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« La France sans les musulmans ne serait pas la France »

Publié le 18 août 2016 par Blanchemanche
#musulmansdeFrance
Le Monde.fr | 01.02.2016
Zinedine Zidane, le 24 janvierZinedine Zidane, le 24 janvier Angel Fernandez / AP
Par Abdelkader Abderrahmane
Depuis de longues années maintenant, la présence des musulmans en France, et leur rôle positif, est régulièrement questionnée, voire remise en cause. Après l’effroyable tuerie de Charlie-Hebdo et de l’épicerie de l’Hyper Cacher, il y a tout juste un an, et plus encore sans doute depuis le 13 novembre 2015, qui a vu de jeunes Français et de jeunes Européens se réclamant lâchement de l’Islam assassiner froidement et aveuglément des innocents en plein cœur de Paris, ces interrogations se multiplient de manière dangereuse et inquiétante.
En effet, pas un jour ne se passe sans qu’un article de presse ou une analyse traitant des musulmans de France ne paraisse dans la presse. Pas une semaine ne se passe non plus sans qu’un commentaire ou une opinion sur ces mêmes musulmans n’émane d’une femme ou d’un homme politique.
Aussi, en ces temps de « musulmanophobie » galopante qui s’ancre tous les jours un peu plus en France, il est sans doute opportun de rappeler à ces femmes et hommes politiques, essayistes, polémistes et autres experts du tube cathodique, ce que la France – et l’Europe dans sa globalité – doit aux musulmans.
La maison de la sagesse et du savoir
Alors que l’Europe médiévale était entourée de superstition, de fanatisme, de fatalisme, et d’autres irrationalités, le monde arabo-musulman, sous l’impulsion des dynasties Omeyyade et Abbasside, représentait au contraire la bayt al hikma, ou la « maison de la sagesse et du savoir ». Et c’est ce savoir qui a permis aux Européens de sortir des ténèbres de l’ignorance dans laquelle ils étaient plongés, débouchant ainsi sur la Renaissance et les Lumières.
Si l’on parle beaucoup aujourd’hui de la nécessité pour l’islam de se réformer (ijtihad), n’oublions pas que les divergences entre les philosophes musulmans tels qu’Al-Ghazali (1058-1111), Ibn Rushd (Averroès, 1126-1198), Al-Farabi (827-950) ou Ibn Sina (Avicenne, 980-1037) existaient déjà à cette époque, produisant ainsi un terreau fertile et dynamique aux débats (ikhtilaf). Critiquant les travaux d’Aristote (384 av. J.-C.-322 av. J.-C.) dès le XIIe siècle, Averroès et Ibn Tumart (1080-1130) furent aussi les précurseurs de la distinction entre la philosophie et le religieux, semant les graines des Lumières et de la rébellion contre l’Eglise.
Le développement de la science était aussi une priorité pour les Arabo-musulmans de l’époque. A titre d’exemple, les travaux des médecins grecs Claude Galien (129-216) et Paul d’Egine (620-690) qui trouvèrent écho en Europe ne furent que le fruit du travail de traduction et de perfectionnement des Arabes, en particulier ceux de l’alchimiste et philosophe Al-Razi (Rhazès, 865-935), auteur d’Al Hawi, une œuvre médicale majeure. Les juifs qui vivaient en harmonie dans l’Andalousie musulmane, et qui durent ensuite fuir la répression de la Reconquista espagnole, emportèrent avec eux ce savoir médical qui a ensuite permis d’élaborer l’étude de la médecine dans des villes comme Montpellier.
Que seraient aujourd’hui les études sociologiques sans l’apport inestimable d’Ibn Khaldoun (1332-1406), le père de la sociologie moderne, dont le concept d’asabiya, ou esprit de corps, influença énormément la notion de virtu de Machiavel (1469-1527) ? Et que dire du mathématicien perse Al-Khawarizmi (780-850), le père de l’algèbre et de l’algorithme, dont les travaux permirent notamment de reconstruire la cathédrale de Chartres qu’un incendie avait presque détruite au XIIe siècle ? La liste est longue. Mais comme l’écrit si justement l’anthropologue Robert Briffault (1876-1948) dans son livre The Making of Humanity, « la science[occidentale et par extension française] doit bien plus à la culture arabe que des découvertes ; elle lui doit sa propre existence ».
Des liens historiques profonds
Qu’en est-il des musulmans et de leurs liens avec la France depuis un siècle ? Et de ces tirailleurs sénégalais qui combattaient au sein de l’armée française lors de la première guerre mondiale ? Ou bien du rôle des goumiers marocains face à l’Allemagne hitlérienne ?
Et que dire aussi de cette immigration du XXe siècle qui contribua activement aux Trente Glorieuses ? Très nombreux sont ces hommes et ces femmes qui ont perdu de leur santé en suant nuit et jour sur les chantiers français, les usines Renault, Peugeot, les mines de charbon, les constructions des routes et cités HLM dans lesquelles ils vivent aujourd’hui dans les conditions que nous savons. Ces hommes et ces femmes qui ont toujours été très discrets, ont constamment remercié la France de leur avoir donné l’opportunité de (re)construire une nouvelle vie. Ils ont aussi fondé des familles dont les enfants font la France d’aujourd’hui.
Pour nombre d’entre eux, ces enfants de confession musulmane sont aujourd’hui des femmes et des hommes dont on ne parle pas mais qui, pourtant, œuvrent tous les jours à la science et aux technologies« made in France« dans les nombreux laboratoires et centres de recherche à travers l’Hexagone. Ce sont des médecins, des dentistes, des cardiologues, des ophtalmologues, des ingénieurs… Ce sont aussi des coiffeurs pour les plus démunis, des techniciens et des agents de surface, des « Arabes du coin » tenant une épicerie ouverte jusqu’à tard dans la nuit. C’est aussi le travailleur malien Lassana Bathily qui, au péril de sa vie, a sauvé il y a un an des vies humaines en les cachant dans la chambre froide de l’Hyper Cacher. Ce sont aussi ces femmes et ces hommes qui nous sourient tous les jours lorsqu’on les croise dans la rue. Ce sont in fine tous ces (in)visibles qui payent leurs impôts et contribuent activement à l’économie de la France.
Des intellectuels, des sportifs, des symboles qui font la France
De son vivant, l’islamologue musulman Mohammed Arkoun (1928-2010) faisait aussi la France avec ses nombreux travaux académiques qui ont énormément contribué à la compréhension de l’islam. Citons aussi au hasard le philosophe et anthropologue des religions Malek Chebel, l’écrivain Tahar Ben Jelloun, la réalisatrice Yamina Benguigui ou les journalistes Sonia Mabrouk et Rachid Arhab, ce dernier ayant été aussi membre du CSA.
La France ne peut pas non plus être dissociée de ces nombreux sportifs français de confession musulmane qui contribuent à son rayonnement en faisant retentir La Marseillaise aux quatre coins du monde. Prenons par exemple le judoka Djamel Bourras, champion olympique à Atlanta en 1996, Mahiedine Mekhissi, double vice-champion olympique du 3 000 m steeple, ou encore le marathonien Alain Mimoun, champion olympique à Melbourne en 1956.
Il est important de rappeler qu’aujourd’hui le symbole par excellence de la France à New York, Tokyo, Londres, Cape Town ou Berlin n’est plus le camembert ou la baguette mais Zinédine Zidane, un homme de confession musulmane. En ces temps de musulmanophobie et d’arabophobie nauséabondes, il serait bon de se souvenir aussi que c’est sa tête qui a permis à la France de remporter ce qui demeure à ce jour sa seule et unique Coupe du monde de football, un soir de juillet 1998.
Oui, sans hésitation aucune, la France sans les musulmans ne serait pas la France. A cet égard, il ne faut pas oublier qu’il coule très probablement dans les veines de beaucoup de Français, hommes politiques y compris, quelques gouttes de sang de Boabdil le musulman, qui capitula sous les coups de boutoir de la Reconquista.
Abdelkader Abderrahmane est analyste et consultant géopolitique
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/02/01/la-france-sans-les-musulmans-ne-serait-pas-la-france_4857016_3232.html#MziEHZ1b49y1Ef81.99

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