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Alain Minc: "Hollande nous débarrasse du socialisme"

Publié le 03 mai 2016 par Blanchemanche
#socialisme #FrançoisHollande #AlainMinc

Pour l'économiste Alain Minc, "Les socialistes, pour la première fois, reconnaissent le monde tel qu'il existe." Il salue la "fin d'un mensonge idéologique", mais ne croit pas pour autant que François Hollande réussira à remonter la pente d'ici à 2017. Interview


Alain Minc:
Pour l'économiste Alain Minc, le virage idéologique de François Hollande est essentiel, mais il sera jugé sur ses résultats.
© Antoine Doyen pour L'Express
Vous êtes-vous trompé sur François Hollande?Comme tout le monde ! Je n'imaginais pas qu'il ferait un Bad Godesberg [commune où le SPD se rallia à l'économie de marché, en 1959], car c'est de cela qu'il s'agit. Les gens disent : Bad Godesberg, c'est un congrès des socialistes allemands. Certes, mais l'Allemagne est un pays parlementaire. Dans une monarchie comme la France, c'est le monarque qui impose Bad Godesberg à son camp. A mes yeux, quelle que soit l'intensité des mesures que Hollande va prendre, l'essentiel a été fait.  
Les socialistes, pour la première fois, reconnaissent le monde tel qu'il existe. Avant, ils se comportaient d'une manière qui montrait qu'ils l'avaient compris, mais ils ne voulaient pas l'assumer idéologiquement. C'était la "parenthèse", même au moment où Pierre Bérégovoy menait une politique si intelligemment libérale.  C'était toujours la parenthèse lorsque Lionel Jospin nous inventait son : "Oui à l'économie de marché, non à la société de marché." Là, les choses sont dites. Au fond, Mitterrand nous avait débarrassés du communisme, Hollande nous débarrasse du socialisme. C'est, pour la France, un pas en avant gigantesque. N'êtes-vous pas victime du verbe?La politique, c'est le verbe. François Hollande est désormais prisonnier des mots qu'il a dits. Je ne sais pas du tout s'il arrivera à faire passer les mesures qu'il a annoncées, mais sur les mots, sur l'idéologie, il ne peut plus revenir en arrière, ou alors il se suicide politiquement. Une autre chose me frappe : Hollande est maintenant devenu président de la République, je veux dire de la Ve République.  Jusqu'à présent, il avait gouverné comme un président du Conseil, chef d'une coalition dans une monarchie scandinave parlementaire. Il vient enfin de dire qu'il va utiliser les armes formidables que donne la Ve République au président pour mater une majorité parlementaire qu'il faut remettre dans le droit chemin : question de confiance, ordonnances, deux instruments qu'il n'avait jamais voulu employer. Chacun sait bien que ce qu'il a annoncé n'est pas au diapason de ses 300 députés, mais il s'est donné les moyens de les amener à résipiscence. Pourquoi ce revirement?Je vois trois raisons. La première, économique, est de loin la plus importante. Hollande a sans doute sincèrement cru que, quand la croissance allait revenir, tous les pays européens en profiteraient de la même manière. Il découvre ce que nous savions tous : sa politique allait faire de la France la lanterne rouge de l'Europe. Il existe trois facteurs de production : le capital, le travail et la confiance.  Or, Hollande avait allègrement détruit cette dernière. Il prend enfin conscience que, lorsque la croissance revient en Europe, vous faites 0,5 % ou 0,7 % de plus ou de moins que la moyenne, selon que vous avez su ou non créer un climat de confiance. Deuxième raison, elle, politique : s'il veut avoir une chance en 2017, Hollande a besoin de voix modérées. Or, on ne les achète pas dans le dernier mois d'un quinquennat.  