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Troisgros : pas au niveau espéré...

Par Eric Bernardin

troisgros

Cela fait longtemps que je pensais aller chez Troisgros. De ce que j'en avais vu/lu, l'approche de la cuisine de Michel sortait de l'ordinaire, jouant  sur l'acidité et l'amertume, deux saveurs souvent sous-utilisées. L'année dernière, un ami avait profité d'un menu "Pour une première" à 90€ comprenant amuse-bouche, entrée, plat, dessert et les vins qui les accompagnent. Il en était sorti enchanté (récit ICI). Le seul problème, c'est qu'il était destiné uniquement aux jeunes consommateurs (moins de 35 ans) dont je ne fais plus partie.

Il y a quelques mois, la Maison a annoncé l'ouverture de l'offre à tous ... si ce n'est qu'elle est passée de 90 à 135 €, soit une augmentation de 50 %. Un plat supplémentaire a été ajouté, histoire de rendre la chose acceptable. Je me laisse tenter, car même si ce n'est pas donné, ça ne paraît pas délirant pour un repas dans l'un des restaurants les plus célèbres de la planète. Rendez-vous est pris : ce sera lundi 30 mai à 12h30.

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Christian Vermorel

A l'heure dite, je m'annonce à l'entrée du garage souterrain de Troigrois. Mon nom semble sonner comme un sésame : la grande porte s'ouvre. Au bout de quelques mètres parcourus quelqu'un m'indique où me garer. Je confie mes clés et Christian Vermorel, le sommelier de la maison, m'emmène jusqu'à ma table. Il n'y a pas besoin de discuter du choix du menu et des vins, car dès ma réservation, j'ai annoncé que j'étais intéressé par "Pour une première".  Mais nous prenons le temps d'échanger sur les producteurs que j'ai visités ces derniers jours, et sur Stéphane Sérol que j'irai voir après le repas (NdA : il sait que je suis caviste et blogueur).

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Les mises-en-bouche arrivent :

d'abord, une tomate-cerise caramélisée au sésame qu'il m'est conseillé de manger en une seule bouchée.

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et puis trois autres, toutes d'un très bon niveau.

Christian  Vermorel me sert la cuvée de Pinot gris de Romain Paire présentée en magnum. Un vin plutôt rond et goumand bu seul, mais qui se tend et gagne en fraîcheur dès qu'il accompagne un met. Un vin caméléon.

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Le pain au sarrasin : joli et très bon, aérien.

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et le beurre ... qui met le pain en valeur. 

 

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Puis arrive le premier plat : des huîtres qui montent au nez. Si les coquilles ne sont pas immenses, elle contiennent pas mal de choses : de l'oignon rouge en pickle, une huître pochée (un peu trop à mon goût), une gelée de cresson (plus puissante en goût que celle du Burgundy Lounge), une sorte de royale d'huître (bien crémeuse), et enfin, un morceau de wasabi frais. C'est LA révélation de ce plat : c'est beaucoup plus subtil et doux que la pâte de wasabi, souvent à base de raifort, avec une texture croquante. Je crois que je vais essayer d'en trouver (ICI, par exemple ?). Le Pinot gris s'en sort très bien avec le plat, devenant beaucoup plus vif et minéral que bu seul.

Anecdote : alors que j'attaquais la première huître, Michel Troisgros est venu me saluer  (pas eu le réflexe photo, DSL). Pour lui serrer la pince, je lâche un de mes couverts au milieu du gros sel. Le Chef me dit alors de faire attention, car ma prochaine bouchée risque d'être très salée... 

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Puis m'est servi un filet de rouget infusé dans un bouillon dashi au tamarin...

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...que le serveur verse dans l'assiette.  

Autres ingrédients : une fleur de cerisier, quelques tranches très fines de daïkon et probablement de gingembre. Et puis c'est tout. Pour l'avoir vu en préparation un peu plus tard en cuisine, le rouget est passé rapidement au chalumeau. Le poisson est moelleux, les autres ingrédients, et le dashi est d'une grande puissance aromatique, bien marqué par le tamarin, mais on sent aussi un côté fumé (bonite séchée ?) et iodé (algue ?). Clairement pas un plat consensuel, mais fidèle à l'esprit "japonisant" de Michel Troisgrois.

Le sommelier m'a servi sur ce plat un Muscadet Pueris Soli 2005 de Luneau-Papin. La robe est d'un or intense. Le nez est puissant, sur des notes de coing, de miel de châtaignier et d'encaustique. La bouche est vive et traçante tout en étant ample et aérienne. Très bel équilibre sur le fil du rasoir. Peut-être est-il un peu trop puissant pour le rouget ?

