges, n’est touché. Dans cette interview, beaucoup de choses sont au programme. En effet, Kana fête ses 20 ans en 2016, comme vous avez déjà pu le constater à travers différentes opérations promotionnelles (ici ou). L’occasion est donc parfaite pour revenir sur les débuts de Kana, sur les premiers succès comme les premières galères, les souvenirs et ce que Kana a pu apprendre de ses nombreuses expériences. Réalisée début février cette 3 interview avec l’éditeur était aussi l’occasion de tirer un bilan de 2015, dans l’optique de celui de JDJ, sur ce qui a bien marché ou pas : seinen, shôjo, shônen et même patrimoine ou manga français, tout y passe ou presque ! Sans oublier de se projeter sur 2016 en revenant sur les licences ratées comme OPM, My Hero Academia ou Platinum End, mais aussi l’avenir du manga et de Kana à plus long terme.

Un joli pavé donc, à dévorer sans plus tarder ! Bonne lecture

:)

Je vous parle d’un temps que les jeunes de 20 ans…

Bonjour Christel HOOLANS…

Cette année est celle de vos 20 ans donc on va commencer par un petit voyage dans le temps…Te souviens-tu comment tu es devenue éditrice de manga ?

Oh oui quand même !! (Rires)

Je suis arrivée dans le groupe Media Partici

Christel Hoolans
pations comme stagiaire chez Dargaud Benelux, qui était – et est toujours – dirigé par un monsieur qui s’appelle Yves SCHLIRF. À l’époque il était libraire à temps plein, avec sa propre librairie, et un jour par semaine il était éditeur. Enfin disons qu’il venait physiquement un jour par semaine dans les bureaux de Dargaud mais une fois que tu es éditeur c’est un travail à temps plein ! (Rires)

Pendant trois années (avant que j’arrive), il a essayé de convaincre le groupe de lancer un label de manga. De mon coté je faisais des études d’édition et il me fallait un stage en entreprise et comme j’étais une très très grande fan de bandes dessinées au sens large, quelque soit sa forme, je voulais absolument faire mon stage là bas.

Finalement je suis arrivée au bon endroit au bon moment en pleine préparation du lancement des éditions Kana. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler aux éditions Kana et que j’ai fini, après quelques années, éditrice de ce label.

Puis Kana a commencé par des titres qui évoqueront quelques souvenirs à certains : Angel Dick et Armagedon, deux manhwas !

Oui exactement, deux titres de Hyun-Se LEE. Nous avons commencé de manière très artisanale pour être honnête. C’était très différent de ce que la maison savait faire, à savoir des bandes dessinées franco-belges, nous n’étions pas vraiment des acheteurs de licence dans le groupe. Donc nous avons appris sur le tas.

Nous avons débuté par des licences coréennes parce que ce sont des excellents titres avec des excellents scénarios, mais aussi parce que ce sont les seules licences que nous avons réussi à décrocher. Ça a été un long chemin de croix pour acquérir des licences au Japon.

  

angel_dick Kana
 
Armagedon
 

Est-ce que tu te souviens des premiers contacts, là bas, avec la Shueisha ?

Oui, l’anecdote est célèbre même si je ne faisais pas partie du voyage je peux te la raconter…

Kana décide d’aller au Japon pour se présenter en « live » et nous faisons le tour des maisons d’éditions de manga dont la Shueisha. Yves y est allé avec François PERNOT, actuel directeur général de la société Dargaud – Lombard mais aussi patron du pôle image de Media Participations, qui était, à l’époque, directeur commercial. Il avait bien accroché au projet de Yves et avait décidé de l’accompagner. Évidemment, arrivés au Japon, ils sont reçus extrêmement poliment par un certain Monsieur MAKINO qui les a écoutés religieusement mais qui leur a dit en substance : « vous êtes bien gentils mais non merci, nous sommes les plus grands éditeurs au monde de bande dessinée et nous n’allons pas travailler avec vous ».

Ensuite, gros coup de bol. Yves avait avec lui un magazine japonais dans lequel il figurait, grâce à Carlo LEVY, le patron de Dybex. En fait Carlo avait fait à l’époque un article sur Yves et sa librairie : il trouvait très drôle qu’il importe des mangas en version originale alors que les lecteurs ne lisaient pas, la plupart du temps, le japonais. C’était assez étonnant et Carlo s’est dit : « tiens, je connais des journalistes au Japon, ils vont trouver ça drôle et on va faire un article là-dessus ».

Yves avait donc cet article avec lui et, avant de se faire claquer la porte au nez, il l’a glissé dans les mains de l’éditeur en même temps qu’il les remerciait de les avoir reçus. Très poliment toujours, monsieur MAKINO a lu l’article. Puis il les a arrêté, les a fait se rasseoir, et a appelé des gens… Et là, a commencé la vraie discussion.

Ce qui a joué à l’époque, même si ce n’est plus trop le cas aujourd’hui, c’était la passion d’un étranger pour le manga et la culture japonaise. « Ce type a l’air complètement passionné par notre culture, écoutons le cinq minutes de plus. »

Et ils sont donc repartis avec la licence de Saint Seiya.

saint-seiya-chevaliers-zodiaque-tome-1

Et c’est ainsi que tout a commencé !

Voilà ! (Rires)

Ces premières années sont donc ponctuées par Saint Seiya, Yuyu Hakusho, Conan

Oui Détective Conan était le second, chez Shôgakukan, et après ça s’est enchaîné avec Slam Dunk, Yu-Gi-Oh, Shaman King, Hunter X Hunter, etc.

