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…Le 1er avril 1957, la BBC a convaincu le Royaume-Uni de l’existence d’arbres à spaghettis?

Par Tanagra @sinontusavais

Spaghetti_tree_hoax

Nous sommes en l’an de grâce 1957. Le monde est encore loin de rêver des blagounettes annuelles de Google Maps (hé – y’a un petit bonhomme disco qui danse sur l’application, c’est super cool et j’ai sûrement passé trop de temps pour ma propre dignité à glousser en le faisant tourner en boucle), de J’arrête Youtube qui trende sur Twitter et de la voix de Homer Simpson à la SNCF. Cela ne veut pas dire pour autant que quelques esprits diaboliques ne fonctionnent pas à plein régime pour faire tourner les gens en bourrique au moment où ils s’y attendent le moins. Personne n’a jamais été à l’abri un premier avril, après tout. Et putain. La BBC a toujours pété la classe quand il s’agit de poissons hauts en couleurs.

Vous vous souvenez peut-être de l’affaire des manchots volants en 2008. Dans une version hautement improbable du April’s fools, la principale société de production de radio et de télévision britannique avait, en effet, diffusé une bande annonce pour un documentaire à venir sur, donc, des manchots volants, qui représentaient ni plus ni moins un chainon manquant dans la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Les effets spéciaux avaient grave de la classe, mine de rien – même si la partie où Terry Jones annonçait fièrement que ces manchots passaient l’hiver dans les tropiques avait de quoi mettre la puce à l’oreille. A terme, il s’agissait surtout d’une campagne de pub vachement bien ficelée pour mettre en avant le BBC iPlayer de leur site internet à l’occasion d’une date qui, pour beaucoup de médias et de marques, est devenue un colossal concours pour se faire remarquer… Mais ça reste ultra-cool.

S’agissait-il du tout premier coup d’éclat de la BBC? Bien sûr que non. A vrai dire, l’histoire des manchots volants n’était ni leur plus absurde ni leur plus grand poisson d’avril. Avant cette colossale digression de 49 ans, je vous disais donc: nous sommes en l’an de grâce 1957, l’année où la BBC a fait croire à une solide partie du Royaume-Uni qu’il existait des arbres à spaghettis.

Panorama est alors l’une des principales émissions d’actualité britannique – on estime à près de 8 millions le nombre de personnes qui la regardèrent innocemment ce jour-là. Un reportage s’ouvre sur des paysages charmants du sud de la Suisse, tout près du lac Lugano et de la frontière italienne. C’est le printemps et la nature est belle, tout ça tout ça. Le très respecté chroniqueur Richard Dimbleby, sur un fond musical fort délicat, entame alors le portrait d’une famille en pleine récolte de spaghettis, images à l’appui. Tous les moyens y sont mis – plans léchés sur des arbres chargés de spaghettis frais sur fond de ciel bleu (enfin, de nuance de gris clair, sur la télévision de l’époque), comparaisons avec les champs de spaghettis quasi-industriels italiens, évocation des récoltes favorisées par l’hiver spécialement doux et l’heureuse absence du charançon du spaghetti, présentation de tranquilles festivités tenues tous les ans… Pendant près de trois minutes, le bucolique et le sérieux sont entretenus avec un talent qui donne pâle figure au JT de TF1 dans les semaines qui précèdent le Salon de l’Agriculture.

Et ça marche. La BBC aurait reçu des centaines d’appels concernant ce reportage. Si une solide partie leur demandait simplement confirmation de ce qu’ils venaient de voir, d’autres, intrigués, réclamaient des conseils sur la culture des spaghettis, des indications sur où se procurer des plants… et voilà la BBC qui tient la blague jusqu’au bout, conseillant à ses spectateurs de planter un spaghetti dans un pot de sauce tomate et d’espérer qu’il prenne. L’humour britannique à son sommet.

Pour excuser un petit peu cette (adorable) crédulité, il faudrait mentionner le fait que, dans le Royaume-Uni des années 50, les spaghettis (et les pâtes de façon générale) étaient encore un aliment rare. Commercialisés sous la forme de boîtes de conserve, déjà prêts et mélangés à leur sauce tomate, ils en avaient même un côté exotique. Il faudrait aussi évoquer le fait que la télévision était loin d’être présente dans toutes les maisons (sur près de 15,8 millions de foyers, moins de la moitié en comptaient une), et que les canulars audiovisuels étaient loin de faire légion, même au 1er avril… Cette sombre histoire d’arbre à spaghettis est parfois même considérée comme l’un des premiers exemples du genre. Les moyens mis en place pour la réalisation du reportage prêtaient également à confusion: Richard Dimbleby, le narrateur, était en effet une personne de confiance, commentateur de nombreuses nouvelles sérieuses ! De même pour l’émission Panorama elle-même: d’ailleurs, au milieu des appels intrigués reçus par la BBC, plusieurs s’offusquaient tout simplement de voir de telles absurdités présentées ainsi dans un programme de qualité. N’oublions pas cependant que l’esprit à l’origine de ce canular, le caméraman Charles de Jaeger, a été inspiré par une remarque de l’un de ses professeurs alors qu’il faisait ses études à Vienne: le charmant enseignant lui avait effectivement dit qu’il était stupide et crédule au point de croire que les spaghettis poussaient sur des arbres…

La morale de l’histoire est cependant positive: le producteur de la BBC de l’époque, David Wheeler, a ainsi indiqué que ce reportage-canular pionnier a servi de leçon aux spectateurs. Aux premières heures de la télévision, il leur a appris qu’il ne fallait pas croire tout ce que l’on pouvait bien voir sur ce tout nouveau medium d’information – et que l’esprit critique est toujours de mise !

Sur ce, je retourne regarder danser le bonhomme de Google Maps.

Webographie

  • Je suis désolée, c’est encore du tout-en-anglais… mais deux courts articles de la BBC sur le sujet peuvent être trouvés ici et ici ! Et il y a aussi un court reportage sur le sujet par là !

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