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Suit alors le Pigeonneau en vapeur à l'aubergine. Il est enveloppé d'une fine feuille de chou. Heureusement, l'aubergine a été salée et assaissonnée, car sinon ce serait bien fade. L'accompagnement est minimaliste : quelques fèves, de la Carmine rôtie (croisement entre l'endive et la Chiogga), des pickles d'oignon rouge, une toute petite "quenelle" de purée de carotte (?) et une cuisse de pigeonneau qui aurait gagné à être  servie dorée/croustillante. Car ce plat manque tout de même de gaieté. On retrouve des saveurs acidulées/amères dans le jus. C'est pas inintéressant, mais un peu trop intellectuel.  On aurait envie de se régaler... et on n'y arrive pas !

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Le vin rouge servi est un peu dans le même esprit  : ce Canon-Fronsac 2012 du Château Canon Saint-Michel a un nez sympa (truffe, cassis, tabac) mais la bouche est un  chouïa austère et pas vraiment raccord avec la chair du pigeonneau (plus du vin pour le boeuf). Un Rhône nord un peu acidulé d'une année "faible" aurait sûrement mieux convenu.

 

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Cela m'arrache la g... de le dire, mais nous en sommes déjà au dessert (alors que j'ai quasiment l'impression de n'avoir eu que des mises-en-bouche jusqu'à présent). L'assiette très sobre ferait d'ailleurs plus pré-dessert que dessert dans de nombreux restaurants.

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Le serveur rajoute avec un siphon un peu d'émulsion à la bière.  Cela explique l'intintulé du plat : un demi à la fraise. Rien à dire : c'est bon. L'émulsion est subtile, les fraises très goûteuses bien qu'elles soient cuites, la glace pacossée à souhait. En même temps, on se dit que pour un restaurant 3 *, c'est tout de même très très léger. Beaucoup d'établissements 1* font des desserts plus chiadés et nettement plus excitants. 

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Un point très positif tout de même : j'ai découvert qu'il existait du Muscat de Beaumes de Venise rouge - produit pas Alain Ignace, domaine en bio - et c'est non seulement un scoop mais absolument délicieux ! Il est produit à partir du Muscat Petit Grain rouge qui était apparemment le cépage originel de l'appellation (et qui a quasiment disparu).

Troisgros : pas au niveau espéré...

Le maître d'hôtel, Benjamin Guillaume m'a alors proposé de visiter les cuisines. Elles sont très bien organisées alors qu'elles datent des années 70. Et surtout d'un grand calme, rappelant ce que j'ai pu voir chez Bras ou Marcon. Elles ne seront pas refaites puisque Troisgros déménage en périphérie de Roanne en 2017.

Troisgros : pas au niveau espéré...

César Troisgros, représentant la 4ème génération.

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Le café...

 

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... servi avec deux mignardises

(tartelette au safran, macaron noix de coco/citron)

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Benjamin Guillaume m'a ensuite proposé de visiter la cave (30.000 bouteilles). Heureusement  qu'ils ont une majorité de Bourgogne, car l'on se demande avec quel plat du restaurant les grands crus de Bordeaux peuvent se marier.

 

Troisgros : pas au niveau espéré...

Benjamin Guillaume

Et puis voilà, c'est fini. Dernière petite touche de luxe, tout de même : ma voiture m'attend juste devant la porte du restaurant. La grande classe. Il faut signaler tout de même qu'il n'y a pas de mauvaises surprises dans la note : la bouteille d'eau minérale gazeuse et les deux cafés (oui, on m'en a proposé un deuxième) sont inclus dans les 135 €

Pour tout dire, faire un bilan de ce repas est une déchirure. D'un côté, l'accueil a été vraiment formidable, ce qui était appréciable pour une personne seule : le chef-sommelier et le maître d'hôtel ont été aux petits soins avec moi. Je n'ai jamais passé autant de temps à discuter avec le personnel d'un restaurant, quel que soit son niveau. De l'autre, le repas n'était pas vraiment au niveau espéré, et le prix prohibitif par rapport à ce qui est servi dans les assiettes. Et sincèrement, je pense que si on le servait un un inspecteur Michelin qui le dégusterait sans savoir où il se trouve, il rétrograderait le restaurant illico. Dieu merci, lorsqu'il vient, il doit sélectionner le menu à 200-300 € qui est certainement d'un tout autre niveau.

Je le reconnais : je ne suis probablement pas le public visé par ce type d'opération. Mon palais est plus difficilement impressionnable que celui de MMme Toulemonde. Il ne suffit pas d'une cuisson basse-température ou d'utiliser un siphon pour que mes sens chavirent.

Mais bon, je ne regrette absolument rien. J'ai passé deux belles heures dans cette Maison, et c'est bien là le principal.



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