Est-ce que ces œuvres ont tout de suite trouvé leur public ?

Oui, absolument. Alors pas au niveau de ce qui a suivi dans les années 2000 et encore moins au niveau de Naruto mais ces titres ont fortement marché et des œuvres comme Slam Dunk se sont extrêmement bien vendues à l’époque. Forcément la concurrence était moindre, les titres étaient plus visibles. Mais je me souviens que pour Yu-Gi-Oh, quand l’anime a été diffusé sur M6, nous avons explosé les ventes du manga qui ont été multipliées par 6, ça a été hallucinant !

 

Detective Conan
 
Slam Dunk
 
yu-gi-oh

De plus, nous étions à une époque où, nous, fans de mangas, nous achetions tout ce qui sortait, on pouvait encore !

Exactement, et ça se voyait dans les chiffres ! Nous avions un cœur de lecteurs d’environ 5 000 personnes qui achetaient absolument tout ce qui sortait. Pour donner un autre exemple avec Samurai Deeper Kyo qui est sorti en 1999 au Japon, nous avons vendu trois millions d’exemplaires. C’est colossal.

Cette aventure commence donc par du shônen. Puis est arrivé Psychometrer Eiji, comment l’avez-vous classé à l’époque ?

Nous l’avons mis dans la collection Dark Kana.

Comment est née cette collection ?

C’est le premier label que nous avons créé après nos titres shônen. En fait, à l’époque où nous avons sorti nos premiers mangas, il y avait en Belgique comme en France une vraie chasse aux sorcières. La police descendait dans certaines librairies mangas car, par méconnaissance peut-être, certains mangas adultes étaient classés avec des BD tout public.

C’était l’époque de la diabolisation du manga…

Oui il y avait vraiment une très mauvaise presse autour de ça. Quand nous avons sorti nos premiers shônens, des simples shônens pourtant, je me souviens qu’une association de parents soi-disant « bienveillante » nous avait envoyé une lettre en disant que Hunter X Hunter allait traumatiser les jeunes enfants à vie, que c’était un scandale de commercialiser ça.

Dans ce contexte là nous avons très vite créé ce label, Dark Kana, un label uniquement européen parce que c’est une segmentation qui n’existe pas au Japon : Death Note est vendu à coté de Naruto là bas, c’est la même tranche d’âge. Mais voilà, chez nous, il nous paraissait important de mettre un label un peu rassurant pour les parents, ça permettait de différencier les titres et de leur dire « attention ceux là sont un peu plus violents que les autres ». Donc Ghost in the Shell, Samourai Deeper Kyo ou Psychometrer Eiji étaient classés dans cette collection là.

 

death-note,-tome-1
  
samurai deeper kyo 01
  
hunter-x-hunter-tome-1

Ensuite sont arrivés les seinens…

Oui, pour nous ce fut Monster en 2001, dans la collection Dark Kana car nous n’avions pas encore de label seinen. Nous l’avons créé en achetant notre second titre du genre, Arms. C’est à ce moment là qu’est né Big Kana.

Pour ces premiers seinens est-ce que, dans la communication ou pour le lancement, vous aviez une stratégie différente par rapport au shônen ?

Honnêtement, non. Comme je te l’ai dit nous avons tout expérimenté sur le tas en attendant de voir ce qu’il se passait, en apprenant au fur et à mesure.

Monster 1
Il faut dire que Monster a été l’un des premiers seinens du marché français. Nous ne savions pas du tout où nous mettions les pieds. C’est d’ailleurs pour ça que nous avions préféré acquérir Monster que 20th Century Boys, pas pour le scénario mais tout simplement parce qu’il était plus court. Il s’est avéré être un énorme carton. De toute façon nous étions tombés amoureux de URASAWA et nous voulions absolument le publier.

Chez Kana nous avons toujours eu cette volonté de suivre les auteurs pour lesquels nous avons eu des flashs, de les éditer sur la longueur. Pour le coup URASAWA ça a tout de suite bien marché mais pour d’autres c’est plus compliqué mais cela ne nous empêche pas d’y croire énormément. Après les éditeurs japonais ne nous laissent pas toujours faire, malheureusement, car certains titres changent d’éditeur et en fonction des alliances nous n’avons pas forcément le titre suivant.

Si nous le pouvions, nous publierions pourtant URASAWA de A à Z. C’est pareil pour KISHIMOTO et dans notre esprit c’était aussi le cas pour OHBA et OBATA, ASANO, MATSUMOTO (Leiji et Taiyo) et autres…

D’ailleurs est-ce que vous rencontrez souvent les mangakas que vous publiez ?

De plus en plus en fait ! Un nombre croissant d’auteurs ne souhaitent plus avoir une protection marquée de leur éditeur et sont de plus en plus curieux de ce qui se passe ailleurs, notamment en France qui est un grand marché, et ils le savent.

La France est un pays qui a toujours fait rêver les Japonais, d’une façon générale. Donc savoir que leur manga est édité la bas c’est un peu le Graal. Et quand ils peuvent venir nous voir et participer à un salon, ils découvrent en direct les foules de fans venus les voir, ce qui les impressionne toujours beaucoup.

Ces rencontres sont assez rares au Japon, les auteurs sont tellement déifiés. Et puis ils ne sortent pas de chez eux car ils ont un tel rythme de travail qu’ils n’ont pas la place dans leur emploi du temps pour aller se balader le weekend sur un salon. Donc cet amour du public qui leur revient en pleine face comme ça, en direct, c’est intense !

