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Soft Power, euphémiser la domination

Publié le 29 mars 2016 par Fmariet
Soft Power, euphémiser la domination
Mingiang Li (edited by), Soft Power. China's Emerging Strategy in International Politics,  2009.  $13,05 (articles de Mingjiang Li, Gang Chen, Jianfeng Chen, Xiaohe Cheng Xiaogang Deng, Yong Deng, Joshua Kurlantzick, Zhongying Pang, Ignatius Wibowo, Lening Zhang, Yongjin Zhang, Suisheng Zhao, Zhiqun Zhu)
Cet ouvrage reprend, en l'appliquant à la politique culturelle chinoise, la notion de "soft power" (软实力). Cette notion a été élaborée par Joseph F. Nye dans son ouvrage Bound to Lead. The changing nature of American Power, publié en 1990.
Cette notion de science politique (international affairs) est confuse, voisinant avec un fourre-tout conceptuel mêlant des notions qui empruntent à l'idéologie (appareils idéologiques d'Etat, superstructure, légitimation), à l'impérialisme culturel, au colonialisme. En réalité, le soft power est une idée ancienne, classique, ânonnée depuis longtemps par des générations de jeunes latinistes : Horace déjà avait perçu le rôle de la culture dans les relations internationales quand il évoquait la Grèce, qui, vaincue militairement, brutalement, a finalement vaincu Rome par les armes, douces, de la culture, de la langue, de l'éducation... ("Graecia capta ferum victorem cepit et artes intulit agresti latio"Epitres, Livre 2).
Le soft power s'apparente à une sorte de "violence symbolique", peu perceptible voire invisible, tandis que le hard power est une violence brute, armée, évidente. A l'un, la séduction, le charme, la persuasion, l'attraction, l'admiration même ; à l'autre, la menace, l'intimidation, la force. Toutefois, la séparation des deux formes de pouvoir reste délicate. Un pouvoir doux peut se retourner : la puissance de certaines marques américaines et de leur marketing (branding) a été dénoncée comme symptôme de domination économique (McDonald's, Coca Cola, Disney, Barbie, etc.).
En général, le soft power succède au hard power de l'économie. C'est une arme diplomatique. De ce fait, la participation aux organisations internationales relève aussi du soft power.
Quelles sont les armes du soft power chinois ?
La langue chinoise appartient aussi au soft power, tout comme l'éducation : mise en place du système de romanisation pinyin (拼音), implantation d'Instituts Confucius dans les universités, échanges internationaux d'étudiants. Les technologies linguistiques et les industries de la langue : la traduction automatique est essentielle dans cette perspective (le travail de Baidu, etc.), le but étant d'effacer les barrières linguistiques et d'étendre son marché.
L'ouvrage dirigé par Mingiang Li compte 13 chapitres. Les premiers étudient les discours et les documents officiels chinois sur le soft power et la stratégie qui s'en déduit (c'est aussi un outil de politique intérieure). 10 chapitres traitent des forces et faiblesses du soft power chinois sous l'angle de la politique étrangère (notamment en Asie et en Afrique), de l'économie, de la culture et de l'éducation. 
Deux questions ne sont pas abordées, et c'est dommage :
  • Tout d'abord, le statut du discours multiculturel, tellement omni-présent : nous pensons notamment aux réflexions de François Jullien sur ce thème. Le discours sur le multiculturalisme, et l'humanisme universaliste dont il se revendique, pourraient-ils n'être qu'un paravent du "soft power", une douce illusion ?
  • Ensuite, où placer les pouvoirs du numérique qui semblent relever à la fois du pouvoir doux et du pouvoir dur, de même que la culture scientifique. Du point de vue chinois actuel, la culture traditionnelle, classique (confucianisme, taoïsme, etc.), relève également du soft power, ainsi que le sport et le divertissement (cinéma, jeux vidéo). La Chine met l'accent sur ces domaines (cfCinéma américain : Wanda, bras droit du Soft Power chinois) et sur les médias. Les gouvernants chinois déclarent que la Chine est encore faible sur ce point, face à l'hégémonie culturelle américaine, qu'il s'agisse de programmes de télévision, de cinéma ou d'information.
Les réflexions théoriques chinoises questionnant la relation entre hard power et soft power ne concernent pas que les Etats-Unis et la Chine (on se souviendra des accords Blum-Byrnes de 1948 ouvrant le marché français au cinéma américain en paiement des dettes de guerre françaises). Le soft power apparaît comme une euphémisation des pouvoirs économique et militaire. La conversion de la domination militaire en domination économique puis en domination culturelle pourrait être analysée comme une conversion de formes de capital (cf. Pierre Bourdieu, sur la conversion de capital économique en capital culturel). La domination culturelle est meilleur marché que la domination militaire, plus acceptable, plus présentable aussi. Revoir à cette lumière l'histoire coloniale et, par exemple, l'histoire des relations américano-japonaises après 1945 (cf. Ruth Benedict, The Chrisanthemum and the Sword, 1946). Revoir aussi le rôle joué par l'ethnologie dans ces politiques.


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