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Le mal des fantômes – Benjamin Fondane

Par Moglug @Moglug

Le mal des fantômes – Benjamin FondaneDisparu à Auschwitz en 1944, Benjamin Fondane est un poète roumain naturalisé français en 1938, dont j'ai découvert le nom - ainsi que celui d'Alejandra Pizarnik - dans le livre Par ailleurs (exils) de Linda Lê. Le mal des fantômes est un recueil de poèmes écrits en français entre 1933 et 1944 et publiés à la demande de l'auteur à sa femme alors qu'il était interné au camp de Drancy.

A mon sens, Le mal des fantômes est un témoignage versifié de la montée en puissance du nazisme dans l'Europe des années 30. Non pas un témoignage historique, mais bien plutôt une expression de l'étouffement qui s'empare progressivement des esprits, de l'angoisse montante et envahissante de l'avant-guerre.

J'entre dans le mouvement qui me fuit, et j'ai peur,
mes mains, mes mains et ce qu'elles tiennent du monde.
Cette vie est-elle donc plus épaisse que l'autre ?
C'EST ! Ce désespoir est-il plus sage que l'espoir ?
Le Dieu s'est tu, disais-tu, qui habitait notre pierre.
- Il s'est tu. La statue a déserté le socle.
La terre est devenue opaque, la vitre s'est embuée,
Challenges concernés la vie s'est engourdie comme le sang des serpents.
L'hiver de Dieu est là.
Quels sont tes nouveaux maîtres ? Et quelle est leur puissance ?
Ignoreraient-ils donc que l'homme doit grimper
lentement, enfonçant ses chaussures cloutées,
mordant les éboulis du vide,
aux sources du vertige
pour arracher le Temps aux longs écoulements
de ses purulentes durées ?
- Dieu est mort ? Eh ! sans doute. Mais n'est-ce pas notre tâche
de le ressusciter,
de l'engendrer à nouveau,
de lui communiquer notre sang,
de lui faire, la nuit venue, une place dans nos draps,
de lui céder dans notre verre
une part de boisson dont il se peut qu'il boive
- afin que son jeûne cesse
et notre exil aux terres chauves de la Stupeur ? C'est dans un monde sans rémission que j'avance,
c'est dans un monde sans retour que je m'enfonce,
un monde évanoui qui cherche sa matière,
et c'est un monde sans commencements ni fins,
un monde flamboyant dont la voie rauque crie : Dans le passé sanglote une bouche ouverte,
ce n'est qu'une chanson pour le pays des ombres
les travaux sont finis
bus les paysages,
à quoi bon repartir
pour d'anciens voyages,
j'ai beau me déchirer pour aller de l'avant, rompre le poids de l'inertie !
Bagnard, le mouvement perpétuel t'attend, pèse aux parois de la vessie
- quelles mers vais-je encore teindre de mes désirs ?
quelles terres brosser de ce songe ?
Allez, allez la route !
Garçon ! Un peu plus d'Atlantique !
La côte s'use, s'use
la vitrine un instant brûle sa féerie
- puis meurt.
[...]

Pour autant Benjamin Fondane est loin d'être un poète désabusé. L'espoir transparaît partout : dans un vers lumineux, dans l'ambivalence d'un poème, dans la douceur d'un autre. Les occasions pour le lecteur d'être saisi sont tout aussi nombreuses qu'inattendues.

Les thèmes de la guerre, de l'angoisse, du gouffre, de l'espoir, de la vie et de la mort, de la peur, sont aussi bien déclinés sous la forme de longs récits poétiques, que de courtes strophes de quatre vers, parfois très réalistes, d'autres fois métaphoriques. La mer, le port, les navires sont alors à l'honneur. Les thèmes bibliques de la résurrection ou de la traversée du désert sont largement déployés. L'homme isolé avance malgré tout, à la barbe d'un Dieu fatigué observateur impassible.

J'arrête ici ce billet insuffisant en espérant avoir ne serait-ce qu'un peu aiguisé votre curiosité.

Le mal des fantômes - Benjamin Fondane
Verdier, 2006, 285 p.
Premières publications : 1933-1944

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