Il y en a même qui prennent peur: j’ai eu le cas un jour d’un auteur à Angoulême qui, en plein milieu de la dédicace, s’est levé et est parti en courant… Nous n’arrivions plus à le retrouver c’était l’angoisse totale, pour nous comme pour lui. Pourtant c’était un grand auteur expérimenté mais cette proximité avec le public – qui était calme pourtant, qui respectait sa file d’attente –a déclenché chez lui une vraie crise d’angoisse !

Mais voilà, à l’époque, les auteurs que l’on rencontrait ne savaient rien de ce qui se passait en dehors de leur travail de mangaka : ils ne connaissaient pas la BD en dehors de leur frontière. Mais je constate que, depuis quelques années, ça change : ils essaient de se dégager du joug de certains éditeurs japonais, ils ne veulent plus avoir ses rythmes de travail de folie, ils commencent à voyager, ils s’intéressent à la bande dessinée à travers le monde et sont dorénavant capables de citer des auteurs qu’ils aiment bien en BD franco-belge ou en comics… Il y  a une curiosité pour le monde extérieur qu’il y avait moins avant, surtout parmi les jeunes auteurs.

Du coup ça change les choses lorsque l’on vient au Japon. Forcément au bout de vingt ans de relation nous sommes invités à des événements auxquels nous n’avions pas accès avant et où se trouvent ces auteurs. Puis nous avons aussi des contacts directs avec eux, via les réseaux sociaux ou parce qu’ils apprécient tout simplement notre travail… Tout en gardant une relation professionnelle avec l’agent ou l’éditeur, bien entendu.

Si l’on revient à notre historique… Nous avons évoqué le shônen, le seinen mais quid du shôjo, il est arrivé encore après ?

Il est arrivé en même temps que le seinen en fait, nous avons créé notre label shôjo avec Basara et l’année suivante nous avons publié Lady Oscar.

 

Basara 1
  
La rose de Versailles

Là encore il s’agissait d’initier et de tester un marché, quels ont été les premiers retours sur ces deux titres à l’époque ?

Ça a été compliqué pour Basara, pour des raisons que nous avons analysées après : nous sommes allés peut être un peu trop vite et trop fort. Basara est une série assez longue, une grande épopée historique avec un dessin peut-être un peu rédhibitoire pour le marché français car trop marqué, trop ancien, même si personnellement j’adore cette série.

Après pour Lady Oscar l’accueil a été plus réussi grâce à la série télé…

Oui il y avait déjà un historique local…

Oui voilà, c’est tout de suite plus facile ! Après c’est du shôjo donc on ne parle pas de ventes comparables avec le shônen mais nous avons vendu beaucoup de Lady Oscar, ce qui nous a permis de refaire une nouvelle édition récemment, et c’est très chouette de ressortir des titres dans un joli format, et de corriger au passage quelques erreurs de jeunesse.

À l’époque votre politique éditoriale était de « faire découvrir à la France la grande richesse du manga… »

Ça l’est toujours d’ailleurs !

Est-ce que cette politique éditoriale ne vous a pas tendu quelques pièges parfois, dans le sens où certaines thématiques sont difficiles à traiter, comme le sport, le furyo…

L’édition, dans le sens où nous l’entendons,  c’est de faire découvrir des auteurs, des livres. S’il y avait une recette ça se saurait et tout le monde l’appliquerait. Nous, ce que nous avons toujours voulu faire et ce qui nous a toujours motivé, c’est de proposer un catalogue qui soit le reflet du monde asiatique en général. Même si dans les faits les succès de nos titres japonais leur donnent la part la plus importante, il ne faut pas oublier tous les titres chinois et coréens que nous avons édités, en création ou en achat de licences.

Nous avons un catalogue généraliste, proposant des titres de tous les genres, pour tous les âges et pour tous les goûts. Donc nous essayons de ne pas nous répéter, en alternant les thématiques. Forcément il y en a qui fonctionnent mieux que d’autres, donc l’important est de trouver un équilibre entre les succès commerciaux qui vous font vivre et la découverte.

Le but est de faire découvrir un maximum de choses différentes, c’est comme ça que nous concevons l’édition. Donc lorsque nous proposons Inio ASANO nous savons très bien que nous n’allons pas faire de succès monstrueux (ce qui est vrai, en tout cas à date) mais il nous parait essentiel de le faire au même titre qu’un KAMIMURA par exemple.

 

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Kamimura Le club des divorcés

Donc, oui, nous nous sommes ratés sur certains sujets et nous pouvons en tirer des conclusions mais, en même temps, elles ne tiennent pas bien longtemps : des thèmes ou segments qui ne marchaient pas il y a quelques années commencent à marcher maintenant, comme le seinen qui explose ces dernières années alors que dans les années 2000 ce n’était pas si évident à faire émerger.

Si on reprend l’exemple du sport c’est vrai que nous nous sommes plantés avec Prince of tennis mais avec Slam Dunk nous avions fait un succès. C’est pour ça que même si nous avons connu des échecs, il ne faut pas à chaque fois en tirer des règles ou des conclusions définitives.

