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Carnets de voyage n°4 : Paul Klee, l’Ironie à l’œuvre

Publié le 04 août 2016 par Aicasc @aica_sc

Carnets de voyage n°4 

Beaubourg

Paul Klee, l’Ironie à l’œuvre

  « La couleur me possède. (…) la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »

Paul Klee

Deux cent trente  œuvres, un régal. J’ai tout aimé, les œuvres, les informations biographiques, historiques et autres, dont on n’a pas besoin pour jouir des œuvres, mais qui pour moi ajoutent toujours au plaisir. J’ai apprécié les cartels où les jeux de mots des titres étaient traduits, ce qui était une excellente idée et en même temps une nécessité pour une exposition placée sous le signe de l’ironie (pour en rire il faut déjà comprendre un peu…), et aussi le circuit guidé en quelque sorte par sa  disposition en parties, tout cela bien didactique et en même temps, assez discret pour accompagner le visiteur sans s’imposer aux œuvres.

Klee, Insula dulcamara 1938

Klee, Insula dulcamara 1938

Plus d’un tiers des œuvres n’avait jamais été montré en France. Une  première rétrospective depuis presque 50 ans…  J’ai adoré les caricatures, et ai pensé à Amadeo, le peintre portugais moderniste, dont j’avais visité l’exposition la veille et qui avait lui aussi commencé par des caricatures;  et lui aussi utilisé tous les idiomes modernistes de son temps mais, comme Klee, dans une approche intuitive personnelle qui le rendait inclassable…

Klee, Jeune fille se baissant suivie par un basset ressemblant à un serpent 1906

Klee, Jeune fille se baissant suivie par un basset ressemblant à un serpent 1906

C’est cette approche intuitive qui va faire le contrepoint dans les œuvres de Paul Klee par rapport aux innovations et dogmes de son temps. Il jouera les partitions cubistes, constructivistes, mais cherchera toujours à insuffler de la vie dans ses compositions les plus prismatiques . Ici il me fait penser à Helio Oiticica qui, bien des années plus tard, au Brésil, s’éloigne du mouvement  néo concret pour retrouver l’intention expressive et qui animait ses metasquemas (Meta schèmes)  très mathématiques d’une sorte de dynamisme totalement organique…

Klee, Saint Germain près de Tunis 1934

Klee, Saint Germain près de Tunis 1934

 L’ironie à l’œuvre fait référence au concept romantique de l’ironie tel que défini par Schlegel à la fin du 18ème siècle : un ensemble de méthodes de retournement permettant à l’artiste d’échapper de sa condition limitée dans un monde fini, pour dire l’indicible, accentuant le caractère artificiel de l’œuvre afin de rendre compte de la distance de l’œuvre à la chose. Pour Schlegel tout « doit être plaisanterie, et tout doit être sérieux, tout offert à cœur ouvert, et profondément dissimulé ».

Ce qui permet de lire les œuvres de Klee aux apparences enfantines mais recelant des critiques et des pensées complexes. Et comprendre ses procédés particuliers mettant toujours en pratique la construction/destruction, en allant jusqu’à découper ses œuvres pour en faire d’autres ou à laisser apparent les marques de construction de l’œuvre, afin de la démystifier. Avec Klee l’art se met en question, l’art parle  de lui-même.

Klee, Chemins de serpents 1924

Klee, Chemins de serpents 1924

Suivant le parcours fléché, j’apprends d’abord sa déception en Italie devant une beauté absolue que l’homme moderne selon lui aurait été condamné à copier, sa sortie par la caricature, qui lui permet une critique sociale et des relations humaines, toujours à la fois acerbe et tendre (j’adore et le titre et le dessin du Nu féminin au postérieur animalement protubérant , monumentalement sûr de lui ) jusqu’aux « inventions » série de modifications du corps humain par des ajouts techniques grotesques, comme dans Le héros à l’aile, dont  l’aile minuscule l’empêche à la fois de surpasser l’humain et d’être humain tout simplement…

Klee, Nu féminin au postérieur protubérant, monumentalement sûr de lui, 1905

Klee, Nu féminin au postérieur protubérant, monumentalement sûr de lui, 1905

Klee, le héros à l'aile,1905

Klee, le héros à l’aile,1905

Du cubisme découvert chez Picasso et chez Delaunay, il va utiliser et détourner un vocabulaire prismatique, manquant selon lui de vitalité. C’est ici que vont apparaitre les effets de distanciation  (marques apparentes, découpage des œuvres, recombinaison des parties d’anciennes œuvres dans une nouvelle œuvre) faisant ironiquement donc de la destruction un processus créateur.

Klee,( Drôle) Gothic Joyeux 1915

Klee,( Drôle) Gothic Joyeux 1915

Ironie également que ces hybrides d’hommes et machines, ainsi que les marionnettes  dont on exhibe des copies y compris son auto-portrait-poupée, petite marionnette réalisée en 1922 pour son fils et qui est très émouvante (il s’y figure un peu en oriental, chapeau en fourrure d’astrakan.

Klee, Marionnettes à main1912-1925

Klee, Marionnettes à main1912-1925

Klee s’enrichit des découvertes de tous bords mais reste critique à leur égard, comme avec le constructivisme qui s’affirme au Bauhaus où il enseigne. A la fin des années 20 il fera une série d’aquarelles utilisant le motif de la grille, mais toujours en le détournant, pour retrouver quelque chose qui échappe à la pure logique. Pour Klee, l’art ne devait rien à la loi, aucune loi. L’art était en fait toujours transgression (de ses propres règles).

Klee va alors introduire dans ses peintures la notion de temps passé, en ayant recours à des symboles préhistoriques, en faisant référence à des mosaïques, figures et signes égyptiens et autres, mais aussi  en travestissant ses toiles pour faire penser à l’usure du temps.

Klee, Chemins de serpents 1924

Klee, Chemins de serpents 1924

L’exposition dédie une section aux relations entre Klee et Picasso. J’ai aimé la série des URCHS, mot inventé par Klee , composé de bœuf et origine, évoquant donc les aurochs ancêtres des bovins domestiques  mais tout en rondeurs enfantines là où le minotaure picassien était passionnel et agressif.  . Klee a assumé et moqué l’ascendant de Picasso sur sa propre création, notamment les métamorphoses des figures féminines qui lui ont inspiré la dame démon  ou la belle jardinière.

Klee, Urchs de l'époque héroïque,1939

Klee, Urchs de l’époque héroïque,1939

Klee, Dame démon, 1935

Klee, Dame démon, 1935

Le parcours étant chronologique cela fini par les années de crise, la montée du nazisme, dûment commentée dans des toiles où des bonhommes allumettes dansent de peur, son exil à Berne, la maladie qui restreint ses mouvements et qui a peut être rendu ses dessins plus simples. Ces œuvres dans leur simplicité apparente restent terriblement fortes, et évoquent la détresse de la guerre aussi bien que de la condition humaine. On n’a jamais quitté l’ironie romantique, dans ces tracés volontairement enfantins, qui dévoilent pourtant une tragique réalité.

Klee, Danses sous l'empire de la peur,1938

Klee, Danses sous l’empire de la peur,1938

Klee, Souffrance d'aridité,1940

Klee, Souffrance d’aridité,1940

MATHILDE DOS SANTOS

Aica Caraïbe du Sud


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