MAROC : Je n’irai pas à Casablanca

Le mardi 5 avril 2016, je reçois un courriel du Cabinet de la Secrétaire d'Etat bruxelloise au commerce extérieur, Cécile Jodogne, m'invitant à suivre une mission économique trirégionale dans les villes de Casablanca, Rabat et Tanger au Maroc. La mission mettra un accent particulier sur le développement des échanges économiques en matière de construction et d'éco-construction, un domaine qui me convient parfaitement avec mes activités autour de l'architecture et la production toute récente du film Brussels Builds Greener.

Le timing est néanmoins très court puisque la mission démarre le dimanche 10 avril à 14h20 par un vol de Jetairfly au départ de Charleroi. Je passe mon mardi à tenter de modifier l'ensemble de mes rendez-vous de la semaine du 11 et je réponds le mercredi matin que je suis intéressé. L'idée serait de produire, sur place, une émission Archi Urbain (BX1) sur la mission économique avec l'interview de divers intervenants.

Dès le moment où j'ai accepté l'offre, j'ai reçu une masse de remarques de mes amis trouvant intolérable que je puisse me rendre dans ce pays homophobe. A ce moment, le Maroc faisait la une des médias européens avec l'affaire de Beni Mellal, petite ville où deux homosexuels avaient été tabassés par leurs voisins. Une des victimes avait écopé de 4 mois de prison ferme alors que les agresseurs avaient, quant à eux, écopé de peines plus légères (deux mois de prison avec sursis). L'affaire avait pris encore plus d'ampleur lorsque Martin Weill, journaliste du Petit Journal sur Canal+, avait été arrêté au Maroc alors qu'il tentait de faire un reportage sur l'affaire en question.

Je me suis effectivement posé de nombreuses questions sur le bien fondé de mon séjour au Maroc mais aussi sur la présence de cette mission au Maroc. Même si la thématique n'était pas celle des droits des homosexuels, quelqu'un allait-il oser en parler ?

Au même moment, je lisais sur mon Facebook l'agression de Jordan Schaeffer, 25 ans, dans un Burger King de Miami pour le simple fait d'avoir embrassé son petit ami. Le message disait que ni le personnel, ni les clients étaient intervenus pour aider le pauvre Jordan. Devrais-je aussi boycotter les Burger King et Miami comme le demandent certains sur le réseau social ?

Quoiqu'il en soit, j'avais accepté et je partirai au Maroc.

Mercredi 6 avril, je reçois les billets électroniques. Je les imprime le jeudi en fin d'après-midi et découvre qu'il me faut un passeport. Je vais le chercher pour le préparer avec mes documents et je découvre qu'il est périmé depuis le 1er mars ! Damned ! Je contacte le Cabinet. La personne qui est en charge des journalistes ne semble pas être au courant qu'il faille un passeport. Elle contacte l'ambassade qui lui confirme. Je me retrouve le vendredi 8 avril à ma commune pour commander un passeport en urgence. L'employée me demande 290 euros. Je reste bouche bée mais je sais que je n'ai pas de temps de réflexion devant moi. Elle m'assure que je l'aurai lundi matin. Je commande.

Le Cabinet modifie mon billet de dimanche à lundi. Je ne pars plus avec Jetairfly de Charleroi mais avec Royal Air Maroc de Zaventem.

Lundi 11 avril 2016, 10h, je retourne à la commune pour récupérer mon passeport qui est bel et bien là. Tout beau, tout rouge. Je reçois mes billets par courriel vers midi. A 13h, je décide de quitter mon domicile pour me rendre à l'aéroport. Des embarras de circulation sont annoncés depuis ce matin sur tous les bulletins d'information. L'accès par le train n'était plus une option depuis les attentats du 22 mars dernier, je prends le métro jusque Schuman et ensuite le bus 12 jusque l'aéroport.

Je suis hyper impressionné par la débrouillardise du personnel de Brussels Airport et par le silence qui règne à l'aéroport. Félicitations et courage à tout le personnel.
Tout ira pour finir très vite. A 15h30, j'ai déjà passé la douane. Je me rends au Starbucks pour m'acheter un cookie et demande des nouvelles des employés du shop de l'entrée. L'employé me rassure en me disant qu'ils sont tous en vie même si certains ont été légèrement blessés. Néanmoins, ils restent tous en arrêt maladie suite au traumatisme subit.

17h10, l'annonce est faite pour l'embarquement. 17h40, l'avion quitte la gate et roule sur le tarmac. Quelques minutes plus tard, le commandant prend la parole : suite à un problème technique, nous revenons au parking. Le système qui permet de vérifier si les moteurs fonctionnent bien est en panne. 18h40, la réparation est effective. On repart sur la piste. 50 mètres plus tard, le pilote reprend la parole pour nous annoncer que la réparation n'a pas fonctionné. Retour case départ. L'ambiance reste détendue dans l'avion. Les passagers sont plutôt très compréhensifs et les hôtesses de l'air et stewards très souriants et à l'écoute. 20h30, la compagnie décide de nous débarquer de l'avion pour nous offrir un voucher de 13,40 euros afin que nous puissions prendre une collation dans l'aéroport. A ce moment j'aurai du être au Gala de la Mission en tenue de soirée...
21h45, une annonce déclare que le vol est annulé ! Les passagers sont séparés en deux groupes : ceux qui désirent dormir au Novotel de l'aéroport et ceux qui désirent rentrer chez eux. Ce second groupe inscrit son numéro de téléphone sur une feuille de papier afin d'être prévenus le lendemain des horaires du nouveau vol.

Pour ma part, je déclare que je ne partirai plus. La mission économique aura quitté Casablanca pour Rabat, j'aurai alors raté 2/3 de la mission, cela n'en vaut plus la peine. Je n'irai donc pas au Maroc. 00h45, je suis chez moi avec ma valise.

Entre-temps, l'affaire Beni Mellal a connu un léger retournement de situation au Maroc. La cour d'appel a commué la peine de la première victime à 4 mois de prison avec sursis (au lieu de prison ferme) et la seconde victime a, quant à elle, été condamnée ce lundi 11 avril 2016 à trois mois de prison avec sursis. Quant aux agresseurs, leurs peines a été alourdies. Ils ont été jugés à 4 mois et à 6 mois de prison ferme, alors qu'ils avaient été initialement condamnés à deux mois de prison avec sursis.

A Miami, les clients ont donné une toute autre version des faits que celle de Jordan Schaeffer. Il se serait en fait disputé avec son petit ami dans les toilettes et en revenant dans la salle, il aurait cherché la bagarre. Une version qui semble tenir la route au regard des images de surveillance du Burger King où l'on voit le jeune homme sortir des toilettes, discuter avec un type avant de se bagarrer et où l'on voit aussi des clients intervenir pour les séparer et le personnel contacter la police.

La mission s'est quant à elle terminée avec succès. La Secrétaire d'Etat bruxelloise au Commerce extérieur, Cécile Jodogne et le Ministre marocain du Commerce extérieur, Mohammed Abbou, ont signé un accord de coopération le mardi 12 avril 2016.

Il sera désormais plus facile et plus rapide pour nos entreprises de trouver des partenaires potentiels fiables pour atteindre les 30 millions de consommateurs marocains, voire le milliard d'habitants du continent africain. (Cécile Jodogne)

Toute la délégation est revenue par Jetairfly ce mercredi 13 avril 2016 en évitant la grève de Belgocontrol qui a perturbé le trafic aérien belge et mis en rogne les usagers les mardi 12 et mercredi 13 avril.

Photo cover : illustration du projet Business School française ESSEC dessiné par le bureau belge CONIX RDBM Archtitects.