On arrive à la fin de cette première décennie pour Kana, en 2006, la fin de l’explosion du marché du manga en France et on ressent progressivement une certaine saturation du marché, à commencer par le secteur du shônen…

Oui beaucoup d’éditeurs se sont mis à augmenter leur production, d’autres ne faisant pas de manga jusque là et voyant son succès s’y sont mis aussi, et le nombre de nouveautés a explosé. Ensuite, effectivement, comme tous les best-sellers étaient du shônen, tout le monde s’est mis à en faire. Ça a été un peu le bazar ! (Rires)

Les ventes globales du marché du manga vont commencer à stagner vers 2008-2009, puis est venue la crise économique. Cette seconde décennie a été une période plus difficile… comment vous l’avez abordée chez Kana ?

Naruto
Nous étions d’abord un peu protégés par Naruto qui était un énorme best-seller, une ombrelle protectrice qui nous a permis de ne pas être trop inquiétés. Mais d’un autre coté, en interne, nous avons commencé à travailler très différemment les titres. Ça allait d’une réflexion en amont jusqu’à la sortie pour essayer de différencier chaque livre…

En fait nous essayions de travailler chaque titre comme s’il appartenait à un marché de niche : en fonction du sujet, de l’auteur, de son potentiel…. D’être beaucoup plus précis qu’on ne l’était avant, d’être plus original aussi, voyant en effet qu’il était de plus en plus difficile de faire émerger des titres, même s’ils étaient très bons.

Le but était de faire tout ça mais en continuant de proposer de nouvelles choses. À l’époque que tu évoques nous venions de créer Made In, un label que l’on considère comme plus underground, puis nous avons créé le label Sensei, présentant les grands maîtres méconnus du manga. L’idée était donc de mieux expliquer notre catalogue, d’en faire moins un fourre-tout et de plutôt proposer des tiroirs pour guider un peu les gens dans cette masse.

Nous voilà arrivés à 2015-2016. Avant de passer au bilan de l’année dernière : si tu devais retenir un moment de ce parcours, de ces 20 ans pour Kana, quelque chose qui t’a marqué…

Dans l’aventure Kana il y a plein de choses qui m’ont marquée mais je me souviens de nos 10 ans où on a réussi à faire imprimer le magazine Livre Hebdo à l’envers, dans le sens japonais, pour notre anniversaire. Ça prouvait que le manga en était arrivé à un tel point de notoriété que ce magazine de référence pour le marché du livre en France avait été imprimé dans le même sens de lecture que les mangas. Au niveau symbolique c’était assez génial, ça faisait un pied de nez à pas mal de gens autour de nous, auteurs de BD, éditeurs, concurrents ou dirigeants, qui nous disaient : « le manga c’est qu’une mode et ça va s’arrêter ». Et bien non. Et nous sommes toujours là.

À la différence des autres éditeurs plus jeunes c’est vrai que Kana a vécu ça pendant toute sa première décennie. Nous, lecteurs de mangas trentenaires, avons connu ça pendant l’adolescence, à l’école ou ailleurs, le fameux cliché du manga = sexe et violence !

Et nous avons eu le droit à ça pendant 10 ans effectivement, sans arrêt, c’était « vade retro satanas ». On nous disait « avec la BD on a vaguement réussi à faire comprendre aux gens que ce n’était pas une sous-culture et voilà qu’on recommence avec un truc qui ressemble à rien, qui vient de l’étranger en plus et qui va manger le pain dans la main de nos propres auteurs maison ! », etc.

Le temps a joué en notre faveur et les générations ont été remplacées par des adultes qui lisent du manga…

Et qui en font lire à leurs enfants !! Les chiffres le prouvent de toute façon, une BD sur 3 vendues en France est un manga, et ça depuis quelques années maintenant.

Une belle façon de refermer cette première partie, passons maintenant au bilan de l’année dernière…

2015 : bilan pour Kana, à l’heure de la reprise

Quel bilan tires-tu de 2015 pour le marché et pour Kana ?

C’est une année assez géniale au niveau  du marché car il redémarre fort, là où ceux du livre et de la BD restent plus ou moins stables. Le manga accélère et ce qui est chouette à voir c’est que cela se fait avec des nouvelles séries car, en 2015, les trois leaders que sont One Piece , Naruto et Fairy Tail régressent.

On parle d’un recul de 8-9% chacun…

Oui voilà c’est ça, alors que le marché fait lui +6.5% en volume et +8.5 % en valeur, donc c’est impressionnant. Le fait que ce soient de nouvelles séries qui viennent dynamiser ce marché est très intéressant.

Pour ce qui concerne Kana, on a vu le fond de Naruto repartir, après six années de baisse c’est pas mal. Nous avons la chance d’avoir deux titres qui font des percées importantes alors qu’ils sont là depuis quelques années : Assassination Classroom et Black Butler continuent à recruter et ne se contentent pas de rester sur un pallier atteint après leur lancement, donc ça c’est très bon signe. Nous avons aussi fait des bons démarrages avec Seraph of The End (15e meilleur lancement en 2015) et Devils Line (16e meilleur lancement de 2015) dans un tout autre genre…

 

Assassination Classroom 1
  
Black Butler 1 Kana

Devils Line est un beau pari, parce que tant qu’on ne l’a pas ouvert et qu’on se contente du pitch et de la couverture, ou de juste le feuilleter rapidement, on peut vraiment croire que ce titre est très bateau, un énième titre de vampire, alors que ce n’est pas du tout le cas !

