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[Portrait d’innovateur] Clémentine Chambon dote l’Inde d’énergie propre pour développer le pays

Publié le 14 avril 2016 par Pnordey @latelier

Lauréate de l’édition 2016 du MIT TR 35 France, Clémentine Chambon crée une technologie hybride pour électrifier l’Inde avec de l’énergie renouvelable. Avec Oorja, elle ambitionne ainsi de participer au développement économique et social du pays.

Une innovatrice ?

Clémentine Chambon s'intéresse aux sciences et au changement climatique depuis toute petite. «Je me souviens d'un livre que je lisais enfant et qui s'appelait "50 choses que vous pouvez faire pour sauver la planète" ». C'est donc tout naturellement que cette jeune franco-allemande polyglotte prolonge sa scolarité par des études dans le domaine, en génie chimique à Cambridge puis en bioénergie pour sa thèse à l’Imperial College de Londres. « Je savais qu’après je voulais travailler dans les énergies renouvelables, pour moi c'est l'avenir ». En 2014, lors d'un programme d'été de cinq semaines organisé par Climate Geek, Clémentine Chambon rencontre celui qui deviendra le co-fondateur de son entreprise.

Avec Amit Saraogi, un Indien diplômé de Columbia en affaires internationales et développement politique et économique, ils lancent Oorja - qui veut dire "énergie" en hindi. Leur projet mêle sciences et développement social. « J’ai compris que je n’étais pas seulement intéressée par la technologie mais par le challenge de devoir l’adapter à une culture spécifique et à un contexte socio-économique précis ». En l’occurrence, celui de l’Inde. « Le fait d’être issue de plusieurs cultures et d’avoir grandi au contact de beaucoup d’autres aux Etats-Unis et en Belgique m’a probablement donné envie de m’intéresser à ce pays et a facilité mon intégration ».

Une innovation ?

« Le concept principal d’Oorja est de transformer des déchets agricoles en énergie renouvelable pour approvisionner des villages qui n'ont pas accès à l'électricité en Inde ». Et cela n’est pas rare. « 1/3 des gens qui n'ont pas accès à l'électricité dans le monde sont dans ce pays », cela représente « 450 millions de personnes » si on compte ceux qui ne bénéficient pas d’accès continu à cette énergie. Le projet pilote sera lancé dans l’Uttar Pradesh en octobre prochain. Dans cet état très densément peuplé de 200 millions d’habitants, les régions rurales sont très peu raccordées au réseau national d'électricité. « Et quand c’est le cas, ce n'est pas très fiable. Les populations n’ont alors que 4 à 5 heures d'électricité par jour », explique Clémentine Chambon.

Les nombreux déchets agricoles de cet état ont également motivé le choix d’y construire une première centrale. « On développe une technologie hybride (énergie solaire et biomasse) pour générer l'électricité dans un mini-réacteur et la transmettre via un mini-réseau qui approvisionne deux ou trois villages dans une zone de 2 ou 3 km autour du système », détaille-t-elle. L’électricité ainsi produite est destinée aux micro-entreprises mais aussi aux particuliers. Les revenus générés grâce aux premiers permettant de subventionner les seconds. « Le but est de d’inclure tout le monde dans ce changement vers une électricité renouvelable ». Pour cela et pour pallier d’éventuelles réticences, les porteurs de projets tiennent à apprendre à connaître les communautés au sein desquelles ils vont travailler. « Il est aussi important de comprendre le contexte socio-économique et socio-culturel avec le système de castes, de religions et toutes les divisions sociales ». Car l’objectif n’est pas seulement d’électrifier le pays mais également de participer au développement de ces zones rurales.

Quel impact sur l'Homme et la société ?

Santé, éducation, économie, environnement… L’impact est global, c’est sans doute le propre d’une entreprise sociale. En remplaçant l’emploi du kérosène et du diesel par des énergies renouvelables « les gens dépenseront 3 à 4 fois moins d’argent ». Ils arrêteront aussi ainsi d’utiliser des énergies « polluantes et nocives pour la santé ». L’électrification permettra également d’éclairer les rues « pour améliorer la sécurité des femmes et des enfants ». Les magasins pourront ouvrir plus tard le soir, générer plus de revenus, créer des emplois. « Et ces revenus pourront rester dans la communauté plutôt que d’être utilisés pour acheter très cher du diesel ou du kérosène de basse qualité ». Cela impactera également l’éducation puisque les jeunes pourront travailler plus tard le soir et que les écoles seront éclairées plus longtemps.

L’électrification et le passage à une énergie renouvelable contribuent aussi à l’émancipation des femmes. « Ce sont les femmes qui sont le plus victimes des énergies traditionnelles qu’elles utilisent pour cuisiner, souvent elles doivent aussi aller chercher le bois, ce qui prend parfois des heures, avant la longue préparation du repas ». Pourtant, elles sont rarement impliquées dans les choix d'énergie du foyer. L’alternative des énergies renouvelables pourrait les intéresser. « Il y a vraiment un lien entre l'émancipation des femmes, le développement des villages et les énergies renouvelables », affirme Clémentine Chambon. « Notre but est de promouvoir un développement durable dans la communauté à travers les micro-entreprises qui elles sont approvisionnées par l'énergie renouvelable. »

Oorja pourrait même contribuer à rassembler et unir les différentes communautés ou en tout cas à pacifier les relations et réduire les tensions. « Parfois, pour des raisons politiques, un village constitué d'Hindous est électrifié et celui d'à côté à majorité musulmane ne l’est pas car les promesses d’électrification – souvent non respectées - sont une manière d’attirer les votes ».

Et à l'avenir ?

Un développement dans d’autres états indiens est imaginable. « L’idée c’est de créer un modèle facilement reproductible et durable, ce qu’on voudrait ce n’est pas d'avoir 1 ou 5 centrales mais des milliers ». Pour Clémentine Chambon, « parler de concurrence dans un domaine pareil ne serait pas éthique, on souhaite être imité ». La jeune co-fondatrice n’exclut pas de développer son activité dans d’autres aires géographiques, et en Afrique notamment mais toujours « à condition de comprendre le contexte local et la culture du pays ». Pour l’instant, Oorja se concentre néanmoins sur l’Inde « où il y a toujours près d’un demi milliard de personnes qui vivent sans électricité ».

Le gouvernement indien a pourtant lancé un plan d’électrification « totale » de l'Inde à horizon 2022. « Pour eux électrification signifie qu'au moins 10% des foyers ont accès au réseau, cela ne concerne pas nécessairement l’ensemble de la population. » Pour cela, l’Etat souhaite construire des centrales à charbon et parallèlement des centrales à énergie solaire. Il reconnaît l’importance de l'énergie renouvelable, solaire et biomasse mais est aussi focalisé sur le prix. « Il y a beaucoup de zones rurales loin du réseau national d’électricité ce qui crée d’énormes opportunités pour construire des systèmes décentralisés qui pourraient être connectés au réseau national via des mini-réseaux interactifs », considère Clémentine Chambon.

Pour promouvoir le développement de ces micro-grids, Oorja est train d'organiser un sommet qui va rassembler des politiques, entrepreneurs, ONG qui travaillent dans le domaine de l'électrification rurale en espérant encourager ainsi des politiques publiques favorables à ces mini-réseaux. Et ainsi, contribuer à développer le pays.


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