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Un homme du fer dans les médias égyptiens : Ahmed Abou Hashima

Publié le 16 juin 2016 par Gonzo
The New Egypt: la promotion aux USA de l'Egypte financée par Ahmed Abou Hashima. The New Egypt: la promotion de l’Égypte aux USA aux frais d’Ahmed Abou Hashima.

Tous les fans de Haïfa Wehbé le connaissent, et aussi désormais une partie de ceux qui s’intéressent au monde arabe : né en 1975, Ahmed Abou Hashima (أحمد أبو هشيمة) a terminé ses études à la (modeste) faculté de commerce de l’Université de Port-Saïd en 1996. Rien d’exceptionnel, si ce n’est que le fils d’un obscur officier de police de province (lien en arabe) est aujourd’hui une des personnalités les plus importantes de son pays.

Entretemps, il s’est passé pas mal de choses pour celui qui est aujourd’hui le pdg d’Egyptian Steel, une société spécialisée dans la production d’acier, créée en 2010. Son mariage chic et choc avec la super vedette Haïfa Wehbé, entre 2009 et 2012 (séparation par consentement mutuel), n’a pas entravé la bonne marche de ses affaires, bien au contraire. La rapide croissance d’Egyptian Steel tranche en effet avec la morosité du paysage économique local. Récompensé par de nombreux prix internationaux, « l’homme du fer » comme la presse le surnomme envisage désormais de conquérir le marché africain.

Haïfa et Ahmed
Haïfa et Ahmed

Après avoir juré le contraire et bien que la santé du secteur soit très loin d’être florissante en raison d’une baisse catastrophique des revenus publicitaires, Abou Hashima se lance désormais dans les médias. On a ainsi appris qu’il a acheté à Naguib Sawiris (voir ici), un autre milliardaire égyptien, la chaîne télévisée ONTV, pour un montant qui n’a pas été divulgué. La prise de possession de cette chaîne généraliste a été d’autant plus commentée qu’elle était la seule ou presque, dans le paysage médiatique local, à offrir une couverture des événements qui ne soit pas outrageusement à la botte du régime actuel. Elle est venue après l’achat par Abou Hashima, au début de l’année 2013, de parts dans Al-youm al-sabee (اليوم السابع, le titre le plus en vue de la presse quotidienne locale selon la revue Forbes). Pour faire bonne mesure, elle s’est accompagnée d’autres prises de participation majoritaires, tout aussi ambitieuses, dans Presentation, une société spécialisée dans la commercialisation des droits du foot, et dans Egypt for Cinema, une société de production audio-visuelle.

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Tout le monde se demande aujourd’hui quelles ambitions cachent les achats de ce jeune homme riche et pressé, qui navigue en eaux politiques assez troubles : après des actions charitables en faveur des activités sportives pour les sourds-muets ou encore pour les villages déshérités de Haute-Égypte, il se tourne désormais – comme annoncé fièrement sur son site – vers le sponsoring du pouvoir, en finançant notamment une spectaculaire campagne de publicité déployée notamment à New York à l’occasion de la visite du président Sissi aux Nations Unies (voir ilustration en haut de ce billet). Un peu plus tôt, il avait déjà généreusement financé le micro parti de celui que la presse d’opposition (ou ce qu’il en reste) appelle le « fils chéri de Sissi », Muhammad Badran, un jeune mais déjà ancien leader estudiantin à la tête de la seconde formation qui compose la majorité présidentielle au Parlement.

Difficile pour autant de cerner les convictions de cet homme du fer. Les observateurs ont noté que le communiqué annonçant l’achat d’ONTV mentionnait la « révolution du 30 juin » – le nom donné localement au coup d’État du maréchal Sissi – en passant sous silence celle du 25 janvier 2011. Cependant, on lui a longtemps prêté des sympathies pour les Frères musulmans, surtout à cause de ses associés en affaires, puisque le cofondateur d’Egyptian Steel se nomme cheikh Mohamed bin Suhaim Al Thani (شيخ محمد بن سحيم ال ثاني), une très bonne famille du Qatar ! En définitive, bien plus que les convictions politiques, sans doute assez caméléonesques, du très jeune pdg d’Egyptian Steel, cette fulgurante ascencion économique et politique pose surtout la question des appuis qui l’ont rendue possible. Et sur ce point, le soutien de l’émirat du Qatar, via le principal partenaire dans la société Egyptian Steel, ne fait aucun doute.

Dans un article assez récent (en arabe) riche en allusions en tout genre, Salim Azzouz (سليم عزوز) s’interrogeait sur les véritables propriétaires des médias égyptiens, tellement il est de notoriété publique que nombre d’entre eux ne sont que des hommes de paille dissimulant à peine des réseaux de pouvoir politiques et surtout financiers. En effet, les récents développements dans les médias arabes montrent que ceux-ci, qui traversent comme ailleurs dans le monde une grave crise de financement, sont plus que jamais soumis aux ambitions politiques des grandes fortunes locales. Outre Ahmed Abou Hashima et son petit empire médiatique, on pense immédiatement à Mohammed ben Salmane, le vice-héritier du trône saoudien, devenu, sans qu’on sache très bien comment, l’heureux propriétaire de la chaîne Al-Arabiyya et de bien d’autres médias saoudiens importants (Al-Sharq al-awsat notamment). Mais le phénomène est observable presque partout ailleurs, y compris là où les entreprises de presse sont particulièrement verrouillées par un personnel politique qui n’a pas la réputation de plaisanter avec la liberté d’opinion. En Algérie par exemple, différentes chaînes ont ainsi récemment été achetées par des industriels ambitieux. Mais un tribunal vient toutefois de faire capoter l’achat d’un gros groupe de presse, El-Khabar, en plus de la chaîne télé privée KBC, par Issad Rebrab, « la première fortune privée d’Algérie » comme l’écrit Le Monde.

Oui, Le Monde justement, car en France aussi…


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