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Carnets de voyage n° 5 – Beaubourg suite, l’Arte Povera

Publié le 11 août 2016 par Aicasc @aica_sc

Durant le mois de juin le Beaubourg rendait hommage à l’Arte Povera, courant né en Italie dans les années 60. Un Art Pauvre, manifestation pluridisciplinaire, mêlait  musique, danse, performances, cinéma, séminaire….et deux expositions qui restent visibles jusqu’à fin aout : l’exposition Arte Povera (galerie 4), mettant en valeur la collection du centre et Architecture et design autour de global tools ( galerie 5), dédiée à l’ « architecture radicale » des années 70, en résonnance avec les principes du mouvement. Après avoir visité longuement Paul Klee (carnets de voyage 4)  j’ai parcouru l’exposition sur les Global tools au pas de course (ainsi que la belle exposition Pierre Paulin) et pris mon temps dans la galerie 4. C’est donc de cette exposition que je vous parlerai. L’Arte Povera m’intéresse particulièrement, car il me semble que les artistes martiniquais en ont subi largement l’influence.

L’expression arte povera a été créée par Germano Celant en 67  et figée la même année par Alighiero Boetti dans son affiche-manifeste, avec 16 noms  aux destinées inégales.  Le Centre Pompidou a choisi de centrer sur la décennie 64-74 avec quelques incursions en amont ainsi que quelques rares pièces plus tardives, couvrant toutes les préoccupations majeures du mouvement : la tautologie, l’écriture, la parole, l’énergie  vitale, l’animalité, l’abri….

Alighiero Boetti , Manifesto , 1967 – affiche, papier impression offset tirée à 800 exemplaires

Alighiero Boetti , Manifesto , 1967 – affiche, papier impression offset tirée à 800 exemplaires

Ce sont  40 œuvres, petit format donc, mais grande complexité. Dès l’entrée du forum le crocodilus fibonacci (1972) de Mario Merz interpelle. Puis cela continue avec les «précurseurs », et quels précurseurs : Lucio Fontana, Alberto Burri et Piero Manzoni.

Piero Manzoni, Achrome , 1959 140 x 120,5 cm - kaolin sur toile plissée

Piero Manzoni, Achrome , 1959
140 x 120,5 cm – kaolin sur toile plissée

Alberto Burri, Combustione, 1960 100 X70 cm papier, acrylique, colle et combustion sur toile

Alberto Burri, Combustione, 1960
100 X70 cm papier, acrylique, colle et combustion sur toile

Lucio Fontana, Concetto spaziale , 1960

Lucio Fontana, Concetto spaziale , 1960

Lucio Fontana, Concetto spaziale. Natura, 1959-1960, terracotta, 62 x 60 x 60 cm.

Lucio Fontana, Concetto spaziale. Natura, 1959-1960, terracotta, 62 x 60 x 60 cm.

La toile éventrée  et la terre cuite de Fontana, les combustions de Burri  et la toile plâtrée comme une œuvre malade de Manzoni entrent dans le vif du sujet en  questionnant le matériau brut et sa transformation par la main de l’homme.

Le commissaire Fréderic Paul voulait échapper à la lecture souvent  « pauvre » que l’ont fait de ce courant en le reléguant à la réutilisation de matériaux et à l’économie de moyens. S’il est vrai que l’arte povera va apparaitre pour s’opposer au pop art, et que la critique de la société de consommation lui est intrinsèque, ainsi comme l’utilisation de matériaux naturels ou de récupération, il ne s’agit pas simplement de recyclage ou de rusticité. Il s’agit d’activer le « pouvoir symbolique des matériaux ».

Dans les œuvres des précurseurs comme dans les Achromes de Manzoni on trouve déjà cette préoccupation. Celui de 1961 s’approche du ready made. Progressivement ses tableaux n’auront du tableau que la forme, ne présentant ni couleur, ni composition, ni représentation, et à la rigueur même pas de geste de l’artiste. Son œuvre est matérielle et finie et cette matérialité, ancrée dans la chimie de la vie, la constitue, comme lorsqu’il mettra en boite la Merda d’artista.

Piero Manzoni, Achrome, 1961 Mèches de fibre de verre blanche et fil de fer enroulés sur bois, 51 x 66 x 13 cm

Piero Manzoni, Achrome, 1961
Mèches de fibre de verre blanche et fil de fer enroulés sur bois, 51 x 66 x 13 cmManzoni

Piero Manzoni, Achrome , 1961 – détail

Piero Manzoni, Achrome , 1961 – détail

 L’Arte Povera s’opposait autant au  pop art qu’au minimalisme, et voulait revenir à l’expression d’une intention signifiante, via la charge significative des matériaux eux-mêmes et au-delà  en donnant plus d’importance au processus de création qu’à l’objet fini. Pour cette raison la plupart des œuvres produites dans la mouvance étaient activées par une action lors de leur apparition. Les œuvres présentées  cependant gardent intacte toute leur vitalité, même en dehors des « activations » inaugurales.

