Un piano orchestral pour le Sacre du Printemps

Georges Pludermacher, pianiste que je porte parmi les interprètes qui m'ont le plus marqué depuis plusieurs décennies, a effectué un travail considérable et magnifique consistant à transcrire et interpréter pour piano une oeuvre monumentale : le Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky.

J'avais eu le privilège de l'écouter interpréter cette transcription dans le cadre des Fêtes Musicales du Château de Pionsat en juillet 2012.

Depuis, il l'a registrée, dans une version "live" en 2013 et le disque est sorti récemment, produit par Jean-Paul Bazin d'Arts et Spectacles.

Le choc à l'écoute reste intact, ce d'autant plus que la qualité de l'enregistrement est remarquable. Le piano est très présent, sans réverbération, avec une excellente projection et beaucoup de naturel.

Au delà de la performance technique époustouflante, Georges Pludermacher nous emmène dans un voyage fantastique en tenant la ligne jusqu'au bout, révélant toutes les couleurs orchestrales, avec une maîtrise rythmique proprement hypnotique. Il a atteint un tel niveau d'intimité avec cette pièce monumentale que le piano déroule tous les plans qui construisent ce récit avec un naturel impressionnant et la magie opère dès les premières mesures sans faillir une seule fois. La rythmique est admirablement maîtrisée, les forte sont charnus, envoutants mais sans aucune agressivité, tant l'équilibre des voix est maîtrisé.

Le thème d'introduction prend d'emblée une couleur assez "jazzy". On ne peut s'empêcher de découvrir à quel point ce Sacre, comme certaines pièces de Maurice Ravel, sur lequel je reviendrai un peu plus tard, préfigure les grandes pièces pianistiques ou orchestrales de Jazz. D'ailleurs, Georges Pludermacher, est un grand passionné de Jazz et on ressent à quel point son jeu reflète aussi cette influence sur le plan formel. 

La densité de son interprétation sur les différents tableaux suivants est magnifique. La maîtrise de la complexité rythmique extrême de certains passages vous envoûte littéralement (ex : le cortège du sage et la danse de la terre qui s'enchaînent avec leur structure complexe, diabolique, inquiétante). Là encore, est évoqué, de façon subliminale, le monde du Jazz avec l'exercice de l'improvisation où les harmonies doivent s'enchevêtrer et sortir des sentiers battus.

Dans d'autres passages, Georges Pludermacher nous emmène avec l'élégance qui le caractérise et qui s'impose, dans un monde ravélien et symboliste (ex: le largo de la deuxième partie, le Sacrifice).

L'ampleur orchestrale, ses couleurs, le rôle que jouent les différents pupitres, le legato du solo d'introduction du basson, l'introduction du hautbois et des autres instruments, tout y est, sans aucune faille, avec un équilibre saisissant des voix, une ligne restant parfaitement claire (visiblement pas ou peu d'usage de la pédale qui confirme à quel point le travail est maîtrisé et sans filets ). On notera également un toucher suffisamment charnu et dense que demande cette oeuvre, évoquant un monde primitif et virginal mais aussi une pulsation régulière, naturelle, implacable. Tout est parfaitement en place avec une architecture admirablement pensée et un respect du texte très rigoureux. Sans parler de la prise de risque permanente, que l'on ne ressent pas en tant qu'auditeur vue la maîtrise de l'interprète, mais qui reste onmiprésente du fait du caractère "dantesque" de la partition. Certainement un des plus beaux enregistrements que j'ai été amené à écouter depuis plusieurs années.

Une toute dernière piste est consacrée à un travail effectué par le pianiste en collaboration avec Georges Paczynski, grand batteur de Jazz. Exercice d'improvisation, de dialogue et de confrontation piano / percussions, qui fait bien entendu écho au Sacre et déployé, en fonction de l'humeur captée ce moment là, le 1er février 2013.

Indéniablement un coup de coeur du poisson rêveur.

Le disque est en vente sur le site d'Arts et Spectacles.

Igor Stravinsky - Le Sacre du Printemps - transcription et interprétation par Georges Pludermacher - Du Rite au Combat (from Rite to Fight) - improvisions piano / percussions - Georges Pludermacher et Georges Paczynski -Production Arts et Spectacles.