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…Les cigarettes ont longtemps été vendues comme bonnes pour la santé ?

Par Tanagra @sinontusavais

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Aah, qu’il est loin le souvenir des publicités de cigarettes. Depuis la loi Evin (1991), nous avons perdu, en France, le bonheur de voir les équipes de marketing s’échiner à faire l’impossible: vendre des clopes en passant sous silence toutes les raisons pour lesquelles il ne faudrait *pas* vendre de clopes. Mais pourquoi la loi Evin, d’abord? Parce que encourager les gens à fumer, c’est-mal, et que la clope c’est pas tip-top pour la santé: en 2008, l’organisation mondiale de la santé a désigné le tabac comme une épidémie, indiquant qu’il « tue de si nombreuses façons qu’il figure parmi les facteurs de risque de six des huit premières causes de mortalité dans le monde ».

Mais le fait est que avant 1950 et la première étude épidémiologique menée sur le sujet par Evarts Ambrose Graham et Ernst Wynder, bah… on en avait pas vraiment conscience. On pensait même plutôt le contraire. Peut-être vous souvenez-vous du Discours d’un roi, où George VI, interprété par Colin Firth, commençait à fumer parce que son médecin lui avait affirmé que cela « calmerait ses nerfs et détendrait ses poumons »? L’intrigue se déroule principalement en 1939, et reflète une réalité devenue surprenante. Depuis la fin du XIXe siècle, c’était un florilège de fausses idées qui circulaient sur la cigarette, et tout un paquet de publicités improbables qui allaient avec. Conséquences d’une croyance sincère dans les vertus thérapeutiques de la cigarette, puis d’une bonne vieille mauvaise foi.

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Il a l’air dubitatif – et il n’a pas tout à fait tort.

L’histoire commence en 1492. Christophe Colomb découvre l’Amérique et, avec l’Amérique, découvre le tabac. Il est consommé par les indiens d’Amérique de façon régulière comme coupe-faim, manière d’apaiser les douleurs, moyen de pallier la fatigue, mais aussi dans de nombreux rituels religieux et sociaux – mais quand l’ami Cricri décide d’en ramener des plants en Europe, les cours espagnoles et portugaises se contentent d’en faire de jolis ornements de table (parce que pourquoi pas).

Il faudra attendre le milieu du XVIe siècle pour que, après quelques expérimentations de surface, des médecins de cours royales décident de promouvoir le tabac comme un médicament universel. En 1560 voilà Jean Nicot, l’ambassadeur de François II au Portugal, qui envoie une poudre de tabac à la reine Catherine de Médicis pour traiter les migraines chroniques de son fils. Ca marche. Le mythe se propage encore. Le tabac est aimablement surnommé « nicotiane » en l’honneur de l’ambassadeur. Dès le milieu du XVIIe siècle, la plante, forte de sa réputation et forte des addictions qu’elle produit, est cultivée dans le monde entier.

Faisons un bond dans le temps (parce qu’initialement on est pas là pour faire une Histoire du Tabac, non mais oh): si en 1821 le Dictionnaire des sciences médicales demande de réduire la consommation de tabac pour de potentiels effets nocifs, la cigarette, sous la forme que nous connaissons aujourd’hui, est introduite dès 1825. Dès lors, pardonnez-moi l’expression mais la cigarette fait un tabac. Son mythe de panacée, de médicament universel et d’herbe miracle, survit envers et contre tout. Nous voilà en 1881: Les Cigarettes de Joy fondent entièrement leur campagne de publicité sur un postulat – fumer soigne l’asthme, les bronchites, et tout un tas de problèmes respiratoires. En 1882, elles sont suivies de près par les cigarettes Marshall’s, qui affirment sans vergogne soigner aussi la grippe et être une solution miracle contre la mauvaise haleine.

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Comment ça, fumer vous irrite la gorge? Mais non. Ca veut juste dire que ça agit. Dans quelques mois, vous en aurez fini avec cette sale toux.

Les effets sur la gorge et sur les poumons ne sont pas les seuls à être (mal) interprétés. De nombreuses campagnes se penchent également sur l’effet que la nicotine peut bien avoir sur la digestion: et voilà qu’on nous affirme que le « plaisir de fumer une cigarette » a une influence directe sur les intestins, qui se détendent en même temps que nous. C’est imagé. C’est poétique. C’est probablement un bon argument de vente pour tous les gens qui souffrent de constipation chronique. C’est la campagne de 1936 chez Camel. Et puis mentionnons aussi certaines campagnes de publicités dirigées vers les femmes. Quelle meilleure conséquence du tabac à mettre en avant que… la perte de poids et l’aide pour conserver une taille de guêpe? L’effet coupe-faim n’est manifestement pas passé inaperçu dans les agences de com. Rassurez-vous: ces publicités auront des penchants masculins aussi, quoique moins nombreux. C’est la campagne de 1928 de chez Lucky Strike.

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Fun fact: cette campagne prendra fin lorsque des marques de bonbons commenceront à menacer Lucky Strike de poursuites.

Au-delà de ces effets directs sur la santé, il y a aussi des implications, plus discrètes, de tout le bien que pourraient apporter les cigarettes. Sans passer directement par la case clope-médicament, une campagne de 1934 nous rappelle que « manger correctement, bien dormir et fumer des Camel » vous permet d’avoir moins de problèmes de nerfs – un moyen super discret d’ajouter un produit à la liste des choses évidentes qui peuvent bénéficier à votre santé. Chez Camel aussi, la campagne de 1967 et son slogan « I’d walk a mile for a Camel » implique non seulement qu’elles seraient tellement bonnes qu’on se taperait toute la distance à pied rien que pour ça – mais aussi que les Camel nous en donnent la force… au lieu de nous faire cracher nos poumons au bout de trois volées d’escalier.

Et que dire de la foultitude de publicités tournant autour du sexe. Elle ne remonte pas à hier: dès les années 1880, un carton était placé à l’intérieur des paquets de cigarette souples pour leur permettre de conserver leur forme et, très tôt, ces cartons ont été décorés de femmes en tenues légères pour inciter les hommes à les acheter. Subtil, hein. Et avec le temps, et bien, comment dire que l’adage « sex sells » n’a eu de cesse de se vérifier avec les campagnes de pub de nombreuses cigarettes. Symboles phalliques plus ou moins bien dissimulés et images tendancieuses réapparaissent constamment – pour associer à la cigarette une image de virilité, de performance au pieu et de charme fou. Mais bon. La cigarette elle-même est un symbole phallique, après-tout.

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C’est comme « Ce rêve bleu », mais en encore plus direct dans ses allusions salaces.

Mais, me direz-vous, comment a-t-on pu mettre autant de temps à se rendre compte des effets nocifs de la cigarette? N’importe quel fumeur s’est déjà levé avec l’impression que sa bouche s’est transformée en cendrier – ou s’est retrouvé, comme dit précédemment, à cracher ses poumons alors qu’il voulait simplement faire un tour dehors pour acheter du pain. Comment a-t-on pu prétendre des effets positifs aussi longtemps?

Et bien, si les effets négatifs étaient évidents, les marques étaient toujours en position de se faire la guerre entre-elles. Comment? En prétendant que toutes les sensations désagréables n’existaient que chez les autres. Ces campagnes se sont faites tout particulièrement nombreuses à partir des années 1930 et l’une est devenue tout particulièrement célèbre: c’est celle des 20 679 médecins qui choisissent les Lucky Strike – elle sera suivie de près par la campagne « More doctors smoke Camels ». Dans les deux cas, un même concept: présenter une image de médecin idéalisée (tout de blanc vêtu, souriant, rassurant au possible) brandissant un paquet de cigarettes souvent presque plus gros que sa tête (pour le mettre en avant) en affirmant que eux ont choisi cette marque précise – une marque qui serait parfaitement inoffensive pour la santé, contrairement à toutes les autres. Foi de docteur. Bien entendu, aucun vrai médecin n’était jamais directement nommé – l’éthique leur interdisait à l’époque de faire la moindre publicité.

On retrouvera ce type de campagnes après les années 1950 et la « découverte » des effets mortels du tabac, quand sera inventé le filtre supposé contrer les effets négatifs – sauf qu’en plus, on mettra des dentistes et des infirmières à l’affiche. Dans les années 40, on trouve ce qui est probablement le sommet de cette technique: Chesterfield met en scène des médecins visitant des patients dans les hôpitaux pour leur donner des cigarettes. Ha, bah.

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Je sais pas pour vous, mais moi, tout ce rouge, ça me rassure pas des masses.

Chose un tantinet paradoxale: des produits dérivés fleurissent au même moment, garantissant vous permettre de fumer toutes les cigarettes que vous voudrez en neutralisant les aspects négatifs. Etrange. Je croyais que 20 679  docteurs m’affirmaient que ces Lucky Strikes protégeaient ma gorge… hum. Ce sont les pastilles Nic-o-cin, à prendre tous les jours avant de vous coucher pour neutraliser les effets de la nicotine, en 1935 – et, en 1952, elles seront secondées par les Denicotea, de grands filtres à ajouter au bout de votre cigarette pour protéger vos poumons. A moins que…?

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Ouh. Ces images de filtre noir me rassurent. Rien ne peut avoir traversé – c’est le monsieur avec la grosse lampe sur le front qui l’a dit.

Mais bon. C’était une autre époque. Une où, quand le Nounours de Bonne nuit les petits était grognon, on lui conseillait de fumer la pipe… avant de chanter tous en coeur « j’ai du bon tabac dans ma tabatière ». Oui oui. Juste .

Webographie

  • Une seule source principale ici, mais elle est plus que riche. Il s’agit du site internet réunissant les recherches sur l’impact de la publicité des cigarettes de l’école de médecine de l’université de Stanford. Une mine d’or, très richement illustrée, à explorer pendant des heures: c’est par .
  • Et oui, le sujet est passionnant. Mais après avoir fouillé ces publicités, vous pouvez jeter un oeil au rapport de l’OMS quant à l’épidémie de tabac, publié en 2008, ici. Histoire de se rappeler de la triste réalité: fumer n’est pas bon pour vous. Du tout.

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