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Condamné au bénéfice du doute, de Pierre Béguin

Publié le 27 juin 2016 par Francisrichard @francisrichard
Condamné au bénéfice du doute, de Pierre Béguin

La règle en matière pénale est la présomption d'innocence. Qu'est-ce à dire? Que c'est à l'accusation, voire à la partie civile, de démontrer qu'un prévenu est coupable du crime dont il est accusé, ce qui n'exonère pas la défense de démonter les preuves apportées, d'arguer qu'elles ne sont pas probantes et qu'elles laissent subsister un doute.

S'il y a doute, il doit, en principe, profiter à l'accusé. C'est pourquoi le titre du roman de Pierre Béguin, Condamné au bénéfice du doute, interpelle le chaland, avant même qu'il ne se transforme en lecteur. L'expression habituelle, de circonstance, n'est-elle pas plutôt relaxé au bénéfice du doute ou, pour les crimes qui sont jugés en cours d'assises, acquitté au bénéfice du doute?

Dans ce roman, l'accusé est un notable et pas n'importe qui: c'est Me Philippe Joncour, avocat reconnu, civiliste de réputation internationale, ancien bâtonnier au barreau, député au Grand-Conseil de la République et du canton de Genève, chef d'un parti politique influent, administrateur, président et vice-président de multiples conseils d'administration parmi les plus importants du pays.

Eh bien ce notable, honoré et honorable, est accusé d'un meurtre qu'il aurait commis à l'aide d'un revolver sur la personne d'un certain Louis Kurmann, qu'il ne connaissait pas mais qu'il aurait achevé de quatre coups de poignard. Pour ce crime il a été condamné à sept ans de réclusion et dix ans de privation de droits civiques. Il aurait dû normalement être condamné à la réclusion à vie ou être acquitté:

Mais sept ans! J'étais condamné au bénéfice du doute...

Derrière cette façade d'avocat brillant il y a un homme qui n'est pas heureux en ménage. Avec sa femme, qui est belle, il a eu trois enfants, mais elle ne partage rien avec lui: ni idées, ni goûts, ni ambitions. Aussi, leurs liens étant distendus, s'éprend-il un jour d'une secrétaire de direction, Lorelei Beck, de quinze ans plus jeune que lui, rencontrée lors du repas de fin d'année d'un des nombreux conseils d'administration dont il a la charge.

Cette liaison dure huit années. Mais elle doit demeurer secrète afin de ne pas nuire à la sacro-sainte réputation de l'avocat. Elle offre de plus l'opportunité à Philippe d'être le pygmalion de Lorelei. A la longue, devenue tumultueuse et sans issue, elle va le conduire devant la cour d'assises avec le verdict que l'on sait. Trente ans après sa condamnation, Philippe Joncour prend la plume pour réviser lui-même son procès.

Dans le prologue, Philippe Joncour, qui a surtout souffert de la mise à nu de sa vie privée, écrit cependant: Je ne vous cacherai rien de mes bassesses, je descendrai au plus profond de mes intentions les moins glorieuses, je jetterai la lumière sur mes refoulements inavouables, sur mes mensonges les plus odieux. J'assurerai ma défense, mais je ne vous cacherai rien de ce qui pourrait la mettre à mal. Le reste, je le laisserai à votre jugement...

Alors, devenu un vieil homme, qui a aimé, qui sait ce que c'est que l'amour, et qui connaît l'essentiel: la passion et la mort, il fait le récit de sa vie et, récit faisant, verse au dossier des éléments de son procès: interventions des différentes parties, compte-rendus dans la presse, témoignages etc. Et le lecteur, du coup, ne sait plus que penser de cette condamnation, reposant sur des faisceaux d'indices accablants, non sur des aveux ou des preuves indubitables...

En épigraphe du livre, Pierre Béguin a mis cette citation laconique de Jean (11, 39): Ôtez la pierre. Jésus s'adresse ainsi aux Juifs qui entourent le sépulcre où repose la dépouille de son ami Lazare, la pierre dont il est question étant celle qui ferme son tombeau. En faisant ôter la pierre et en réveillant Lazare, Jésus révèle par là-même l'Être qu'il est.

Avec ce curieux plaidoyer qui ne cache rien de ses zones d'ombre, de ses sentiments et de ses troubles du caractère, Philippe Joncour ôte la pierre qui les recouvre: La vérité de l'être importe davantage que celle des faits et c'est dans la première qu'il faut d'abord chercher pour appréhender la seconde. En bon avocat de lui-même il fait dès lors planer le doute sur sa culpabilité, tout en rappelant habilement qu'un homme n'est pas seulement un être de raison.

Francis Richard

Condamné au bénéfice du doute, Pierre Béguin, 208 pages, Bernard Campiche Editeur


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