Magazine Culture

« L’Atelier » de Courbet : une source probable aux enchères

Publié le 22 mai 2016 par Savatier

Comme l’an dernier, les commissaires-priseurs Philippe et Aymeric Rouillac proposent, les 12 et 13 juin prochains, une vente de prestige dans le cadre du château d’Artigny (Montbazon, Indre et Loire). Y seront dispersés des objets de premier ordre, comme des bijoux offerts par Charlie Chaplin à sa femme Oona, un livre dédicacé par Picasso au même Chaplin, des œuvres de César, Calder, Kisling, Dufy, Picabia, Géricault, de belles peintures florentines et flamandes, des meubles estampillés, des antiquités égyptiennes, grecques et romaines, une remarquable réunion d’art d’Asie (collection Sercey), des photographies de Gustave Le Gray ou encore un étonnant ensemble d’Americana provenant de la famille du comte de Rochambeau.

Les amateurs de Gustave Courbet y trouveront aussi leur bonheur, avec une huile sur toile, Falaises sur la côte normande, datée de 1872, probable souvenir du long séjour qu’il effectua dans la région d’Etretat en 1869, et un tableau insolite intitulé L’Atelier de Clésinger. Cette toile (50 x 61 cm, vers 1849) que j’avais récemment découverte, étudiée et présentée lors d’une conférence, propose une version à l’huile d’une gravure d’Henri Valentin qui fut publiée dans Le Magasin pittoresque de novembre 1849, dont il existe aussi une aquarelle (ancienne collection Guérin) qui figure, notamment, dans l’Album Pléiade Gérard de Nerval rédigé par Claude Pichois et Eric Buffetaud. Bien que non signé, ce tableau pourrait avoir été peint par le célèbre graveur dans un cadrage légèrement plus large que celui de son illustration.

 AtelierValentin_AHélène Toussaint, auteure pour la rétrospective Courbet de 1977 d’un dossier consacré à L’Atelier du peintre (1855) qui fait toujours référence, voyait dans la gravure de Valentin une source très probable à laquelle le maître peintre d’Ornans serait allé puiser pour composer son immense tableau. Son œuvre montre qu’il se servait effectivement de photographies et de gravures d’éditions populaires. L’hypothèse d’Hélène Toussaint semble d’autant plus fondée que la toile ici proposée à la vente présente avec L’Atelier du peintre des similitudes troublantes.

Peintre_FemmeOutre une composition en triptyque (des personnages sont répartis à droite et à gauche de l’artiste, ici le sculpteur Clésinger) et une palette qui offre une évidente communauté de tons, on relève dix détails communs, nombre qui semble dépasser le simple hasard : présence d’armes blanches, de chapeau, d’un crâne, d’un médaillon au mur représentant un profil féminin, d’une guitare, d’une table aux pieds tournés, d’un chat, d’un homme à côté d’un miroir, d’un autre un livre en mains, enfin d’une femme debout regardant un peintre installé à son chevalet.

EcorchéLes personnages de L’Atelier de Clésinger ayant pour la plupart été identifiés, on notera que quatre d’entre eux figurent également dans la toile de Courbet telle que décrite par Hélène Toussaint : Apollonie Sabatier (la Présidente), le violoniste Alphonse Promayet, le poète Max Buchon et le théoricien du Réalisme Champfleury, les trois derniers ayant été des intimes de Courbet. Enfin, deux détails supplémentaires établissent des passerelles entre L’Atelier de Clésinger et des œuvres du maître peintre d’Ornans : le peintre à son chevalet porte un curieux bonnet que l’on retrouve à l’identique dans un autoportrait au fusain de Courbet conservé aux Etats-Unis (Le Peintre à son chevalet, vers 1848) et, au premier plan, figure une copie de L’Ecorché de Michel-Ange que Courbet représenta dans Les Joueurs de dames (1844) et L’Homme à la ceinture de cuir (1845-46).

NervalL’Atelier parisien de Clésinger, alors situé dans le quartier Bréda où habitaient également Henri Valentin et Apollonie Sabatier, fut certainement choisi pour son caractère emblématique : le sculpteur (ami et compatriote de Courbet) était en effet devenu subitement célèbre suite aux scandales provoqués par deux marbres très érotiques, La Femme piquée par un serpent (Salon de 1847, musée d’Orsay) et La Bacchante couchée (Salon de 1848, Petit Palais). Il y recevait ses amis dans une atmosphère bohème. Outre ceux déjà cités, on distingue dans la toile objet de cette vente des personnages dont les liens avec le sculpteur sont attestés : Alexandre Dumas père, le poète Pierre Dupont, l’écrivain Maxime Du Camp, le peintre Ferdinand Boissard, le journaliste Alphonse Karr, le poète Gérard de Nerval, le peintre Paul Chenavard et Casimir d’Arpentigny qui présenta Clésinger à sa future belle-mère, George Sand. La réunion de tant d’artistes marquants dans une même œuvre est assez rare ; il faudra attendre L’Atelier de Courbet et l’Hommage à Delacroix de Fantin-Latour (1864) pour renouer avec cette tradition.

Pour plus de détail, on pourra consulter le dossier établi au sujet de cette toile sur le site de Philippe et Aymeric Rouillac en suivant ce lien.

Illustrations : L’Atelier de Clésinger, huile sur toile circa 1849 – Femme et peintre (à droite, détail de L’Atelier de Courbet) – L’Ecorché de Michel-Ange (à droite, détail des Joueurs de dames de Courbet) – Gérard de Nerval (à droite, photographie par Nadar).


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Savatier 2446 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine