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Pierre Tesquet ou l'évangile selon Joseph Delteil.

Par Bernard Deson

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Quand je songe à Pierre Tesquet, je me remémore l’apostrophe qu’il me lançait invariablement avec son accent chantant à chacune de nos rencontres : « Et comment va Fanfanette ? »  Il faisait référence à un sketch radiophonique qui l'avait émoustillé interprété  avec talent par Sylvie, ma femme, et dont le titre très explicite était « Apologie de la chute des petites culottes ». Pierre cachait bien son jeu. Cet ancien directeur d’école, authentique hussard de la république,  s’il portait à chacune de ses sorties un très classique costume-cravate assorti d’un imperméable et d’un couvre-chef, était en fait le moins conformiste des hommes. Lorsque je travaillais au Service Culturel de la Mairie de Bergerac, il montait nous voir une ou deux fois par semaine pour faire taper le courrier de l’Université du Temps libre qu’il présidait alors.  Impliqué dans de nombreuses activités associatives depuis les années 50 dont la création d’un ciné-club, il savait être politique quand il le fallait sans jamais s’être laissé embrigader. Par exemple, en 1986, le troisième opus des Cahiers Joseph Delteil qu’il dirigeait bénéficiera d’une généreuse subvention accordée par Jack Lang à la demande exprès de Roland Dumas.   

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A bien y regarder pour qui le connaissait un peu, il n’est pas surprenant de découvrir qu’il a aussi écrit une courte thèse sur  le chanteur Renaud…en 1975[i], donc prémonitoire car la carrière de l’interprète de « Laisse béton » venait juste de commencer. En 1989, lorsque je lui proposais de rééditer ce portrait de Renaud, il avait refusé sans que j’en comprisse la véritable raison : « Votre initiative me touche beaucoup mais vous connaissiez d’avance la réponse négative. Vous parlez du « Renaud » : il s’agissait de montrer qu’on n’avait pas affaire à un chanteur marginal mais à un homme de culture bourgeoise. Si l’interview insérée à la fin du livre vous convient, reproduisez-la dans votre revue. Après tout le numéro est consacré à Brassens. Je regrette de ne pouvoir mieux répondre à votre demande ». [ii]  Depuis quelques mois déjà, souffrant et/ou dégoûté de la compagnie de ses semblables,  Pierre Tesquet s’était coupé du monde et c’est ce qu’il m’écrivait dans la même lettre datée du 18 novembre 1989 : « Vous savez que j’ai renoncé aux émissions avec Jean-François Durand et que j’ai décidé, désormais, de ne participer à aucune manifestation ou publication, quel qu’en soit le mérite. »  Heureusement, il sortit de cet isolement pour me proposer de coéditer  un nouveau numéro des Cahiers Joseph Delteil en 1991. Puis il s’est à nouveau replié sur lui-même ne faisant plus que de très rares apparitions publiques. Plusieurs fois, j’essaierai en vain de le revoir. Soit notre rendez-vous était annulé ou reporté, soit son épouse m’invitait à patienter dans l’attente d’un moment plus favorable. Je continuais à lui faire parvenir les publications d’Orage-Lagune-Express et je recevais à chaque fois un court message d’encouragement.