Alors d’abord j’adore ces couvertures, je les trouve hyper accrocheuses et c’est d’ailleurs un retour constant que j’ai, par les libraires et le lectorat. Ensuite nous savions que ça n’allait pas être une évidence pour tout le monde, pour les raisons que tu as évoquées. Mais je trouve que, alors que le sujet peut sembler bateau, son traitement dans la série est quand même excellentissime. Même si son dessin – que j’aime beaucoup là aussi – pouvait sembler un handicap au début, tout le monde s’accorde à dire que c’est une série qui est à lire absolument.

Elle a aussi l’avantage sur d’autres titres du même sujet, d’être très mixte, mêlant fantastique, action et romance, ce qui est relativement rare sur les titres manga. C’est un peu comme I am a Hero qui est une grande déception chez nous, qui est du zombie que je trouve extrêmement bien traité et de manière beaucoup moins banale que nos amis de The Walking Dead pour ne pas les citer. Et pourtant ça se vend moyennement, en tout cas pas à la hauteur de son excellence.

 

Devils line tome 1
  
i-am-a-hero-tome-15

Comme nous l’avons évoqué dans nos colonnes, I am a Hero reste ce qui s’est fait de mieux en manga de zombie, comment tu expliques que ça n’ai pas pris avec le recul ?

Oh c’est difficile à dire. Peut-être que, justement, ce n’est pas le traitement habituel de ce type de série sur le zombie, c’est peut-être trop cru quelque part, parce que le dessin est hyper réaliste et que ça met donc un peu mal à l’aise. Il faut aussi passer le tome 1 parce qu’il ne donne aucune idée de ce qui vous attend ensuite… Pourtant nous avions fait une sortie conjointe des deux premiers tomes, en connaissance de cause.

Après c’est vrai que ce n’est pas joyeux. C’est vrai que le zombie traité par The Walking Dead il y a des amourettes, des petits trucs frais et légers, alors que dans I am a Hero il n’y a aucun espoir et ça va de mal en pis ! (Rires) On s’imagine que, si les zombies débarquaient, c’est exactement ça qu’il se passerait. Peut-être que les gens veulent des choses un peu plus fun, difficile à dire.

C’est vrai. Si on reprend notre fil de 2015… passons à du shôjo, avec Daytime Shooting Star !

Daytime Shooting Star_6
Ah c’est génial celui là ! C’est notre petit shôjo chouchou. Comme je le disais nous essayons pour tout notre catalogue de pas nous répéter et de prendre des choses inédites, ce qui n’est pas toujours facile en shôjo car la trame basique est souvent redondante et que seul le traitement varie. Mais Daytime Shooting Star est un peu dans la lignée d’un Sablier, très frais, un peu écolo, avec une fille de la campagne qui débarque à Tokyo et qui tombe sur un oncle assez différent de son souvenir, c’est assez drôle et mignon comme tout…

Et avec un dessin assez chouette…

Oui c’est vrai que c’est vraiment joli en plus.

Puisque l’on évoque le shôjo… On évoquait la façon de travailler les shôjos avec Bruno Pham de Akata en interview. Alors d’abord il disait, je cite : « notre départ de Delcourt a fait un trou, qui n’est pas encore comblé, parce que les gens ne savent pas le faire forcément comme nous –  encore que chez Kana il y a une ligne éditoriale plus proche. »

Ah ça fait vraiment plaisir car je trouve leur travail très très chouette moi.

Il a aussi évoqué les shôjos de chez Hakusensha. S’ils ne sont pas correctement présentés ou mis en avant, s’ils ne sont pas travaillés différemment, il constate que les shôjos de cet éditeur se plantent en France. Vous éditez justement ce mois-ci Telle que tu es de chez eux, votre avis là-dessus ?

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C’est vrai que si on les vend comme des autres shôjos ça ne va pas marcher. C’est plus difficile de placer un shôjo car vu la masse de nouveautés qui sont publiées chaque mois et le nombre de lecteurs potentiels (nettement moins que pour le shônen), encore que chez Kana, nous avons aussi une part non négligeable de lecteurs masculins pour nos shôjos car nous essayons de sortir des titres plus mixtes. Il faut faire, comme je vous le disais, du marketing de niche et mettre en valeur la particularité du sujet traité pour travailler autour de ça, faire des partenariats avec des sites qui vont évoquer ce sujet, etc.

Telle que tu es est un shôjo sur la difficulté d’être soi-même. L’héroïne est un peu rondelette mais elle le vit sans problème : elle est bien dans sa peau et n’a aucun problème avec le fait d’être ronde. Jusqu’au jour où le gars le plus populaire de l’école tombe amoureux d’elle et tout le monde se moque d’eux. Donc elle commence à se poser des questions : « mais pourquoi il s’intéresse à moi celui là ? Je ne suis pourtant pas dans les canons de beauté, je devrais peut-être commencer à faire un régime ? »

Elle se pose donc plein de questions, qui sont des interrogations qu’ont pas mal  d’adolescentes, que l’on retrouve sur des forums et qui touchent à des sujets comme l’anorexie et l’image de soi. Ça nous permet de travailler le titre autrement que « voilà un shôjo de plus sur le marché français ».

En tout cas nous avons un buzz génial et très fort pour Telle que tu es.

La thématique et/ou le sujet comme axe principal semble effectivement une bonne idée…

Voilà. Ensuite pour défendre les shôjos, c’est aussi intéressant de pouvoir suivre des auteurs, ce qui est plus facile dans le shôjo car il y a moins de concurrence sur les licences. Par exemple un auteur comme Io SAKISAKA (Strobe Edge, Blue Spring Ride) nous allons pouvoir faire directement le lien d’un titre à l’autre car le lectorat shôjo est assez fidèle aux auteurs comme aux titres. Ainsi nous pourrons faire un booklet du premier chapitre de la nouveauté de Io SAKISAKA qu’on pourra glisser dans le dernier tome de Blue Spring Ride.

Pour refermer cette parenthèse shôjo tu vas peut-être pouvoir nous éclairer car, sur l’année 2015, il y a deux sons de cloches : plusieurs éditeurs annoncent que leur segment shôjo se portent bien ou repart à la hausse et de l’autre coté les ventes globales de shôjo régressent… Comment l’interpréter ?

C’est vrai qu’au global ça baisse mais il faut rapporter ça au nombre de titres qui sort. L’offre est moindre : pas mal d’éditeurs qui en faisaient n’en font plus, en font moins ou en tout cas plus au même rythme qu’avant. Donc pour que l’analyse soit pertinente il faudrait comparer le nombre de nouveautés shojo avec le nombre paru en 2014.

Chez Kana nous gardons notre rythme de sortie, de 2 à 4 nouvelles séries par an. Comme les séries s’arrêtent beaucoup plus vite qu’un shônen, ça se renouvelle plus rapidement. Et si je regarde les chiffres de Kana pour le secteur shôjo nous sommes en croissance. Ce sont des ventes beaucoup plus petites, mais par exemple, chaque titre de Io SAKISAKA se vend davantage que le précédent, d’une série à une autre mais aussi d’un tome à l’autre.

 

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Bonne nouvelle ça… Allez revenons à notre fil 2015 !

Alors pour finir sur 2015 il y en a deux autres qui me tiennent vraiment à cœur et que je trouve très bons c’est d’abord Lesson of the Evil. Malheureusement il ne démarre pas totalement au tome 1 donc il faut lire aussi le second car après ça part crescendo et c’est magnifique. En plus je suis très contente car nous avons réussi à changer la couverture originale pour en faire une qui, selon nous, collait mieux au marché avec ses codes noirs et rouges proches du polar et du thriller. La couverture originale en jaune avec des plumes de corbeau faisait très littéraire et roman et n’était pas assez marquée. Le public risquait de passer à coté donc c’est bien d’avoir eu la validation des éditeurs japonais là-dessus.

Et quel accueil du coup ?

C’est une série qui se vend bien (on a passé la barre des 10 000 ventes nettes sur le tome 1 et on recrute à chaque tome. Une bonne dynamique donc.) Bien mais pas suffisamment vu l’enthousiasme que la série génère chez les lecteurs. C’est une série qui ne fait que 9 tomes et qu’on va continuer de pousser pour la sortie du T5, avec un pack « 2+1 » + un nouveau trailer pour présenter la série sous l’angle d’un nouveau personnage. 2016 sera l’année « Lesson of the evil » ! Nous pensons donc que nous avons encore une belle marge de progression sur cette série.

Et la seconde série qui te tient à cœur ?

C’est Levius.

Aaaah Levius !

Je suis hyper fière qu’on l’ait dans notre catalogue. C’est un extra-terrestre magnifique.

 

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levius-1-kana

Du coté de la presse spécialisée c’était un titre assez clivant, certains voyant cette innovation comme un trait de génie, d’autres trouvant ça moche et brouillon. Quel a été l’accueil global de votre coté ?

Vraiment très bon. Nous avons eu une presse dithyrambique sur ce titre, j’en ai jamais eu autant sur un ovni comme celui là. Ça a été l’occasion de toucher un public assez large, notamment par son sens de lecture car l’auteur a choisi de le publier dans le sens occidental alors qu’il est japonais.

Le public BD et les lecteurs de romans graphiques ont été très intrigués par la manière dont il dessine, avec ses flous en arrière-plan qui donnent beaucoup de puissance aux avant-plans. C’est une technique que très peu de Japonais utilisent. Il va beaucoup plus loin qu’une simple utilisation des trames pour donner du volume. J’ai eu aussi beaucoup d’auteurs de BD qui sont revenus avec ça en disant « waaaah, c’est quoi ce truc c’est terrible ! ».

Il faut parfois un peu de temps pour s’y faire mais après ça devient une évidence.

Complètement… Et ce qui est très amusant c’est que j’ai eu la chance de rencontrer l’auteur. Il est tout jeune alors qu’on aurait pu penser à quelqu’un d’expérience en voyant son travail. Et quand tu le vois dessiner ses pages c’est très étonnant : son dessin à l’air extrêmement lâché mais en fait quand il dessine il utilise des repères partout, il mesure sans arrêt, fait plein de calculs et de lignes de perspective avant de poser son crayon… c’est hyper cadré, très mathématique comme façon de faire, alors que le rendu parait très lâché, très libre ! C’était très intéressant à découvrir.

Est-ce qu’il y a encore eu d’autres choses marquantes chez Kana en 2015 ?

On pourrait encore parler de Seraph of the End qui marche très bien, de Kuro ou encore du Club des Divorcés le dernier KAMIMURA, par exemple. Sinon, un autre dossier important pour nous, c’est le simultrad, dont nous sommes très très contents même si, sur le plan purement business nous n’y sommes pas encore.

Izneo Kana

L’expérience était très intéressante à plein de points de vues : la négociation avec les éditeurs japonais, le développement technique bourré d’embûches, la réorganisation en interne mais aussi avec les freelances, etc.  Nous avons du apprendre à travailler complètement différemment…

C’est-à-dire, dans le timing ?

