Magazine Politique

Sportifs et intellectuels au temps de la « normalisation » dans le monde arabe

Publié le 27 août 2016 par Gonzo

judokasAdoptée en 2004, la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises a vite montrait qu’elle ciblait en fait les seuls adeptes de la religion musulmane. Au fil des ans, elle a même fini par glisser du voile à la jupe, érigée en symbole de la liberté féminine. Des vêtements « ostentatoirement » trop longs ont ainsi entraîné l’exclusion de lycéennes pas assez « discrètes » comme se plaît à le recommander aux intéressé(e)s Jean-Pierre Chevènement, futur président de la Fondation des œuvres de l’islam de France ! Il était par conséquent assez prévisible que les amendes (grotesques) contre le port du burkini se transforment rapidement en instruments de harcèlement à l’encontre de toutes les « porteuses de voile » sur les plages. Malgré la décision du Conseil d’État contre cet arrêté administratif, certains ne désespèrent pas d’étendre à l’ensemble du paysage national cette interdiction d’un « symbole d’asservissement de la femme » comme l’analyse M. Valls, avec beaucoup d’intelligence (politique).

Autre exemple de ces « glissements de la loi », les circulaires dites Alliot-Marie et Mercier de 2010 et 2012, qui s’appuient sur les très légitimes dispositions légales contre l’antisémitisme pour faire condamner les militants du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions). Il n’y a que les Israéliens pour faire mieux avec la « loi pour la prévention des dommages envers l’Etat d’Israël par le boycott »

Sur cette question justement, on pourrait dire que la position des pays arabes est strictement opposée dans la mesure où le boycott y est, au contraire, en général imposé par des lois passées dans les années 1960 à l’initiative de la Ligue arabe. Il est arrivé que l’évolution des relations diplomatiques modifient la donne (les accords de Camp David par exemple) mais, dans la pratique, l’auteur d’un utile rappel des données juridiques libanaises relatives à cette question a raison de souligner que « l’ambiance générale laissée par le discours politique est que toute relation [avec Israël] est interdite, de quelque nature fut-elle ».

Coincés entre la réalité du droit et la pression de l’opinion, bien des individus se retrouvent dans des situations cornéliennes, à l’image du judoka égyptien Islam Shehaby résumant ainsi son dilemme au moment d’affronter, aux jeux olympiques de Rio, un adversaire israélien : « On me présentait comme le ‘leader des musulmans’ et on attendait de moi que je batte Israël et les sionistes. (…) J’aurais pu me retirer [de la compétition] mais on m’aurait traité de lâche, ou bien combattre et être traité de partisan de la normalisation des relations avec Israël. Si j’avais serré la main de Sasson, j’aurais été traité de traître, et si, je ne le faisais pas, on me présentait comme un terroriste. » Assez « normalement » au regard des relations officielles entre Israël et l’Égypte, le champion a donc été sanctionné par sa fédération qui l’a prié de rentrer chez lui. Depuis,  il a annoncé son intention d’abandonner le sport sur cette note particulièrement triste.

À l’inverse, il a pu arriver (plus souvent à dire vrai) que les mêmes instances, dans d’autres pays, exigent de leurs sportifs qu’ils « boycottent » leurs adversaires, à l’image de l’épéiste tunisienne Azza Besbes qui, immobile, laissa son adversaire israélienne l’emporter lors de la finale des championnats du monde en 2011. Souvent interprétées comme de courageuses décisions individuelles en faveur du boycott de l’État israélien, les attitudes des vedettes du sport sont aussi largement déterminées par les injonctions des structures qui les encadrent, en plus, bien entendu, des pressions de l’opinion publique du moment.

Gold
Une opinion qui, bien entendu, évolue au gré des circonstances politiques, ou bien encore – et c’est naturellement lié – sous l’influence de ceux qu’on appelle les « faiseurs d’opinion »,les  grandes voix médiatiques et autres intellectuels prestigieux. Dans l’actuel Moyen-Orient, on voit ainsi clairement évoluer les frontières, qui ne sont plus aussi qu’étanches qu’autrefois, entre les responsables israéliens et certains de leurs homologues arabes. Une partie de l’opinion s’est ainsi beaucoup émue devant la récente photo du nouvel ambassadeur de l’Égypte du président-maréchal Sissi, serrant la main du très à droite Premier ministre Benyamin Netanyahou. Mais ce n’était rien au regard de la stupeur qu’a déclenchée, fin juillet, la « visite inédite d’un ex-responsable militaire saoudien », qui a rencontré le Directeur général du ministère des Affaires étrangères à la tête d’une délégation d’universitaires et d’hommes d’affaires (photo ci-contre). Après les révélations par la presse internationales de bien d’autres rencontres qui ne sont plus guère secrètes, on peut imaginer comment est reçue la révélation de ces bonnes manières des « Gardiens des lieux saints » de l’islam (un des titres des souverains saoudiens) à l’égard de ceux qui occupent la sainte mosquée Al-Aqsa en Palestine…

