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[Avant-première] Mauvaise graine, faire germer l’espoir des limbes du réel

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

[Avant-première] Mauvaise graine, faire germer l’espoir des limbes du réel

Claudio Caligari, réalisateur italien, n’est pas ce que l’on pourrait appeler un auteur prolifique. En 33 ans de carrière, il aura mis en scène trois films dont Mauvaise graine, qui sortira le 11 mai 2016, sera le dernier, suite au décès du metteur en scène lors du montage. Cette fresque sensible, aux accents pasoliniens, évoque le quotidien de deux jeunes de la banlieue romaine dans les années 90 avec beaucoup de tendresse et un brin de fatalisme. Nous avons pu le voir en avant-première.

En 1995, à Ostie, Vittorio (Alessandro Borghi) et Cesare (Luca Marinelli) sont deux petites frappes locales. Amis d’enfance, ils vivent du trafic de drogue qui irrigue de son mal les banlieues autant qu’il les fait vivre. Leurs excès les mènent aux frontières de l’inéluctable. Lorsque Vittorio rencontre Linda (Roberta Mattei), une mère au foyer, il abandonne sa vie de voyou pour un travail de manœuvre sur les chantiers. Cesare ne comprend pas le revirement de son ami.

[Avant-première] Mauvaise graine, faire germer l’espoir des limbes du réel
Vittorio (Alessandro Borghi) et Cesare (Luca Marinelli)

Mauvaise graine est une fable profondément pessimiste empreinte d’une désillusion profonde qui puise dans une jeunesse, à la fois désœuvrée et désenchantée, les racines du mal. À cette jeunesse, il ne reste que le leurre de l’ivresse permanente ou le cocon rassurant d’une existence rangée à l’image de celle de leurs parents. C’est, d’un côté, accepter l’argent facile et les excès mortifères, de l’autre, mourir aussi, mais à petit feu. « Ne sois pas méchant », selon la traduction littérale du titre italien est tout autant l’invective que la société assène à ses enfants pour se dédouaner de toute responsabilité que la ligne de conduite qui sépare le malfrat de l’assassin. Vittorio et Cesare s’engouffre profondément dans une mauvaise passe qui les happe. Cette chute est consciente. Pour paraphraser une œuvre culte pour la jeunesse française de la même décennie, « l’important ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». La vie de rêve qu’ils souhaitent atteindre est d’autant lointaine qu’ils sont aliénés par leur condition sociale et la paupérisation de leur banlieue. C’est l’époque de l’explosion du sida et du trafic de drogue qui a touché plus durement les classes laborieuses. La seule alternative est de vendre sa force de travail à des patrons mafieux, souvent au noir, sans protection sociale. Et même s’ils ne le sont pas tous, se faire exploiter tout de même au vu du capital que notre travail dégage de lui-même. Mauvaise graine est une œuvre à propos de rédemption sur laquelle plane malgré-tout l’aigle vicieux de la destinée. Non pas que Cagliari veuille nous dire que nous sommes victimes d’une quelconque prédestination divine mais plutôt que le microcosme social dans lequel on a pu grandir, et tenter de s’épanouir, s’enracine au fond de notre être comme une vieille souche difficile à brûler.

[Avant-première] Mauvaise graine, faire germer l’espoir des limbes du réel
Cesare (Luca Marinelli)

Il y a peu de chance que deux gamins de la balle, issue des faubourgs appauvris de Rome, puissent devenir de grands entrepreneurs, si ce n’est dans l’illégalité. Dans tous les cas, l’appropriation du travail, et des fruits de celui-ci, par quelques-uns, restent immoral. La nièce de Cesare, qu’il prend comme prétexte pour continuer ses magouilles, ne serait probablement pas atteinte du VIH si sa mère avait eu une éducation sexuelle bourgeoise. Mauvaise graine traite aussi des ravages des drogues, même celle que l’on peut penser moins addictives, comme l’ecstasy. Il faut noter à ce sujet la prestation incroyable, rappelant presque Las Vegas Parano, d’Alessandro Borghi et de Luca Marinelli, véritablement habité lors de leur crises paranoïaque. Sans fard, le long-métrage dissèque également les non-dits d’une amitié à la virilité exacerbée qui va de pair avec une homophobie latente. Si l’on s’attache davantage au personnage très touchant de Vittorio qui, partant de rien, s’improvise père de famille, le personnage de Cesare verse un peu trop dans le misérabilisme facile. Il faudra l’intervention d’un justicier semblable au bijoutier de Nice, parangon de l’idiot congénital sans respect pour la vie humaine, pour que l’on se dise que merde, quand même, la vie est terriblement injuste. Mauvaise graine s’achève sur une note positive, Viviana (Silvia D’Amico), la femme de Cesare portant en elle, comme une graine dans un pot, les promesses d’un avenir plus radieux. La fraternité de Vittorio, sa solidarité innée, est là pour nous rassurer à ce sujet. Les mauvaises graines n’ont pas fini de semer ce trouble sur ce qu’elle dise de notre société, les marginaux éclairant à la marge, les aspérités du système.

[Avant-première] Mauvaise graine, faire germer l’espoir des limbes du réel
Viviana (Sylvia d’Amico) et Cesare (Luca Marinelli)

Mauvaise graine est une œuvre au réalisme poétique. Les rues d’Ostie semblent si vide que les personnages semblent évolué dans les limbes à la lisière de deux mondes parmi lesquels, il faudra bien choisir. Cagliari prend soin d’insérer, dans les interstices du récit, des notes d’espoir qui indique une troisième voix à découvrir encore. À travers les rêves des deux jeunes gens se dessinent un ailleurs inaccessible dont les amarres solides du réel cachent l’existence. Il ne tient qu’a nous de les arracher et de tenter le voyage utopique pour s’extraire de notre condition.

Boeringer Rémy

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