Les gages se donnent trois ans avant. La troisième raison est humaine : Manuel Valls a commis un crime de lèse-majesté sous la Ve République en disant qu'il peut y avoir des circonstances où il pourrait être candidat en 2017. Quel était pour Hollande le seul moyen de ne jamais nommer Valls Premier ministre? C'est de faire sa politique ! Sur le social-libéralisme, vous y allez un peu fort ! Un libéral, aujourd'hui, supprime les seuils sociaux, démantèle la Sécu...Mettre à ce point l'emphase sur les entreprises et l'offre, ne plus évoquer la redistribution, parler pour la première fois d'abus et d'excès de la protection sociale, considérer que les services publics peuvent fonctionner avec moins d'argent, ce sont des pivotements idéologiques. Le temps perdu depuis le début du quinquennat, est-ce important ou pas?Pour son quinquennat, oui, car il a décidé de courir le 100 mètres après s'être mis des fers aux pieds. A l'échelle de la vie des idées, non, car cela fait cinquante-cinq ans qu'on attendait cette mise au point. C'est la fin d'un mensonge idéologique, qui était insupportable. En 1981, à part les Jean Peyrelevade, Pascal Lamy et autres qui étaient lucides, les socialistes croyaient à la politique qu'ils menaient. Je n'arrive pas à penser que ceux de 2012 croyaient au discours du Bourget. François Hollande soutenu par Alain Minc, on se demande si c'est bon signe pour lui...Vous permettez à quelqu'un qui a été brocardé pendant des décennies au nom du "cercle de la raison" de triompher un peu! Dieu sait si Jacques Chirac m'avait critiqué à ce titre en 1995. Je me réjouis que Hollande entre dans le "cercle de la raison". Mais ne me faites pas dire ce que je ne dis pas ! S'il a rendu un grand service au pays par son virage, il sera jugé sur les résultats de sa politique.  Or il s'est mis sur les épaules un tel sac de sable qu'il aura du mal en trois ans à effacer au mieux le prix des erreurs et des mensonges de départ. Il s'est désembourbé, il a éloigné une crise sur la dette française ­ c'est extrêmement important. Mais il a de vraies chances d'être battu en 2017 parce que la pente à remonter, à cause des décisions de 2012 est terrible. La France, cependant, ne sera pas dans l'état calamiteux qui aurait pu être le sien s'il avait continué la politique des premiers mois. Et voilà que des patrons comme Henri de Castries ou Jean-Paul Agon l'applaudissent...Je ne suis pas un patron, eux le sont. Nous ne disons pas exactement la même chose. Jean-Paul Agon affirme : "Il va réussir." Je pense que le président a fait quelque chose d'essentiel, mais qu'il ne redressera pas la situation économique dans une proportion suffisante pour changer le panorama politique d'ici à 2017 Les patrons ont eu tellement . peur qu'ils sont contents ! Qui plus est, ils savent maintenant que, même si François Hollande n'arrive pas à délivrer ce qu'il a promis, il n'y aura plus de mesures absurdes. C'est une assurance anti-bêtises. Après ce que l'on a connu fiscalement, c'est déjà un grand progrès... François Hollande fait-il aussi basculer le PS?Que peuvent faire les socialistes ? Voter la censure pour se retrouver à 50 députés? On sait maintenant que l'équation extrême gauche-gauche ne peut plus être majoritaire. La rupture avec l'extrême gauche est intéressante. Nous avons deux partis de gouvernement qui sont bloqués sur leurs ailes, l'un à l'extrême gauche, l'autre à l'extrême droite. La France va ressembler à un pays démocratique normal, dont le sort se joue par une bataille au centre. Le couple Hollande-Merkel, c'est ­ enfin ­ du sérieux?Non. François Hollande a une vraie politique internationale, je l'ai soutenu sur la Syrie ­ où ses décisions étaient très fortes ­, sur le Mali et la Centrafrique ; il n'a pas de politique européenne. Un "Airbus de l'énergie" [idée lancée par le président le 14 janvier] n'a aucun sens : le seul domaine où l'on ne peut pas coopérer avec les Allemands, c'est l'énergie, puisque nos politiques sont incompatibles. D'ailleurs, les Allemands sont aussi absurdes dans leur politique énergétique qu'il nous arrive d'être absurdes dans notre politique macro économique. Et nous sommes aussi rationnels dans notre politique énergétique qu'ils le sont dans leur politique macroéconomique. Le seul sujet, c'est de faire ensemble des propositions pour fédéraliser la zone euro. Il faut créer un mécanisme de transferts de souveraineté, avec des votes à la majorité qualifiée.  