À l’image des sportifs, les intellectuels et artistes arabe doivent eux aussi jouer, sur la question du boycott, avec des règles qui ne sont pas toujours claires. Mais il arrive aussi qu’ils ne soient pas eux-mêmes toujours très clairs vis-à-vis de ces règles, qu’il est fort tentant pour eux de violer plus ou moins brutalement dans la mesure où cette transgression, paradoxalement, peut être très gratifiante pour leur réputation. Sur un marché culturel arabe où la « valeur » d’un intellectuel ou d’un artiste est davantage déterminée par les acteurs étrangers que locaux (c’est le cas par exemple des écrivains, surtout lorsqu’ils sont francophones), on ne compte plus les déclarations provocantes dont on peut légitimement soupçonner qu’elles sont moins motivées par des convictions réelles que par le désir, par toujours conscient, d’assouvir une ambition personnelle en tenant un discours susceptible de plaire aux instances extérieures. Quite à jouer les Arabes de service pur le dire crûment !

Saber-Arrobae777
Ceci mis à part (même si ce n’est pas rien), on a aussi l’impression que les faux pas des leaders d’opinion ont tendance à se multiplier depuis quelque temps. Comme si ces capteurs de l’humeur du moment que sont les (bons) artistes sentaient que, pour se conformer à l’esprit du temps, on peut (il faut ?) désormais tenir un autre discours sur le boycott et revendiquer une attitude beaucoup plus agressive vis-à-vis de ceux qui en tiennent encore pour ces vieilleries. L’actualité très récente en offre plus d’exemple. On peut penser à ce chanteur tunisien, Saber Rebaï (صابر الرباعي ) qui, dans le cadre d’un concert dans la ville (contestée) de Rawabi (روابي) tout près de Birzeit, a eu la maladresse insigne de se laisser prendre en photo  tout sourire avec un de ces officiers israéliens qui humilient régulièrement les Palestiniens au passage de la frontière avec la Jordanie (photo ci-contre).

Mais on pourrait évoquer aussi la très contestée interview donnée par l’académicien franco-libanais Amine Maalouf à la chaîne israélienne I24, ou encore, au début de ce mois ; les déclarations assez imp(r)udentes du cinéaste libanais Ziad Doueiri. Déjà mis en cause pour avoir séjourné et tourné en Israël le film L’Attentat (2005) – dont le scénario, tiré d’un roman de l’Algérien Yasmina Khadra, joue assez peu subtilement sur le désarroi d’un chirurgien palestinien découvrant que son épouse est une terroriste kamikaze –, le réalisateur du très apprécié West Beyrouth (1998) a ainsi tenu, à l’occasion de son retour dans son pays, des propos qui parlent d’eux-mêmes : « Il y a des courants stupides qui durent depuis 10, 20 ou 40 ans, et qui disparaissent. Il y a des gens stupides qui continuent à agiter le drapeau palestinien et à crier les slogans pour la libération de la Palestine en appelant à boycotter un artiste, que ce soit Ziad Doueiri ou Amine Maalouf. Mais ils n’ont aucun impact sur la société. Ce sont des microbes qui se développent sur nos corps, qui disparaîtront quand nous disparaîtrons. Sauf que nous on laissera une trace dans l’histoire et la culture, alors qu’ils s’avanouiront comme un filet de fumée. En fin de compte, et quoi qu’ils fassent, on suivra notre voie. »

ثمة تيارات تافهة تستمر 10 أو 20 أو 40 سنة، ثم تزول. وثمة أشخاص تافهون، « بعدن ناتعين » العلم الفلسطيني ويرفعون شعار تحرير فلسطين من خلال مقاطعة الفنان، سواء أكان زياد دويري أم أمين معلوف. ولكن ليس لهؤلاء أيّ تأثير في المجتمع. إنهم جراثيم موجودة بسبب وجودنا، وتختفي مع اختفائنا. ولكن، عندما نختفي نحن، سنترك أثراً في التاريخ والثقافة، في حين هم سيختفون كالبخار. في النهاية، مهما فعلوا، نحن ماضون في طريقنا.

De telles déclarations, anathèmes il y a quelques années encore, témoignent de l’extraordinaire affaiblissement du projet politique arabe.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines