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Quand les lecteurs de Babelio rencontrent Sylvie Gibert

Par Samy20002000fr

N’avez-vous jamais été happé par un tableau ? Cette fascination pour un portrait, Sylvie Gibert en a fait l’expérience. Justement, c’est de cette expérience qu’est né son quatrième roman, L’atelier des poisons, publié aux éditions Plon et qu’elle est venue présenter aux lecteurs de Babelio dans les locaux de son éditeur.

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En 1880, être une femme et apprendre la peinture est encore chose ardue. L’apprentissage est dur et seules les filles dotées d’un immense talent peuvent prétendre à l’exercice. Zélie Murineau est l’une d’entre elles. Pourtant, lorsque le commissaire Alexandre d’Arbourg lui fait la commande d’un portrait, elle comprend très vite que cette demande dissimule d’autres motifs. Consciente des risques mais l’âme aventureuse, elle s’engage auprès de son commanditaire dans le tout Paris pour découvrir les vérités cachées derrière les apparences.

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Tableau à l’origine

En visite au musée des Augustins, Sylvie Gibert est frappée par un portrait de femme. Interloquée, elle s’interroge sur son auteur. Une certaine Amélie Beaury-Saurel, une peintre française: “La beauté de ce tableau m’a littéralement sauté à la gorge. Je l’ai gardé dans un coin de ma tête pendant des années. Ce qui m’a surtout marqué, c’est ma méconnaissance de son auteur compte tenu de ma passion pour la peinture de cette période. Je pensais bien connaître les élèves de l’Académie Julian, une école privée de peinture et de sculpture fondée à Paris en 1867, dont cette femme fut pourtant l’élève. Or, cette femme ne m’évoquait rien du tout.”

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Dans le bleu, Amélie Beaury-Saurel (1894)

Sylvie Gibert poursuit ses recherches et découvre que de nombreuses femmes ont pu pratiquer la peinture même si nombre de leurs oeuvres ont disparu : « Si Marie Bashkirtseff, par exemple, peut-être la peintre femme la plus célèbre de la fin du XIXe a pu parvenir à la postérité, c’est uniquement grâce à la famille de Caillebotte, puisqu’elle figurait dans sa collection. J’ai cherché beaucoup d’informations sur cette femme et c’est suite à la lecture de son journal que j’ai décidé de donner vie aux peintres de l’Académie Julian dans un roman.”

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Lutter pour l’art

Plus tard, c’est une quinzaine d’ouvrages que Sylvie Gibert découvre à propos de la vie de Marie Bashkirtseff. En lisant, elle conçoit peu à peu le quotidien de ces femmes : 12 heures de travail par jour et absolument aucune liberté : “J’ai du mal à comprendre ce qui pouvait pousser ces femmes à faire volontairement de leur vie en enfer en tentant d’embrasser une carrière artistique. A cette époque, c’est le code Napoléon qui régissait la vie des femmes : le divorce leur était interdit, leur mari pouvait faire appel aux forces de l’ordre pour les maintenir à la maison et l’argent qu’elles pouvaient gagner revenait à leur mari ! En plus, elle n’avaient pas le droit de sortir seules de chez elles. Comment choisit-on une activité qui nous repousse aux bornes de la société et pour laquelle on ne gagnera rien ? C’est cette motivation inouïe et la beauté de leur combat qui a motivé l’écriture de ce roman.”

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Des personnages réels

A l’exception des deux personnages principaux presque tous les autres sont réels dans le roman de Sylvie Gibert. Elle explique alors à ses lecteurs sa démarche concernant la construction de ces derniers : “Toutes les femmes que je décris dans l’Académie sont des personnages réels, mis à part Zélie. En tant qu’héroïne du roman, je voulais qu’elle soit un condensé de toute ce que je savais des femmes de l’époque. Elle devait également répondre aux exigences de mon histoire et par conséquent avoir des traits de caractère bien spécifiques, notamment une forte personnalité et beaucoup de courage et de volonté.” Inventée Zélie oui, mais pas anachronique. Sylvie Gibert rappel à ses lecteurs l’attention forte qu’elle a porté au réalisme de ses personnages, grâce à la lecture très minutieuse du journal de Marie Bashkirtseff. Cette Académie Julian, mise en scène dans L’atelier des poisons, représente à l’époque un véritable bouillon de culture internationale et son auteur souhaite redonner vie dans son roman à cette émulation créative qu’inspirait le lieu à l’époque au travers de ses personnages : “Par exemple, dans la série True Detective, il est mention du Roi en jaune, un roman de Robert William Chambers, l’un des précurseurs de la littérature fantastique. Et bien cet auteur faisait partie de l’Académie. Cet endroit rassemblait des artistes en tous genres et de toute provenance. C’est dans cette veine que j’ai conçu mes personnages principaux.”

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Gestation pour auteur

Nourrie par les récits de Maupassant et de Zola, Sylvie Gibert est une fine connaisseuse de la culture du XIXe siècle : “Lire et travailler les écrits de Maupassant, je n’appelle pas cela du travail !” En dehors de ces deux écrivains, quelles sont les sources d’inspiration de l’auteur, interrogent les lecteurs ? “Huysmans et son ouvrage En ménage m’a beaucoup aidé à comprendre les moeurs et à mettre des mots sur la condition des femmes à cette époque. Dans ce roman, il met en scène toutes les possibilités du couple à l’époque : le mari et sa femme, le mari et sa maîtresse etc…Alphonse Allais et son humour a également représenté une bonne source littéraire dans ma démarche.” Par delà la littérature, Sylvie Gibert explique également avoir utilisé des cartes de Paris et des cartes postales de l’époque et impliquée dans sa démarche afin de bien rendre compte de l’atmosphère qui régnait alors. En écrivain passionnée par son sujet, elle s’est même rendue à l’endroit où se tenait l’auberge que visitent ses personnages à Bezon afin de rendre l’aperçu le plus fidèle possible de la réalité : “Je pense qu’un auteur doit vraiment s’imprégner de l’ambiance de l’époque pour rendre un récit cohérent. J’ai vécu ce moment de recherches comme une gestation. C’est un temps beaucoup plus long que celui du premier jet de l’écriture qui n’a duré cette fois que 4 ou 5 mois.”

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De l’art au polar(t)

Interrogée sur ses méthodes d’écriture, Sylvie Gibert explique ensuite à ses lecteurs que son roman, à la base, était bien loin de ressembler à celui qu’ils ont sous les yeux : “J‘avais d’abord tenté d’écrire l’histoire de ces femmes peintres sans y intégrer d’intrigue policière. En me relisant je me suis vite rendu compte qu’il manquait quelque chose car ces femmes travaillaient à longueur de temps. C’était très ennuyeux ! Dès lors, j’ai décidé qu’il fallait y ajouter un peu de suspense et donc une intrigue policière.” Qui dit enquête, dit enquêteur et Sylvie Gibert doit à ce stade inventer un nouveau personnage central, porteur de cette manoeuvre policière. C’est à ce moment qu’est né Alexandre, le commissaire : ”Je n’avais évidemment pas de source aussi concrète que celles concernant l’académie à ma disposition pour le dessiner, j’avais simplement lu des histoires sur les commissaires à cette époque. J’ai totalement inventé son profil et son histoire. Bien sûr, toujours dans une démarche réaliste, je ne voulais pas que cette intrigue soit intemporelle, mais belle et bien marquée par son époque. J’ai donc épluché les faits divers de l’année 1880 et me suis aperçue que certains d’entre eux se répétaient beaucoup. Je me suis ensuite inspirée directement de ces tendances pour finaliser mon intrigue.” Consciencieuse, Sylvie Gibert a même effectué des recherches à propos des méthodes de résolution d’enquête de l’époque.  

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Suivre ou ne pas suivre son plan

Pour Sylvie Gibert, contrairement à d’autres auteurs, les personnages et leurs aventures ne sont décidés qu’en cours d’écriture : “ Beaucoup de changements ont survenu pendant l’écriture de ce roman. Au départ, j’avais prévu d’intégrer une intrigue amoureuse à mon récit. Je me suis rapidement rendue compte qu’en impliquant Zélie sentimentalement, cela aurait probablement mis fin à sa carrière. Dans le journal de Marie Bashkiertzeff, il n’y aucune mention de l’histoire entre Amélie, une autre peintre de l’Académie, et Julian, bien qu’elle ait réellement existé puisqu’ils se sont mariés quelques années après le passage d’Amélie à l’Académie, je n’ai donc finalement pas souhaité parler de relations amoureuses dans le roman. Il y a des choses que l’on prévoit et puis parfois, l’écriture nous mène ailleurs” Fonctionnant avec un plan, rédigé avant de se lancer à proprement parler dans la phase de rédaction, l’auteur évoque avec ses lecteurs la liberté qu’elle aime conférer à sa plume : “ Je fais toujours un plan avant d’écrire, il me permet de savoir où j’en suis et de bien répartir les informations. En revanche, il faut savoir que je ne le suis pas toujours… Je me laisse aller et c’est souvent ainsi que je prends les meilleures décisions pour mes personnages.”

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Injustice

Si le roman de Sylvie Gibert parle de femmes, ce choix est bien loin d’être anodin. Touchée par les revendications des femmes d’aujourd’hui et quelque peu décontenancée devant le monde dans lequel grandissent ses filles, elle souhaite également rappeler à ses lecteurs que ce combat ne date pas d’hier : “ Lorsque j’ai découvert Marie Bashkirtseff et me suis rendue compte que je ne connaissais aucune femme peintre, j’ai compris qu’une injustice devait être réparée vis à vis du public de l’art. C’est ce sentiment précis qui a motivé entre autre l’écriture de ce livre.” Pourtant, dans L’atelier des poisons, ce sont souvent les hommes qui prennent la parole comme le remarque un lecteur présent : “ Si j’ai choisi de beaucoup faire parler les hommes dans ce roman, c’est encore une fois par soucis de véracité. Il y avait heureusement des hommes qui luttaient à l’époque pour les droits des femmes et c’est ce que j’ai incarné en Alexandre. Les femmes étaient loin de pouvoir tout dire et je voulais retranscrire ce phénomène.”  

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Vous retrouver

“Je n’en n’ai pas terminé avec mes personnages” explique enfin Sylvie Gibert lorsqu’on l’interroge sur une éventuelle suite à son roman : “Mes héroïnes vont participer au mouvement des sufragettes et lorsqu’elle seront regroupées alors elles pourront devenir une force. C’est exactement ainsi que cela s’est produit dans notre histoire, le féminisme a d’abord été moqué avant de frapper fort. Mes personnages sont encore loin de la reconnaissance mais j’ai bien l’intention de raconter la suite de leurs aventures, elle est prévue. De plus, j’ai découvert lors de mes recherches un personnage de cette époque au destin tellement romanesque que j’ai hâte de lui redonner vie dans mon prochain roman et de le présenter à mes lecteurs.”

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Après ces échanges avec ses lecteurs, Sylvie Gibert s’est adonnée à l’habituelle séance de dédicace, pendant laquelle elle a fait l’honneur à chacun des participants de dessiner à côté de sa signature, certains personnages de ses romans. Un effort acclamé par les participants.

Retrouvez L’atelier des poisons de Sylvie Gibert, publié aux éditions Plon.


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