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Le « Seigneur des Daechistes »: Nahed Hattar, prisonnier de la campagne électorale jordanienne.

Publié le 19 août 2016 par Gonzo

« Rabb al-dawâ’ich », le seigneur daechistes, caricature reprise par Hattar et qu’aucun média arabe n’ose montrer ! Au paradis, le « daechiste » s’adresse à son Seigneur comme à un simple serviteur. [Pour une traduction anglaise du dialogue : http://www.clarionproject.org/news/jordanian-satirist-arrested-cartoon-mocking-isis#]Peu suivie à l’étranger, la campagne électorale pour les prochaines législatives, prévues en septembre prochain, bat son plein en Jordanie, et le principal enjeu est de savoir la place qu’occuperont sur l’échiquier politique local, au moment des résultats, les Frères musulmans qui avaient boycotté les précédentes élections en 2010 et 2013. De nombreux signes laissent deviner qu’ils pourraient bien être les grands vainqueurs de cette consultation qui s’inscrit par ailleurs dans un environnement régional plus volatil que jamais, avec en particulier la question particulièrement clivante dans l’opinion locale de la position à adopter vis-à-vis du régime syrien, la bête noire de l’opposition islamique.

L’arrestation de Nahed Hattar (ناهض حتر ), décrit par Wikipédia comme un essayiste et journaliste de gauche, illustre bien cette situation. Jordanien appartenant à la minorité chrétienne du pays – une précision malheureusement nécessaire pour comprendre toute cette affaire –, Nahed Hattar a connu la prison à plusieurs reprises et a été victime d’une tentative d’assassinat qui l’a tenu un moment éloigné de son pays. Revenu à Amman, il y est, depuis le déclenchement de la crise syrienne, un des soutiens les plus indéfectibles du régime de Damas et à ses alliés militaires, notamment l’Iran et le Hezbollah.

Il y a tout juste une semaine, Nahed Hattar a publié sur sa page Facebook une caricature, aussi subtile qu’un mauvais dessin de Charlie Hebdo, moquant les « Daechistes » (c’est l’illustration en haut de ce billet). Ce faisant, il commettait une grave erreur car, en reproduisant ce dessin, il prêtait le flan à l’un des instruments privilégiés de la censure dans le monde arabe, à savoir les trop célèbres accusations d’atteinte à la personne divine, compliquée dans ce cas du délit de représentation de la personne divine (voir, entre autres occurrences, ce billet). Le caractère « comique » du dessin n’ôte rien à la gravité de l’offense pour une censure toujours plus tatillonne et bornée. On avait déjà pu s’en rendre compte à Amman, lors de la projection de Bruce Almighty, un film où Morgan Freeman – à qui l’on déconseille de passer des vacances dans la région – incarnait l’Etre suprême, ce qui avait entraîné la censure de toutes les scènes concernées, rendant le film parfaitement incompréhensible pour les spectateurs.

De fait, les très nombreux adversaires de Nahed Hattar ont sauté sur l’occasion pour lancer dans les médias et les réseaux sociaux une violente campagne pour réclamer que soit punie une telle « offense ». Quand bien même a-t-il ôté très rapidement le dessin incriminé, en expliquant par ailleurs à qui voulait l’entendre qu’il se moquait des terroristes et de leur représentation du Seigneur et du paradis, qu’il n’avait jamais voulu ni de près ni de loin s’en prendre à la personne divine et qu’il avait au contraire voulu la purifier de la conception du divin propagée par ces mêmes terroristes » (يسخر من الإرهابيين وتصوّرهم للرب والجنة، ولا يمس الذات الإلهية من قريب أو بعيد، بل هو تنزيه لمفهوم الألوهة عما يروّجه الإرهابيون), Nahed Hattar se retrouve à l’ombre depuis dimanche dernier (une détention qui peut durer deux semaines) pour « incitation aux tensions confessionnelles et atteinte aux convictions religieuses ».

La menace des trois années de prison prévues par la loi pour un tel délit est bien réelle si l’on se réfère à des exemples récents, à commencer par le sort de l’écrivain Ahmed Nagy en Égypte ou du poète Ashraf Fayadh en Arabie saoudite. Malheureusement, ce n’est pas le rituel des pétitions d’intellectuels, sur Facebook ou ailleurs, qui risque de changer grand chose, d’autant plus que les autorités jordaniennes, suivant là encore une tendance qui se répand dans la région, à commencer par l’Egypte, ont choisi d’interdire tout commentaire médiatique sur cette affaire.

On saura ce dimanche si la détention de Nahed Hattar est prolongée ou non d’une semaine (ce qui aurait au moins l’avantage de le tenir à l’abri des menaces de mort proférées contre lui). Dans l’immédiat, la campagne électorale est bien lancée, et de la pire manière. Et on pousse un soupir de soulagement en se disant que ce n’est pas en France qu’il pourrait arriver qu’on se serve ainsi du moindre prétexte vaguement religieux à des fins électorales !…


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