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Mais revenons au point de départ de cette histoire : le premier lien qui me rattacha à Pierre Tesquet fut bel et bien Joseph Delteil. Le hasard d’une provocation de potache m’avait fait présenter ses œuvres complètes au Bac de Français en juin 1977 et c’est muni d’une recommandation de l’une de ses amies que je m’étais rendu (sans y être invité) chez lui, à la Tuilerie de Massane près de Montpellier,  en juillet de la même année[iii]. Delteil devait décéder quelques mois plus tard en 1978. La même année Pierre Tesquet  faisait paraître son « Portrait »[iv] dont voici un extrait de la quatrième de couverture : « Ce n’était pas facile car, même mort depuis quelques semaines, Joseph Delteil bouge tout le temps, et il se tient en plein soleil. C’est un homme très vivant. »  Six ans plus tard, en 1983, c’est en lisant un article de Sud-Ouest que je découvris l’existence de Pierre Tesquet et des Cahiers Joseph Delteil. Etrangement, l’histoire contée dans l’article était proche de celle que j’avais vécue en 1977 : « J’avais cinquante fois lu son nom dans les revues de l’entre-deux guerres. Je l’ai abordé avec « La Delteillerie » ;  je pense que cet ouvrage constitue une excellente entrée dans l’œuvre. Enthousiasmé, je lui ai écrit. Il s’est trouvé qu’il a été touché par cette lettre. C’est ainsi que je fus amené à le rencontrer ». Je ne suis pas surpris par cette attirance de Pierre Tesquet pour le vieil ermite et pour ses idées redevenues tendances après mai 1968 où il passa  pour un hippie de 70 ans : L’homme n’est pas fait pour cette civilisation, il est fait pour le bonheur.  Il avait vu chez les étudiants en révolte un ferment et il était homme à rapprocher Daniel Cohn-Bendit et Saint-François d’Assise.  Très vite, Pierre m’honora de sa confiance et de son amitié ce qui se concrétisa par ma participation à deux numéros des Cahiers Joseph Delteil en 1986 et en 1991.

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Parmi ceux qu’il affectionnait, outre Bernard Camus son compère de radio et le comédien et illustrateur Jean-Yves Bertin[v], citons également Joël Cornuault qui a tenu la Librairie La Brèche à Bergerac jusqu’en 2010 et qui depuis est parti prendre les eaux à Vichy. Pierre et Joël partageaient une grande complicité intellectuelle. Lors de l’un de leurs premiers échanges épistolaires Joël Cornuault lui écrivait : « Je viens d’achever la lecture de votre Portrait de Delteil et des Cahiers et je vous envoie ces quelques lignes d’impressions. Bien sûr, je ne cherche pas à être utile ni, je l’espère, à faire le malin, ni surtout à vous apprendre quoi que ce soit sur votre propre travail (cela se rencontre, n’est-ce pas). Mais les livres, ou autres réalisations auxquelles certains se consacrent librement, sont généralement accueillis par une indifférence notable, plus ou moins polie, ou par quelques mots pour donner le change. J’essaie de ne pas sacrifier à ce rite moderne. »[vi] Peu de temps après son décès en juillet 2011, Jean-Yves Bertin m’a contacté pour organiser « quelque chose » avec ses amis, une sorte d’hommage à la hauteur de l’homme. A ma connaissance rien ne s’est fait. Ce portrait n’a pas d’autre ambition que celle du témoignage. Je laisse à Pierre Tesquet, l'homme révolté, le mot de la fin : « Ne respectons pas les garde-fous que la société a dressés le long de notre chemin ; escaladons les barrières. La société nous pousse à choisir (et elle nous tient pour suspect quand nous ne le faisons pas ou quand nous tardons à le faire) : une profession, une religion, un conjoint, un domicile, etc... parce qu'elle n'a pas trouvé de meilleur moyen four freiner l'expansion du moi qui, désormais, va croupir à l'intérieur des limites qu'il s'est sottement fixées[vii]. »

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[i] Portrait de Renaud par Pierre Tesquet, Robert Morel, 1982.

[ii] Numéro 7 de la revue Orage-Lagune-Express consacré à Georges Brassens et paru en 1990.

[iii] Article de ce blog qui évoque ma rencontre avec Delteil en 1977.

[iv] Portrait de Joseph Delteil, par Pierre Tesquet, Robert Morel, 1978.

[v] Il monta la pièce  Le Grand Prix de Paris ou Hippolyte avec les Comédiens de Naillac et fut l’illustrateur du N°4 des Cahiers Joseph Delteil paru en 1991.

[vi] In Les Cahiers Joseph Delteil n°3, septembre 1986.

[vii] Portrait de Joseph Delteil par Pierre Tesquet, Robert Morel, 1978.


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