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Remix en Caraïbe 2016

Publié le 14 mai 2016 par Aicasc @aica_sc

Remix en Caraïbe

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Pour répondre à la thématique retenue par Tropiques Atrium Scène nationale pour le dernier trimestre de la saison 2015-2016, Classiques revisités, l’exposition Remix en Caraïbe se déploie dans la salle Arsenec

Les frontières entre appropriation, citation, remix, remake, reprise, parodie sont ténues et fluctuantes. Déclinaison de l’appropriation, le remix, entre respect et rupture, insuffle un nouveau départ à des œuvres pré-existantes en les re-contextualisant. Comment les plasticiens de la Caraïbe se sont- ils emparés de cette pratique combinatoire caractéristique de l’art contemporain? Quelles problématiques sont privilégiées par l’écart entre les œuvres citationnelles et les œuvres d’origine?

La pratique de la citation en peinture est ancienne et évolutive.  Ainsi Olympia (1863) d’Edouard  Manet revisité par Oneika Russell de la Jamaïque et Thierry Tian Sio Po de Guyane puise sa source dans la Venus endormie (1510)  de Giorgione et  la Venus d’Urbino (1538) du Titien. En effet, déjà, Edouard Manet, s’inspirait d’œuvres antérieures parmi les plus audacieuses mais pour mieux les transformer en révisant la perspective, le modelé, le contraste du clair – obscur et  le sens, insufflant une connotation contemporaine aux thématiques classiques.

Thierry Tian So Po L'image de l'occidental dans la peinture caribéenne n°2l'art

Thierry Tian So Po
L’image de l’occidental dans la peinture caribéenne n°2l’art

Oneika Russell Olympia serie

Oneika Russell
Olympia serie

Tout comme Picasso qui   multipliait  entre 1954 et 1955 les reprises des Femmes d’Alger  (1834) d’Eugène  Delacroix ou des Ménines ( 1656) de Diego Velasquez, tout comme Roy Lichtenstein qui réinterprétait à son tour Picasso, ces artistes de la Caraïbe  actualisent  les chefs- d’œuvre de l’histoire de l’art et les repeignent à leur manière. « Je ne crois pas que je fasse des parodies. Je crois que je réinterprète des œuvres antérieures dans mon propre style, comme Picasso quand il réinvente Velasquez, Delacroix ou Rembrandt » affirme Roy Lichtenstein.

Ces appropriations, hommage  ou dérision,  instaurent  un dialogue entre artistes à travers les décennies voire les siècles tout en amenant  l’artiste à méditer, s’interroger, sur sa propre pratique. Les remix de Ciro Art et  Ruben Alpizar, correspondent à cette catégorie.  C’est la peinture qui est le sujet de leurs tableaux.  L’appropriation et le recyclage iconographique sont  une constante de cette peinture érudite. Chez Ciro Art, c’est une mosaïque jubilatoire d’emprunts à la peinture comme à la sculpture des siècles antérieurs et d’éléments purement contemporains comme la BD, la publicité ou le polar, souvent à la limite du kitsch tandis que Ruben Alpizar conserve une facture classique que vient encore renforcer le choix des outils, crayon et aquarelle sur papier.

Cartel Alpizar1

Avec Marcel Duchamp apparaît une connotation ludique et parodique de l’appropriation lorsqu’il inscrit L.H.O.O.Q .  (1919) sous le portrait de Mona Lisa. On retrouve cette touche iconoclaste dans la série La Revancha d’Alpizar comme dans les contes numéoniriques de Jean- Baptiste Barret. Chez Barret, le sentiment d’étrangeté naît sans doute de la juxtaposition de paysages urbains d’aujourd’hui délaissés et désenchantés, le plus souvent nocturnes et de personnages empruntés à l’histoire de l’art, les citations allant de Raphael à Gauguin.  Ces mondes contradictoires coexistent baignés d’un humour subtil. Jean – Baptiste Barret et Ruben Alpizar partagent cette ironie légère ainsi qu’un mode particulier du remix qui isole et prélève des silhouettes isolées plutôt que l’appropriation d’une œuvre entière.

