Magazine Culture

Henri-Michel Yéré : La nuit était notre arme

Par Gangoueus @lareus
Henri-Michel Yéré : La nuit était notre armeC’est l’été de la poésie. J’ai forcé ma nature. Mais en matière de littérature, on reçoit toujours quelque chose même quand le genre nous horripile. J’exagère volontairement. Mais vous me connaissez maintenant. Avant de vous parler de ce recueil de poésie publié aux éditions L’Harmattan, j’évoquerai d’abord l’auteur...
J’ai rencontré Henri-Michel Yéré au salon du livre de Genève. L’homme imposant, avenant et pertinent évoluait quasiment à domicile. Le poète venait de Berne. Particulièrement lors d’un apéro pris un soir avec ce poète en compagnie Severine Kodjo-Grandvaux, Alain Mabanckou, Marc-Alexandre Oho Bambé, Felwine Sarr et Cédric Moussavou, il était de propos engageant pour ces discussions de salon toujours enrichissantes. Le dernier jour de cette manifestation genevoise, le poète ivoirien, m’exprima son désir de faire apprécier la poésie aux internautes qui suivent mon émission.
Je souris encore, car la tâche est rude.
Je serais très heureux qu’il parvienne à cette fin. La préparation des émissions Les lectures de Gangoueus de cet été m’indique que l’exercice sera périlleux. Le fait est que la poésie est un genre exigeant, très peu en phase avec le rythme d’un lecteur évoluant dans une mégapole de notre temps. Dès qu’on se pose, qu’on se met en condition, qu’on commence à faire résonner le texte, tout de suite, les choses, mieux les mots prennent vie. J’aimerais être comme le Liseur du train de 6h17 et clamer les vers de Yéré dans le RER C et dire qu’il n'a pas yéré son style. Autrement dit l’homme n’est pas petit. Mais je prends mon train à 8h17 et les usagers, à cette horaire là, sont peu enclin à ce genre d’entertainment littéraire. Je comprends donc la difficulté que j’aie eu pour faire bosser des lecteurs sur de la poésie. Et je suis conscient que certains l’ont fait par amitié, pire par compassion. Qu’ils/elles soient remercié(e)s pour leur sens de l’autoflagellation.
Bref.
Quand on force sa nature, qu’on s’accroche au cri du poète, qu’on s’informe sur la trajectoire de ce dernier, qu’on se pose sur les mots clés qu'il nous renvoie avec récurrence, on finit par tirer quelque chose d’intéressant. Henri-Michel Yéré découpe son recueil en trois séquences :  Nuits / Nous / Armes.

Nuits. 

Elles sont construites à partir de poèmes qui évoquent le départ, l’enfer de la chevauchée vers l’eldorado qui n’est sûrement sur la terre de départ. Il est d’ailleurs assez étonnant que parmi ces départs, comme Sylvie Kandé, Henri-Michel Yéré évoque la folle odyssée d’Abubakr II au douzième siècle. Il est question du désert, des vents qui s’opposent à l’avancée des hommes, des boussoles toutes pointées vers le nord des miradors qui se dressent pour empêcher l’arrivée. La nuit semble nous parler de cette immigration clandestine dans toute sa violence, sa désespérance. Le paradis s’incarnant dans une Tour Eiffel touchée du doigt. Vaste leurre, utopie désastreuse. J’ai donc du mal à comprendre cette intériorité de la nuit qui semble avant tout une projection vers l’autre. La nuit serait donc une fuite, une volonté de désertion, une incapacité à faire sur place et la confrontation à un mur. L’Europe ne veut plus ouvrir ses portes.
Le vrai bois sacré : dunes sous la lune alors que la mer est la plus grande dune, les enfants de la nuit, amis des sables, dans le désert comme dans les fonds de mer
page 24 - La nuit était notre seule arme

Nous. 

Le poète évolue en portant un masque. Du moins je pense. Quand je lis Césaire, son cri est limpide. Un chat est un chat. Ce n’est pourtant pas un reproche que je fais à Henri-Michel Yéré. Le contexte de son pays, la Côte d’Ivoire impose l’usage de symboles, d’images qu’il faut décoder. Le Nous parle de cette collectivité ivoirienne. Une société à la base ouverte comme le rappelle le poème qui raconte Treichville. Le Nous, c’est un peu le moi qui s’autorise à dire.


Les armes.

Celles du poète. Les mots. Dire. Sans être un guide et un leader. Juste dire. Dire juste. Il n’accuse personne. Henri-Michel Yéré définit sa poésie. Il est certain que le propos de l’auteur ivoirien est pertinent. Pourtant que retiendrai-je de cet ouvrage ? Des jeunes africains qui fuient de manière massive une terre qui ne leur laisse pas de terrain d'expression et de lieu d'ancrage. Le fond de la question n'est peut-être traité. Parce que le volet « Nous » a du mal à voir et à répondre à la question de l’identité ivoirienne, aujourd’hui.
Ma poésie ne se bat contre personne, ne venge personne, n'accuse personne.Seulement sa clarté oblige les flagrants délits, nomme les assassins et ressuscite les morts.
page 64 - La nuit était notre seule arme
Cela étant dit, je revendique le droit de me tromper dans la compréhension des vers d'Henri-Michel Yéré.
Henri-Michel Yéré, La nuit était notre seule armeEditions L'Harmattan Côte d'Ivoire, 2015Sa poésie est belle, elle est maîtrisée. On la lit en faisant des pauses, en méditant. Bonne lecture. 

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gangoueus 8178 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines