C’est le printemps, il y a les quais parisiens qui s’emplissent, les coques des péniches qui vrombissent, les bourgeons qui éclosent, les vendeurs de roses à la sauvette… et puis il y a cet EP, Die Weiße Rose, de SHDW & Obscure Shape, fondateurs du label From Another Mind. Depuis avril dernier, cette toute fraîche release du jeune duo allemand plane comme un ovni sur les sets et dans les têtes. Après deux EP acclamés, Nachtblende puis Wenn die Masken fallen, à compter parmi les meilleures sorties de 2015, ce troisième EP consacre leur identité musicale, entre voyage mental et sonorités dancefloor.
La palette sonore est variée et précise, le travail sur les textures minutieux. Les deux amis brodent une dentelle numérique, raffinée mais brute, surréaliste mais dramatique. Assez loin de la mode indus aux kicks armés, l’esthétique est ici plutôt lisse, léchée, prenant son envol dans une atmosphère pesante. On navigue entre ciel et terre, entre jour et nuit. Et puis là, au loin, par le pouvoir du destin, une lueur rouge apparaît – le soleil ? Non. Un phare, qui nous appelle. Alors on déambule, on suit cette lumière au milieu des étoiles, les ondes dans l’eau, on y est : le Batofar. On s’engouffre dans son antre, en immersion, pour un voyage le temps d’une nuit en compagnie du label invité par Classic as Fuck : ce samedi 14 mai, à minuit.
Mais… la compagnie de qui ? Marco Blaesi (SHDW) et Luigi Urbano (Obscure Shape) sont ces quatre mains et quatre oreilles prodiges, originaires de Stuttgart, où ils ont lancé il y a peu, en avril 2014, les fructueuses soirées From Another Mind (FAM) dans le club Romy S. Soirées qui ont donné naissance à peine un an plus tard au label du même nom, une condensation en vinyle de l’énergie de ces nuits. Ils y font la promotion de leurs artistes favoris, et pas des moindres, on compte notamment parmi eux Inigo Kennedy, Randomer ou encore Function – ainsi que de leurs propres disques, créés dans une parfaite osmose. Ces talents émergents insufflent une nouvelle vie au paysage techno, appelés au Berghain et désormais un peu partout en Europe. On vous en dévoile plus ci-dessous.
Bonjour à vous, merci de nous accorder cette interview.
Vous êtes les étoiles montantes de la techno actuelle, mais on n’en sait pas encore beaucoup sur vous. Pourriez-vous nous raconter ce qui vous a mené à être partenaires de studio sous les noms d’Obscure Shape et SHDW ?
Luigi : Bonjour, merci. On se connaît depuis déjà plus de six années, durant lesquelles on a eu l’occasion de jouer ensemble plusieurs fois. Ce n’était pas prévu que l’on devienne partenaires de studio, même si on partageait presque les mêmes goûts musicaux. Après que j’ai joué pour la première fois à Stuttgart en tant qu’Obscure Shape, Marco et moi avons décidé de nous voir pour une session studio dans mon appartement. Ça a été une nuit très intense, avec de nombreux bons jams qui ont menés à toutes les autres sessions. Même notre premier track, « Nür Die Sonne War Zeuge », sorti sur le premier EP, est le fruit de cette toute première session.
Vous avez commencé par lancer les soirées From Another Mind en avril 2014 à Stuttgart, votre ville d’origine. Alors que Berlin semble polariser la plupart des évènements techno, était-ce difficile de se faire une place sur le territoire ? Quelle était votre motivation ?
Marco : Oui, tu as parfaitement raison ; il est encore difficile de faire la promotion de soirées dans le Sud de l’Allemagne avec des artistes moins « célèbres ». En ce qui nous concerne, la popularité du musicien nous importe peu, mais ses productions et DJ-sets doivent nous inspirer. Notre but est que les gens entrent dans le club pour la soirée en elle-même. Mais récemment, de nombreuses têtes connues ont rejoint nos soirées par attrait pour le genre de musique qui y passe, ce qui nous motive beaucoup à poursuivre le travail que nous faisons jusque-là dans les deux villes, Stuttgart et aussi Munich.