Sur ce terrain, Hollande a encore peur de ses "nonistes". Il est devenu blairiste, pas deloriste. Avec la présence dans la grande coalition allemande de sociaux-démocrates, qui sont beaucoup plus proeuropéens que les libéraux, il y a une fenêtre qui s'ouvre. On n'aura pas toujours en Allemagne un gouvernement avec autant d'Européens militants. La France doit être plus entreprenante ! Elle devrait proposer aux Allemands un groupe de travail commun... avec Jacques Delors comme représentant de la France ! Ainsi, l'Allemagne serait au pied du mur. 
Alain Minc: "La droite a, à mes yeux, deux candidats, et seulement deux: Nicolas Sarkozy et Alain Juppé"REUTERS/Philippe Wojazer
Le problème de la droite n'est-il pas tant que Hollande se recentre, mais qu'elle-même est trop à gauche?D'abord, la droite devrait tenir un seul discours au chef de l'Etat : bienvenue au club des réalités! Comme citoyens, nous nous réjouissons de ce changement de pied formidable; mais s'il s'agit de gérer le monde moderne, nous sommes plus capables, parce que nous n'avons pas les fils à la patte de Hollande, qui ont commencé à apparaître dans la révolte des barons sur la rationalisation des collectivités locales.  Ensuite, la droite française a un problème. Elle est libérale en économie, pas en matière sociétale, pour les raisons que l'on connaît : le Front national qui rôde, les résidus des manifestations antimariage gay... En tout cas, maintenant, elle n'a plus le choix! Avant même le tête-à-queue de Hollande, je pensais que la droite ne pouvait pas aller aux élections sans avoir un programme vraiment libéral. Car les socialistes ont rendu un service salutaire à la France : ils ont dégoûté à tout jamais le pays, et même leurs électeurs, des hausses d'impôts. Dès mai 2012, vous avez dit que la presse se poserait tous les jours la question du retour de Nicolas Sarkozy. Faux ! Nous avons déjà la réponse. N'est-ce pas un problème pour l'ancien président de ne pas avoir su cultiver plus longtemps le mystère?Je vous trouve bien sûr de vous. Vous-même, doutez-vous de son envie de revenir?Je pense qu'il décidera en temps et en heure, et ce n'est ni le temps ni l'heure. Nicolas Sarkozy s'est mis en situation de pouvoir y aller. De là à décider trois ans avant... Un homme politique intelligent ne décide jamais trois ans à l'avance. Est-il forcément le meilleur candidat pour la droite en 2017?Il est impossible de répondre aujourd'hui. A mes yeux, la droite a deux candidats, et seulement deux : Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. L'image de la France vous paraît-elle atteinte par les affaires privées du président?Non. Vis-à-vis du monde extérieur, les présidents de la République sont les successeurs des rois de France. Au Royaume-Uni, ce qui est interdit au Premier ministre est autorisé au prince héritier. Or le président français est à la fois le monarque britannique et le Premier ministre. De quoi Dieudonné est-il le nom dans la France d'aujourd'hui?Je ne suis pas en accord avec ce qui a été fait. Il fallait envoyer des huissiers à ses spectacles, relever toutes les infractions, demander l'application de la loi Gayssot qui est extrêmement sévère puisqu'elle va jusqu'à des peines de prison ferme, et ne pas lui faire cette incroyable publicité. On a créé un engrenage qui n'est pas sain. Transformer un antisémite en victime, c'est un oxymore. 

Alain Minc en 6 dates

1949 Naissance à Paris. 1975 Major de l'ENA. Entrée à l'Inspection générale des finances. 1979 Arrivée chez Saint-Gobain. 1986 Vice-président du groupe Cir International de Carlo De Benedetti. 1991PDG d'AM Conseil. 1994-2008 Président du conseil de surveillance de la SA Le Monde. Propos recueillis par Corinne Lhaïk et Eric Mandonnet, publié le 29/01/2014 http://www.lexpress.fr/actualite/politique/alain-minc-hollande-nous-debarrasse-du-socialisme_1318059.html#9Uu2imihrFcmh8Bi.01

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