Oui tu es obligé de travailler par chapitre et tu as sept jours pour tout régler : recevoir le matériel, le nettoyer, le traduire, le corriger, le lettrer puis l’envoyer au Japon pour le faire valider et enfin le mettre en ligne.

Ah oui, quand même !

Sachant, que évidemment, rien ne fonctionne comme tu l’avais imaginé : on t’envoie le matériel mais tu le reçois pas, la technique bloque au moment où tu dois faire la mise en ligne, je t’en passe et des meilleurs. C’est une espèce de… Disons que de loin ça peut ressembler à une grande usine à gaz alors que c’est beaucoup plus organisé que ça !

Je me souviens d’une interview chez Mangacast où l’on ressentait effectivement les difficultés et une certaine fatigue…

Oui parce que, à ce moment là et en plus de tout ce que je viens de te dire, nous expérimentions l’application Naruto Simultrad et on devait à chaque fois attendre la validation de Apple de San Francisco qui fait le grand écart horaire avec le Japon, et je perdais encore un jour dans le processus. Apple n’arrêtait pas de nous mettre des bâtons dans les roues au départ. Heureusement, on a pu passer ensuite sur izneo, en direct sur le web, ce que le Japon avait refusé de faire au départ, pour plein de raisons différentes.

Nous avons donc dû montrer pourquoi ça ne fonctionnait pas, d’autant que lorsqu’Apple dit quelque chose, tu peux toujours faire la danse du ventre pour les faire changer d’avis, rien n’y fait. Et du coup c’est amusant parce que, pour la deuxième expérience sur le web, l’ibookstore a été parmi les premiers à mettre nos titres super en avant avec des bandeaux de dingue alors qu’on ne le leur avait même pas demandé ! (Rires)

Il faut trouver la bonne formule quoi…

Oui, voilà, il faut trouver, et tant que tu n’essaies pas tu ne sais pas. Nous n’aurions jamais imaginé avoir autant d’obstacles alors que nous nous étions très bien préparés avant…

En fait si on prend du recul on voit que sur 20 ans vous êtes un éditeur spécialiste dans l’essuyage de plâtres en fait ! (Rires) Après la sale réputation du manga à combattre, des secteurs entiers à défricher en payant quelques pots cassés au passage, vous avez remis le couvert sur le numérique…

Ca fait partie de notre philosophie d’éditeur, nous ne sommes pas là pour ne rien faire et attendre que les choses se passent. Nous préférons nous lancer, c’est ça aussi éditer! (Rires)

Tout ça nous amène justement au présent. Sur cette fin 2015 début 2016, nous avons appris plusieurs acquisitions de licences qu’on aurait pu attendre chez vous : Platinum End, My Hero Academia voire One-Punch Man… Quoi que, sur ce dernier, avez-vous fait une offre ?

one-punch-man-01-shueisha
Après ça fait partie de la compétition, en tout cas dans deux cas sur trois que tu as cités car pour Platinum End,  la compétition n’a jamais été ouverte dans la mesure ou Kazé a fait valoir sa première option et donc il n’a jamais été mis « sur le marché » si on peut dire…

Est-ce que Shueisha vous a expliqué ses choix ?

Les éditeurs japonais n’ont pas l’habitude d’expliquer le pourquoi du refus, quelque soit le cas, même pour l’approbation d’une PLV .

Pour One-Punch Man et My Hero Academia je sais que la compétition a été forte et je sais qu’en face de nous nous avions des concurrents qui ont fait des offres vraiment très hautes. Donc c’est le principe de la compétition. Même si pour One-Punch Man ce choix fait par la Shueisha de prendre un challenger aux partenaires historiques a été le même dans le monde entier, ce qui montre – enfin ce n’est qu’une analyse personnelle – qu’il y a une volonté de challenger les éditeurs entre eux, de donner une opportunité à certains bons compétiteurs, de faire un test.

La compétition était donc énorme. Après les éditeurs qui l’ont eu sont de très bons éditeurs de mangas donc tant mieux pour eux bien sûr ! C’est bien en tout cas que le marché acquiert de si bons titres, ça va forcément le redynamiser et ça va faire bouger les choses. C’est juste dommage qu’ils ne soient pas chez KanaRires !

Suite à ces décisions est-ce que vous vous êtes demandé s’il y avait un problème dans vos relations avec la Shueisha, est-ce que ça vous a inquiété de ce coté là ?

Évidemment nous nous sommes posés plein de questions, ça a été un échec pour nous… Nous avons donc fait notre « examen de conscience » en quelque sorte. Rires ! Nous sommes allés les revoir, nous leur avons posé plein de questions et nous nous sommes interrogés sur notre manière de faire… mais toutes les conclusions que nous pouvons en tirer sont très théoriques. De toute façon ça faisait un moment que nous avions commencé à nous réorganiser pour faire évoluer des choses chez Kana. Nous en avons tiré des leçons.

Pour autant je ne pense pas que nous ayons de problèmes avec la Shueisha, car le fait est que cet éditeur a acheté Kazé Manga donc pour Platinum End ce n’est pas une surprise, on s’attendait à ce que les gros titres aillent chez eux. Malgré ça nous avons quand même pu acquérir Assassination Clasroom et nous avions la chance d’avoir encore Naruto aussi. Donc quand tu es un éditeur japonais tu ne vas pas non plus mettre tous tes œufs dans le même panier. Ce n’est donc pas totalement anormal ce qui arrive avec One-Punch Man ou My Hero Academia.

