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Nage libre, d'Olivier Chapuis

Publié le 07 mai 2016 par Francisrichard @francisrichard
Nage libre, d'Olivier Chapuis

Ceux qui connaissent les piscines du bord du Léman devrait reconnaître celle-ci, située à P*: Les deux bassins, l'un destiné aux nageurs, l'autre aux baigneurs qui se contentent de patauger dans quatre-vingts centimètres d'eau, sont entourés d'une belle pelouse tondue ras. Au nord, les vestiaires-douches-pissotières, à l'ouest, le  restaurant et, au sud, le lac qui scintille au coeur de l'été. Il n'y a pas de plage mais une digue de pierre bétonnée perpendiculaire à la pelouse.

C'est en ce lieu que se situe l'intrigue de Nage libre, d'Olivier Chapuis. Ce roman se présente sous la forme d'un journal intime, que l'on peut considérer comme un disque externe branché au central et censé en soulager la mémoire, sauf qu'en l'occurrence il s'agit d'un cahier, tenu du 8 juillet au 12 août, retrouvé là par un baigneur, qui n'a pas résisté à la tentation de le lire et qui a été alarmé par son contenu.

Le diariste apprend qu'il est atteint d'une maladie orpheline, le syndrome de Balthasar. Cette maladie aboutit à une animalisation du sujet: L'anatomie du patient n'est pas affectée - il se transforme progressivement et intérieurementen animal. En d'autres termes, il ne sera plus capable un jour de penser tel un humain, il sera un animal avec un corps d'homme. Une évolution qui peut lui être insupportable.

Les symptômes de cette maladie? Le patient se sent un peu patraque; il ressent des élancements dans la tête; les douleurs sont espacées dans le temps mais s'amplifient avec, sans que les calmants les soulagent. Le patient se comporte de plus en plus comme un animal. A priori cette maladie n'est pas contagieuse. Peut-être est-elle génétique. Il n'y a pour l'heure que quatre cas recensés dans le monde...

Comme un malheur n'arrive jamais seul, la loi de Murphy s'appliquant, la compagne du diariste le quitte quand elle apprend son infortune. Alors, comme il s'est surpris à se comporter comme un chien, et ne voulant pas le devenir, il décide de passer son dernier mois sur terre à la piscine, puis, à l'échéance, de se jeter à l'eau, bourré de médicaments et d'alcool, en espérant que la noyade sera douce.

Pourquoi une piscine? Parce qu'il regrette de ne pas avoir d'enfants, ce qui donnerait un sens à sa vie. Alors, la piscine, donc, parce que sous le soleil, dans la touffeur estivale, avec ces peaux couleur caramel mises en valeur par des maillots de bain à la présence presque confidentielle, l'érotisme se déploie: La piscine est séduction. La piscine respire l'amour, le sexe, la rencontre d'une nuit ou d'une vie.

Le lecteur apprendra donc, ou pas, pendant les trente jours qui suivent les résolutions qu'il a prises, si le narrateur fera la connaissance d'une femme, s'il parviendra à la mettre enceinte, si sa maladie aura continué d'évoluer et s'il mettra son projet de fin ultime à exécution. En tout cas cette maladie tombe à point nommé pour le faire, le point, puisque, traducteur-adaptateur indépendant pour des agences de publicité, il a décidé il y a six mois d'arrêter.

Ces trente jours sont l'occasion pour le diariste d'observer, par beau ou mauvais temps, le microcosme d'une population piscinophile, une Suisse en miniature. Il le fait avec humour, un humour, qui allège ses lourdes réflexions et se prolonge dans ses échanges avec de jolies femmes ou avec Monique, petite, mafflue, ventripotente, pas du tout le genre de femmes qui peuplent les rêves des hommes... ou encore avec un présentateur télé, qu'il ne possède pas...

Les piscines découvertes du bord du Léman rouvrent la semaine prochaine. Le lecteur qui s'y rendra après lecture de ce roman ferait bien de se remémorer ce passage:

J'ai nagé deux kilomètres. Un automate. A chaque virage, je me cognais contre le bord du bassin. Deux kilomètres sans reprendre haleine, les bras tendus, les jambes battant le rythme, tous les cinq mouvements je sortais la tête pour gober l'air...

Et cet autre:

J'ai regardé les montagnes, alignées au sud-est, sur l'autre rive, impassibles dans leur armure de granit. Sur les sommets, des névés résistaient à l'assaut de la canicule.

Il se rendra compte alors que la réalité dépasse bien la fiction, mais s'en serait-il vraiment aperçu sans le livre d'Olivier Chapuis? C'est pourquoi il ne pourra pas regarder comme avant la microsociété qui l'entourera; il la regardera d'un autre oeil, comme aiguisé par ce qu'il aura lu, qui n'aura pas ébranlé ses incertitudes, mais, au contraire, les aura renforcées.

Francis Richard

Nage libre, Olivier Chapuis, 144 pages, Éditions Encre Fraîche

Livre précédent:

Le Parc, 96 pages, BSN Press (2015)


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