Puis assez naturellement, le label en est né. Quelle ligne musicale souhaitez-vous promouvoir ?
Luigi : Nos sonorités sont inspirées de nombreux vieux disques du début des années 90 que nous aimons passer. Mélodique, dramatique, puissant, groovy, hypnotique, trancy. Ils partagent plus ou moins la même ambiance derrière ces qualifications différentes. C’est notre objectif que les gens puissent finalement reconnaître nos tracks et leur attribuer une sonorité spécifique.
Donc pour mieux cerner votre univers musical : quelles sont vos influences, et vos tracks du moment ?
Marco : Comme disait Luigi, le début des années 90 influence pas mal nos productions. Mais c’est aussi le cas de Function, Answer Code Request, James Ruskin, Shed, et encore beaucoup d’autres bons artistes. En ce moment, on est vraiment sur Antigone, François X, Shlømo, Ryan James Ford, etc. – les français sont en feu !
On a pu entendre parler « d’intelligent techno » concernant votre musique, à savoir mentale tout en étant portée sur le dancefloor. Elle génère en tout cas un grand enthousiasme, à en voir les nombreuses quêtes de tracks ID à l’écoute inattendue du dernier EP en club. D’un point de vue technique, pourriez-vous nous décrire un peu vos processus et moyens de création ?
Marco : Pour le moment on travaille avec Ableton Live, quelques Plugs-Ins et un Midi-Keyboard. On possède quelques machines mais on ne les a pas utilisées dans nos productions jusque-là. Comme on aimerait commencer à faire du live en 2017, on compte les utiliser dans nos prochaines sessions, ou au moins, à terme, pour des shows.
Il y a quelque chose de surréaliste et de poétique dans vos productions, que l’on retrouve dans les titres mais aussi dans les illustrations très caractéristiques de vos EP. On se demande, qui est l’artiste ?
Luigi : Céline Bischoff, de Paris, est l’auteure de tous nos dessins. Elle est extrêmement douée et représente notre vision de l’art. Puis Nicolai Bähr s’occupe du graphisme et de la mise en page! En ce qui concerne les titres de nos tracks, on utilise toujours des titres de films en allemand. C’est un concept fixe que l’on veut conserver pour chacune de nos musiques.
Cette année, on vous entendra pour la première fois dans des villes européennes comme Turin, Amsterdam, Glasgow… et bien sûr très prochainement Paris, au Batofar. On est impatient ! Mais qu’est-ce qui vous a poussé à exporter From Another Mind dans d’autres pays et clubs ?
Marco : Pour être honnête, on ne s’attendait pas à ce que des promoteurs veuillent accueillir From Another Mind pour une nuit dédiée. Donc on est vraiment heureux d’avoir l’opportunité de représenter notre label dans différentes villes et pays. Ça nous rend fier de voir que tant de personnes croient en nous, au label et à notre musique.
Avec votre succès croissant, comment voyez-vous le futur ? Avez-vous des projets particuliers pour l’année à venir, comme par exemple un 4e EP… ?
Luigi : On attend vraiment avec impatience les prochains mois, avec tous les très beaux shows à venir. Par ailleurs, on sera très occupé en studio, beaucoup de choses doivent être arrangées. Notre 4e disque est presque fini. Ce sera un « FAM001-FAM003 Versions EP », avec huit remixeurs. En plus de ça, Marco et moi-même allons participer avec un track à un Various Artist qui sortira en juin.
Pour finir, la question traditionnelle du Limonadier : si vous étiez un cocktail, lequel seriez-vous ?
Luigi : Captain Morgan
Marco : Mojito, mais sans alcool, car je n’en bois pas (haha).
Cheers !
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