Platinum End

Platinum End en couverture du JUMP SQ

Celui qui me fait le plus mal par contre, je l’avoue, c’est pour OBATA. Nous l’avons suivi depuis longtemps, nous avons toujours eu cette stratégie auteur chez Kana. Nous avons beaucoup travaillé les titres de cet auteur, car il ne faut pas oublier que Death Note a été beaucoup soutenu au lancement et tout au long de la série, ce n’est pas comme si nous n’avions rien fait ou qu’il s’était vendu tout seul, même si c’était la belle époque…

Kana a aussi essuyé de sacrées affaires avec Death Note en plus !

Oui aussi ! C’est vrai qu’à l’époque avec ces faits divers qui ont fait la une, nous avons dû faire face et nous nous en sommes bien sortis au final. La preuve c’est que, même s’il n’y a plus de nouveauté depuis des années, Death Note contredit complètement l’adage qui dit qu’une série finie est une série morte, car elle se place toujours dans le top des ventes, un peu comme Dragon Ball, sauf que nous n’avons même pas eu de nouvelles éditions et que toutes nos propositions dans ce sens ont d’ailleurs été déclinées par le Japon.

Ensuite nous avons fait Bakuman mais aussi Blue Dragon et en nouveauté il y a aussi la série qu’il a fait avant Platinum End (Gakkyû Hotei, NDLR) que nous sortons bientôt donc, voilà, nous avons vraiment suivi cet auteur alors que, comme tout le monde le sait, tout n’est pas égal dans ce qu’il a fait. Mais nous avons joué le jeu et nous avons fait notre travail d’éditeur donc, là, je t’avoue que ça a été vraiment dur d’avaler la pilule.

C’est d’autant plus frustrant que vous n’avez même pas pu faire une offre…

Oui voilà ce n’est même pas sur une proposition que la décision s’est faite. Nous aurions pu échouer même dans ce cas là, bien sûr, mais au moins tu peux essayer de comprendre ce qui n’a pas été. Là non, donc c’est vrai que c’est difficile. Même si on comprend la stratégie qu’il y a derrière, forcément.

Dernière question, tournons-nous vers l’avenir : après deux décennies passées sur ce marché français du manga, comment envisages-tu les dix ans à venir pour le marché du manga et pour Kana ?

Maintenant nous avons un marché du manga pérenne et installé. Je pense que le manga va continuer à représenter au moins 30% du marché BD et qu’il est là pour longtemps.

Je pense aussi que nous avons fait le tour des anciennes séries et du fond de catalogue du marché japonais, même s’il reste parfois quelques perles mais qui sont souvent bloquées par des problèmes de droit. Donc maintenant il va s’agir d’un travail de fond pour installer ces anciens titres, ces classiques qui sont très bons mais aujourd’hui un peu oubliés. Nous avons essayé plein de choses mais nous n’avons pas encore trouvé comment faire. C’est un aspect  qu’il faut creuser.

Ensuite il faut continuer de bien travailler les nouvelles licences, et l’émulation qu’on a évoqué avec les autres éditeurs nous y pousse, il ne faut surtout pas t’endormir sur tes lauriers même si tu fais beaucoup de chiffres et que tout se passe bien pour toi. Il faut rester sur le qui-vive.

Enfin nous voulons continuer de développer la création, même si nous n’avons pas l’intention d’en faire 50% de notre catalogue, mais plutôt de continuer ce que nous faisions depuis la naissance de Kana. Nous avons eu des bonnes surprises ces dernières années comme Une vie chinoise de Kunwu LI qui s’est très bien vendu et que nous avons pu publier dans 12 langues, il y a des titres comme Save me pythie que j’ai pu vendre au Japon : ce sont des chouettes expériences qui nous amènent vers d’autres choses et nous ouvrent d’autres perspectives.

Nous expérimentons donc d’autres pistes à côté de l’achat de licence qui reste, en tout cas chez Kana, une grosse partie du catalogue… et qui va le rester a priori, même si, avec moins de titres disponibles que par le passé au Japon il y aura – et il y a déjà – beaucoup plus de compétition ! (Rires)

Une décennie où il y aura de quoi faire, on ne va pas s’ennuyer ! Merci et encore joyeux anniversaire des 20 ans à la maison Kana !

logo_Kana

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Remerciements à Christel Hoolans pour son temps et sa bonne humeur !

Retrouvez toutes nos interviews éditeurs :

Akata (décembre 2015)

Doki-Doki (mai 2012, janvier 2014)

Glénat (mars 2009 – décembre 2012, janvier 2015)

IMHO (avril 2012)

Isan Manga (mars 2013)

Kana (novembre 2012 – janvier 2014, février 2016)

Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012 – décembre 2013)

Ki-oon (avril 2010 – avril 2011 – janvier 2012 – janvier 2013, avril 2014, février 2015, février 2016)

Komikku (mai 2014)

Kurokawa (juin 2012,  décembre 2013, novembre 2015)

nobi nobi ! (septembre 2013)

Ototo – Taifu (octobre 2012, novembre 2014)

Pika (avril 2013, décembre 2014)

Sakka ( juillet 2015)

Soleil Manga (mai 2013, mars 2015)

Tonkam (avril 2011)

Retrouvez également les bilans manga annuel du marché français réalisés par le chocobo : 2010, 2011, 2012 , 2013, 2014 et maintenant 2015 !


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