Piero Gilardi , Totem domestico 1966 - Structure en bois, polystyrène, mousse de polyuréthane, 200 X 200 X 300CM

Piero Gilardi , Totem domestico 1966 – Structure en bois, polystyrène, mousse de polyuréthane, 200 X 200 X 300CM

Il y a dans toutes ces œuvres la recherche d’un langage universel, activé par des gestes archaïques.  Sur ces points (langage/archaïsme), les deux œuvres de Kounellis sont exemplaires. La première Notte (nuit)   fait partie de la série des Alfabeti, exposée dès sa première année à Rome en utilisant   l’esthétique graphique des enseignes de rue, mais aussi la polysémie. La nuit étant ici autant celle des signes, que celle du film d’Antonioni.  Mais sur ses monumentaux totems en bois, sans nom et enrobés de laine, l’artiste va bien au-delà du sens des signes. Réduisant la représentation à son essence, ses totems incarnent le stade pré-iconographique recherché par l’artiste.

Jannis Kounellis, Senza titolo (Notte), 1965 - 120 x 180 cm – huile sur toile non enduite, agrafée sur châssis

Jannis Kounellis, Senza titolo (Notte), 1965 – 120 x 180 cm – huile sur toile non enduite, agrafée sur châ

Jannis Kounellis, Sans titre,1968 , Laine brute fixée avec des cordes sur 4 bâtons en bois, 515 x 700 x 75 cm. Original détruit en 1973.2ème Version réalisée en 1982

Jannis Kounellis, Sans titre,1968 , Laine brute fixée avec des cordes sur 4 bâtons en bois,
515 x 700 x 75 cm. Original détruit en 1973.2ème Version réalisée en 1982

Pour Celant la pauvreté serait à l’art ce que l’artillerie légère est au guérillero : la frugalité des moyens légers, le renoncement aux équipements lourds qui entravent le mouvement, et l’amplification du mouvement par une construction théorico-stratégique solide. Ce qui faisait de l’arte povera un art contestataire, mouvant et agile,  en phase avec les révoltes et utopies des années 60.

Mario Merz , Igloo di Giap , 1968 – hauteur : 120 cm, diamètre : 200 cm – cage de fer, sacs en plastique remplis d’argile, néon, batteries, accumulateurs

Mario Merz , Igloo di Giap , 1968 – hauteur : 120 cm, diamètre : 200 cm – cage de fer, sacs en plastique remplis d’argile, néon, batteries, accumulateurs

Giuseppe Penone, Il verde del bosco con ramo, 1987. Sève et chlorophylle sur toile de coton, branche d’arbre, tissu, 183,5 x 237 x 10 cm

Giuseppe Penone, Il verde del bosco con ramo, 1987. Sève et chlorophylle sur toile de coton, branche d’arbre, tissu, 183,5 x 237 x 10 cm

Sur l’abri à la forme d’igloo, Merz écrit au néon la phrase du général Giap (“Si l’ennemi se concentre, il perd du terrain, s’il se disperse, il perd sa force”), comme une profession de foi révolutionnaire.

Dans un versant à la fois plus romantique et plus viscéral, la très belle  œuvre de sève, chlorophylle et de bois, de Penone, traduit sa volonté de capter et révéler l’essence de l’élément vital des forêts Pour cela il va utiliser  la chlorophylle,  la matière même de la croissance des plantes, obtenue par frottement direct sur la toile, la juxtaposant au feuillage, aux branches et aux arbres, pour en relever les traces.

On voit ici un art intuitif, expressif, défini plus par une volonté de dire que par des limitations quant au type de matériau à utiliser.

Cette poïésis se retrouve également dans l’œuvre de Pino Pascali, qui en reprenant la forme du “tondo” [tableau de forme circulaire très en vogue au XVe siècle en Italie] et faisant référence aux fables d’Esope, présente la face “cultivée” d’une iconographie qui convoque la matière et le vivant sur toutes ces formes.

Pino PASCALI, Le penne di Esopo [LES PLUMES D’ESOPE] 1968 profondeur: 35 CM diamètre: 150 CM plumes de dinde, laine d’acier tressé montées sur planche de bois

Pino PASCALI, Le penne di Esopo [LES PLUMES D’ESOPE] 1968 profondeur: 35 CM diamètre: 150 CM plumes de dinde, laine d’acier tressé montées sur planche de bois

Matilde dos Santos

Aica Caraïbe du Sud


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