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Pierre-André Milhit, invité de Tulalu!?, au Lausanne-Moudon

Publié le 06 juin 2016 par Francisrichard @francisrichard
Pierre-André Milhit et Pierre Fankhauser

Pierre-André Milhit et Pierre Fankhauser

Ce soir, l'association littéraire Tulalu!? reçoit au Lausanne-Moudon Pierre-André Milhit. Son charismatique animateur, Pierre Fankhauser, le prévient que l'association ne plaisante pas avec les horaires, qu'elle est même pointilleuse, et que la rencontre est strictement minutée. Qu'il se le dise ! Non mais, qui est le chef ?

Strictement minutée ? Enfin, presque, puisque la rencontre prévue à 20h01, commence en fait à 20h06 par la lecture, par l'invité, de la minute correspondante de son livre, 1440 minutes, suivie par sa lecture des deux minutes d'après, de 20h07 et de 20h08. Cinq minutes de retard, ce n'est tout de même pas un quart d'heure, fût-il vaudois...

Ceux qui, dans l'assistance, n'ont pas encore lu 1440 minutes, titre trouvé par Jasmine Liardet, son éditrice (alors qu'il pensait initialement à Profonde horloge), où l'auteur a écrit une histoire pour chaque minute d'une journée, soit au total 1440, peuvent se rendre compte que d'une minute l'autre, l'auteur passe du coq à l'âne, ce qui n'est pas pour déplaire à cet amateur de bestiaire, dont j'ai lu l'opus à la dernière minute... Les 1440 histoires se suivent mais ne se succèdent pas. Elles sont à l'image du temps, fragmentées.

Quand Pierre-André Milhit se lance dans ce projet, il s'impose deux contraintes: 1) Chaque histoire courte comprendra six phrases, suivies d'une phrase qui commencera par je, avec pour conséquence qu'il doit se mettre à la ponctuation... 2) Il se disposera à écrire à la minute près. Ces contraintes consenties lui donneront une grande liberté...

De décider d'écrire à telle heure, telle minute, ne signifie pas qu'il commence à écrire pile à cet instant. C'est plutôt le processus de création qui s'enclenche à ce moment-là. Et cette création dure en moyenne quinze minutes, ce qui, répété 1440 fois, correspond à un travail à plein temps de deux mois, alors qu'il lui en a fallu dix-huit pour mener à bien son projet.

Pour les heures de la nuit, il met son réveil, ce qui ne dérange pas celle qui partage son lit, parce qu'elle dort du sommeil de la juste... Les minutes les plus difficiles à écrire auront été celles situées entre 17h30 et 19h, quand il rentrait du travail (avec l'envie de souffler ou de souper); et celles situées entre 23h et 24h, au moment où d'habitude il se met au lit.

Pour surveiller l'avancement du projet il dresse un gigantesque tableau Excel de 1440 cases qu'il colore à chaque fois que le texte correspondant à la minute du jour est rédigé. Cela ne va pas sans anicroches. Un jour il a perdu irrémédiablement le texte d'une minute; un autre, tout content d'avoir écrit la meilleure de ses minutes, il s'aperçoit que la case est déjà prise.

Raphaël Raccuia et Pierre-André Milhit

Raphaël Raccuia et Pierre-André Milhit

Chaque texte est écrit, à la minute dite, à la main, puis il est transcrit sur l'ordinateur, moyennant quelques corrections, enfin il est soumis à son éditeur, Pascal Rebetez, qui lui demandera de supprimer un certain nombre de renards, pléthoriques dans la version initiale et tout de même très présents dans l'actuelle version aux côtés de belettes et autres fouines.

Avec ses 1440 histoires courtes, Pierre-André Milhit ne cherche pas à expliquer le monde. Le monde est et il cherche seulement à le partager avec les autres, tel qu'il le perçoit, avec ses animaux (plus particulièrement les oiseaux, qu'il observe et dont il s'émerveille des noms qui leur ont été donnés), avec ses arbres et ses fleurs dont, botaniste, il connaît les petits noms.

Il ne désigne pas les personnages par leurs prénoms ou leurs patronymes, mais par leurs métiers. Il y a peu de noms de lieux dans ses minutes, mais il y a beaucoup de noms de rues qui se caractérisent par les personnes qui y habitent. Il donne ainsi, en riant, l'exemple de la rue des pucelles qu'il situerait volontiers à Orléans, où l'on se demanderait qui est la deuxième...

Quel poète est-il? Il est tout simplement Milhit, même si, plus jeune, il aurait aimé être Rimbaud, puis Chappaz, qui, avec Jean-Marc Lovay, rencontré au Val d'Anniviers, et Raymond Farquet, sont les écrivains lui ayant donné l'envie de parler de son pays, le Valais, qui transparait toutefois dans ses riches minutes, notamment dans la centaine de minutes qu'il a écrites, un automne, dans une chambre non chauffée d'un hôtel du Val d'Hérens.

Pierre-André Milhit ne cherche pas à expliquer le monde, mais la musique l'aide à le comprendre. Accompagné de Raphaël Raccuia à la guitare, il psalmodie un Oratorio jaculatoire de sa composition, puis déclame un poème, Holà! le vent sur les chevaux, où il demande incidemment pardon à Monsieur le Commissaire d'avoir écrasé dieu en reculant devant l'humilité et présente ses excuses à Madame la Juge pour avoir étranglé la bonne conscience en [s]'exerçant au noeud de cravate...

La religion occupe une place importante dans 1440 minutes. Il a été servant de messe dans son jeune temps, à Saxon. S'il s'est éloigné de la religion catholique de son Valais natal et qu'elle s'est éloignée de lui, il garde un souvenir ému de sa liturgie, de sa dramaturgie, et côtoie des gens pour qui le catholicisme garde son importance, tandis qu'il doute...

La rencontre proprement dite se termine à 21h08. Pierre-André Milhit lit alors les minutes 21h08, 21h09 et 21h10 tirées de son livre. Il continue ainsi à partager sa vision des choses et des êtres au public de ce soir, qui est tout ouïe, qui apprécie et l'applaudit, ce qui est cadeau pour lui...

Francis Richard


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