CdN04-©JBBarret

CdN04-©JBBarret

Cartel Alpizar4

Cependant les œuvres les plus nombreuses utilisent le Remix pour traiter de questions relatives aux trois problématiques identitaires : le genre, l’ethnie, l’orientation sexuelle. C’est un courant contemporain très en vogue particulièrement chez les plasticiens utilisant la photographie à partir des décennies soixante – dix et quatre – vingt.

 Pour contester le manque de visibilité du noir dans l’histoire de l’art, Renée Cox et René Peña magnifient la beauté du corps noir dans des autoportraits fictionnels. René  Peña incarne en effet tour à tour le  Marat (1793) de Jacques Louis David  ou le  David (1430-1440) de Donatello tandis que Renée Cox   se met en scène sous les traits de l’Olympia (1863) ou d’une femme nue du Déjeuner sur l’herbe (1862-1863) d’Edouard  Manet ou  de la Grande odalisque  d’Ingres.  Cette revendication prend aussi quelquefois une connotation politique, sociale et féministe chez Renée Cox dans des œuvres plus provocatrices,  Yo Mama’s last super et Bullets at Green River inspirées de La Cène (1495-1496) de Léonard de Vinci ou  de Saint- Sebastien ( 1480) de Mantegna.

René Peña Samouraï

René Peña
Samouraï

La présence minoritaire du noir dans l’histoire de l’art, sa position secondaire dans la société est soulignée et mise en cause par l’inversion de l’appartenance ethnique des protagonistes du tableau de Manet chez Thierry Tian Sio Po, par l’effacement  progressif de la maîtresse blanche jusqu’à la fusion totale dans le décor chez Oneika Russell ou par la substitution de mannequins  métis aux modèle européens chez Marvin Bartley.

En inversant  l’appartenance ethnique de la servante et de la maîtresse, Thierry Tian Sio Po stigmatise avec ironie le peu de visibilité de l’art de la Caraïbe sur la scène internationale et se dresse contre les représentations raciales et sociales conventionnelles tout comme l’ont également proposé des artistes comme Larry Rivers dans  I like Olympia with a black face (1970)  ou Wenjue Zhang avec Self- portrait after Olympia (2013). Quant au  japonais Yasumasa Morimura, il   a interprété lui-même les deux personnages, Olympia et sa servante, dans Portrait Fugato (1988)  doublant  le questionnement ethnique d’une interrogation sur le  genre et l’orientation sexuelle.

La relecture féministe et post coloniale d’Oneika Russell se veut plus radicale :

Le tableau de Manet, Olympia, a été le centre d’intérêt aux yeux des artistes qui se passionnaient pour l’histoire de l’art; ils l’ont ainsi retravaillé et exploité dans leur contexte personnel.  Cela   a permis des relectures féministes, post- coloniales et raciales. Je trouve cependant que la figure d’Olympia reste le point central d’intérêt des œuvres de ces artistes. Ils s’intéressent très peu à l’autre personnage, celui de la servante. J’ai voulu approfondir davantage  ce personnage parce que je peux m’identifier à lui. Quelle était son histoire ? A l’époque  j’utilisais un motif pour représenter certains modes convenus d’occidentalisation et de colonisation, c’est pour cela que j’ai décidé d’utiliser cette peinture pour en tirer un dessin et de placer ce motif en décor  de façon à détourner la célèbre composition et l’intégrer à mon propre langage visuel.

