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Lire le monde selon nos cartes

Publié le 18 avril 2016 par Fmariet

Francisca Mattéoli, Maps Stories. Histoires de cartes, Paris, 2015, Editions du Chêne, 173 p. Index géographique.
Lire le monde selon nos cartes C'est à première vue un beau livre, par le format, le poids et l'ambition ethétique, de ceux dont on dit en anglais qu'il sont voués à la table basse (coffee table book), livres "m'as-tu-vu", donnés à voir aux visiteurs. Mais ce livre est plus que cela, il présente une vision du monde en quelques dizaines de reproductions de cartes anciennes. Le monde vu à travers les cartes. Quelle éducation de l'œil faut-il avoir reçue pour voir un pays dans une carte, un voyage dans le tracé d'une route, d'un fleuve ? Car le livre ne présente que des cartes plus ou moins anciennes et l'on peut y lire, en actes, une histoire de la représentation graphique et de ses arbitraires, de ses codes graphiques inculqués dès les premières années d'école (cf. la cartographie de Paul Vidal de Lablache en France).
L'absence de photos, de tableaux fait voir que la carte, à elle seule, peut faire voir, rêver... qu'elle est liée à toute une culture visuelle, elle l'illustre. D'ailleurs, il n'est guère de média d'information qui ne montre des cartes.
Le livre qui est sans ambition théorique est organisé par thèmes. Ce sont des cartes des transports et des itinéraires d'avant l'aviation, le monde est vu d'en bas (cf. le Chili et les débuts de l'Aéropostale avec Mermoz, "caballeros de los Andes") ; souvent la distance de la découverte se mesure en mois. Voici les principaux thèmes et chapitres :
  • routes : de la longue Route de la Soie (Marco Polo) à la Nationale 7 des vacances en France, (996 km, première parmi les Routes Nationales, inaugurée par le Touring Club en 1903), de l'Estrad Real, la route de l'or et de l'eldorado. La Route 66, Main Street of America, qui mène de Chicago à Santa Monica (3945 km, Californie), construite par des chômeurs...
  • fleuves : Nil bleu et blanc dont on cherchera longtemps la source, Amazon, Mékong dont une expédition militaire cherche aussi la source
  • lignes de chemins de fer des trains intercontinentaux : Orient Express, Transsibérien, transcontinentaux de l'Amérique du Nord
  • contrées d'accès difficile (Alaska, Chine, Groenland, Madagascar, Pôle Sud), régions riches de ruines enfouies, de temples et de tombeaux (Angkor, Machu Picchu)
Involontairement, la carte énonce et parfois dénonce, comme la carte des langues indiennes de l'Amérique du Nord, qui situe des langues disparues comme ont disparu bien d'autres langues du monde. Le conquérant, le voyageur impose sa langue comme sa monnaie. Les cartes rassemblées par l'auteur sont des cartes de victoires, de conquérants, presque tous européens. D'autres cartographies, arabes (Al-Idrisi) ou chinoises, par exemple, seraient bienvenues. "La géographie, cela sert à faire la guerre" dit un géographe. Ou du marketing, continuation de la politique par d'autres moyens ?
A un commentaire factuel, l'auteur ajoute des éléments historiques et fait mesurer le patient travail des cartographes. Elle fait entrevoir la place de la carte dans léconomie : ainsi la carte du Sud-Est de la France est parrainée par les automobiles Panhard et les pneumatiques Michelin.
On suit en filigrane l'invitation aux voyages, l'appel à l'aventure et aux risques pris par des chercheurs d'or et d'argent, on suit la ruée d'explorateurs avides de notoriété et d'exploits dont il pourront tirer profit au retour (reportages, photographies, livres, conférences, journalisme). Héros ambigus et souvent tragiques : conquistadors, bandeirantes marchands portugais de minerai et d'esclaves du Minas Gerais (Brésil), militaires des troupes coloniales, risque-tout à la conquête du Far West...
Le livre fourmille d'anecdotes fameuses et nobles aussi. Ainsi du transport de vaccins anti-diphtériques en Alaska avec chiens de traineaux et mushers par les froids du Grand Nord (-65° C).
En même temps que ces routes de conquête, de missions et de commerce, on voit se dessiner les ancêtres du tourisme, des croisières ("jaune" et "noire" de Citroën en Chine et en Afrique), complices des expéditions coloniales et de l'exotisme. L'organisation d'événements "sportifs" souvent en a pris le relais... Marx l'avait dit : l'histoire se répète, la première fois en tragédie, la seconde en comédie...
Beau livre donc, avec des cartes pour rêver, et pour penser aussi.


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