Comme à ce moment-là je   faisais des recherches sur le temps et l’animation, j’ai produit à partir de ce dessin initial une série d’impressions. Les seize  épreuves obtenues ont ainsi fait partie d’une exposition de même qu’une animation montrant les dessins et les épreuves imprimées.

cartel Bartley Good

Dans ses reconstitutions photographiques de chefs- d’œuvres   picturaux du passé,  Rubens, Botticelli, Delacroix, Marvin Bartley remplace les protagonistes européens par des modèles antillais   afin de critiquer l’eurocentrisme  culturel dominant  tout en abordant des problématiques contemporaines jamaïcaines : la foi religieuse, l’étroite relation entre une carnation plus ou moins claire et l’ascension sociale.

C’est la vision exotique et erronée de la femme de couleur que les peintres modernes, de Gauguin à Enrique Grau Araujo, affichent dans leurs peintures  que remettent en cause les collages de Joiri Minaya.

Joiri Minaya Postcard IV

Joiri Minaya
Postcard IV

Cdn15© JB Barret

Cdn15© JB Barret

Afin de déconstruire ces clichés, à la fois dans les peintures modernes et dans l’imagerie touristique contemporaine, Joiri Minaya s’inspire des représentations de la femme de couleur de Gauguin, Vela- Zanetti ou Grau Araujo mais aussi d’images empruntées à des sites internet destinés «  aux hommes qui aiment les femmes exotiques ». Des fragments de corps sont isolés puis intégrés dans de nouvelles compositions numériques.

Qui a représenté qui,  tout au long des siècles ? De quelle manière ? Pour le plaisir de qui ? L’artiste témoigne ainsi du lien entre des œuvres historiques et des publicités touristiques contemporaines autour de la  double articulation, homme/femme, colonisateur/colonisé.

L’origine du Monde de Christian Bertin comme Andrew de la série Head Case de Russell Watson entretiennent un lien plus distendu avec leurs œuvres sources, respectivement l’Origine du monde de Gustave Courbet (1866) et La jeune fille à la perle de Johannes Vermeer (1665)

Cartel Alpizar6

La transposition de L’origine du monde par Christian Bertin est un assemblage de timbales métalliques récupérées sur le site d’une ancienne prison. Collées sur un pan d’acrylique noire, elles forment un triangle dont la pointe est orientée vers la gauche et a donc effectué une rotation d’un quart de cadran par rapport au triangle pubien de Courbet. Pour l’artiste, la parenté réside dans la forme triangulaire, la couleur noire et le creux symbolique des timbales. Le triangle réaliste, provocateur, érotique de Courbet se veut chez Bertin une provocation historique en relation avec le commerce triangulaire.

Dans les portraits de Russell Watson, les objets personnels des modèles sont associés à leurs visages afin de souligner les centres d’intérêt et les expériences de chacun  et démontrer les liens conservés par les immigrés caribéens  avec leur communauté d’origine.

cartel Watson

Par ailleurs le Remix participe du décloisonnement des disciplines si caractéristique de l’art d’aujourd’hui. Ainsi ces interprétations contemporaines d’œuvres du passé s’accompagnent d’une permutation technique. De la peinture à la photographie post- moderne  avec Renée Cox, Jean – Baptiste Barret, Marvin Bartley, René Peña, Russell Watson, au collage numérique avec  Joiri Minaya, à l’animation vidéo avec  Oneika Russel. La métamorphose peut – être encore plus complète comme chez Christian Bertin,  Ruben Alpizar, Thierry Tian Sio Po où l’objet remplace la peinture ou s’y  insère.

Ces quelques illustrations de la pratique du remix très répandue dans la Caraïbe comme ailleurs depuis le début des années quatre – vingt tissent une passerelle  entre peinture classique ou moderne et art contemporain. Elles font perdre leur sens premier à l’original  pour lui conférer un sens nouveau en le re-contextualisant. Ce qui compte c’est l’écart et le message qu’il véhicule, offrant une relecture de l’histoire de l’art ou une lecture du monde d’aujourd’hui.

Dominique Brebion  &  Monique Mirabel

Mars 2016

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