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[Critique] COMANCHERIA

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] COMANCHERIA

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Titre original : Hell Or High Water

Note:

★
★
★
★
½

Origine : États-Unis
Réalisateur : David Mackenzie
Distribution : Chris Pine, Ben Foster, Jeff Bridges, Gil Birmingham, Marin Ireland, Katy Mixon, Kevin Rankin, Dale Dickey…
Genre : Drame/Thriller
Date de sortie : 7 septembre 2016

Le Pitch :
Deux frères décident d’effectuer une série de braquages dans de petites banques afin de réunir la somme nécessaire pour éviter la saisie de la propriété familiale. Rapidement, un ranger aux portes de la retraite et son coéquipier se lancent à leurs trousses sur les routes poussiéreuses du Texas…

La Critique :
Taylor Sheridan étonnait son monde en 2015 en pondant le script de Sicario, l’un des meilleurs films de l’année. Auparavant connu des fans de Sons Of Anarchy, où il interprétait le chef-adjoint David Hale, Sheridan devenait d’un coup d’un seul un scénariste à suivre. Mais malgré toutes les qualités que présentait son travail pour le film de Denis Villeneuve, et malgré le fait que son nom figurait aussi sur le script de Comancheria, difficile de ne pas être une nouvelle fois surpris devant l’excellence de sa nouvelle livraison.

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Derrière la caméra, on retrouve David Mackenzie, une autre révélation « récente », qui nous avait bien mis K.O. il y a deux ans avec Les Poings contre les murs, l’un des drames carcéraux les plus viscéraux vus depuis des lustres. Un réalisateur qui a donc traversé l’Atlantique pour mettre en image cette histoire de deux frères cambrioleurs et d’un ranger pré-retraité, dans un Texas tanné par le soleil et plongé dans une violence inhérente au deuxième amendement de la Constitution américaine. Un « étranger » dont la présence pouvait de prime abord surprendre, tant Comancheria brasse tout un tas de thématiques véritablement propres aux États-Unis et plus spécifiquement aux peuples du sud-ouest, là où sur bien des points, le temps s’est arrêté pour prolonger l’âge d’or des cow-boys, avec tout ce que cela sous-entend. Un anglais pouvait-il saisir l’essence d’un tel drame ? La réponse est évidente dès les premières minutes du long-métrage. Mackenzie s’impose même comme le choix idéal tant le recul que lui confère ses origines européennes lui permet d’offrir au récit une illustration pleine de pertinence, car nourrie de ce petit mais savant décalage, responsable au final de la saveur que le spectacle distille tout du long. On espère ainsi que Comancheria ne va pas dévier de sa route et continuer comme cela jusqu’au bout. Le début est tellement prometteur qu’il aurait été dommage que le réalisateur tombe dans l’excès, mais heureusement, ce n’est pas le cas. L’équilibre est parfait et David Mackenzie de s’approprier le formidable matériau de base de Taylor Sheridan pour en décupler la puissance et offrir à son propos un écho qui subsiste longtemps après le générique de fin.

Mine de rien, ça fait drôlement plaisir de revoir Jeff Bridges dans un rôle à sa mesure. Non pas que le Dude nous avait inquiété, mais le voir enfiler les navets comme R.I.P.D., The Giver et Le Septième Fils avait quelque chose de profondément dommage. Trois films en forme de tâches plutôt embarrassantes dans une filmographie qui a longtemps fait figure d’exemple tant elle ne comptait aucun véritable mauvais film. Avec Comancheria, Bridges retrouve quoi qu’il en soit ses marques, dirigé par un réalisateur qui sait d’emblée comment le positionner. À lui tout seul, avec sa voix traînante, ses yeux toujours fixés sur un point lointain qu’il semble être le seul à voir et sa silhouette de cow-boy fatigué mais déterminé, le comédien retrouve alors toute sa superbe dans un rôle parfaitement taillé pour son incroyable charisme. Sans trop en faire, avec une nonchalance qui lui est propre, il traverse cette histoire, remarquablement accompagné par le génial Gil Birmingham, lui aussi très touchant, pour au final incarner en quelque sorte une évocation trop souvent oubliée car noble, du mythe américain. Il personnifie l’Ouest mais pas dans les dérives de ses gâchettes faciles et constitue pour les deux frères incarnés par Ben Foster et Chris Pine, un adversaire certes à la hauteur, mais surtout jamais unilatéral dans sa quête de vérité et de justice. À l’instar du film, Marcus Hamilton, son personnage, est impitoyable mais sans cesse habité de cette mélancolie qui se dispute avec un humour omniprésent mais discret. Alors que Comancheria nous parle du rêve américain, de la violence des armes, toujours prêtes à être dégainées (voir l’hallucinant dernier braquage), son discours nous livre aussi des réflexions d’une justesse rare sur la vieillesse, sur le deuil et sur l’amour fraternel et paternel. Tout est mélangé mais chaque ingrédient est visible. Chaque thématique est explorée d’une parfaite manière. Taylor Sheridan a vraiment écrit un scénario remarquable, où les personnages sont tous croqués avec soin, et où les dialogues claquent comme des coups de feu, quand ils ne se s’imposent pas carrément comme les bribes d’un poème pas tout à fait désenchanté mais pas loin…
Et si Jeff Bridges fait un travail admirable, force est de reconnaître que Chris Pine et Ben Foster ne déméritent pas non plus. Chris Pine qui tient probablement son meilleur rôle. Celui d’un cow-boy, ancien observateur de sa propre vie, qui se décide à passer à l’action pour sauver les meubles (et le reste). Ben Foster quant à lui a écopé du personnage le plus casse-gueule. Dans tous les films de braquage (car Comancheria est un super film de braquage), il y a un type cramé et violent qui n’hésite pas à franchir la ligne jaune. Ici, c’est Foster. Un comédien polymorphe (matez un peu sa transformation depuis The Program, où il campait Lance Armstrong) qui se glisse avec une aisance incroyable dans ce qui aurait pu être une énième incarnation de ce fameux archétype. Mais non, car sur ce point également, Comancheria ne tombe dans les clichés et va au-delà des idées reçues pour venir nourrir une dynamique fluide et cohérente. Ben Foster, qu’il serait peut-être temps de considérer comme l’un des acteurs les plus géniaux de sa génération, et Chris Pine, sont autant des victimes que des agresseurs. Pas plus Robin des bois que tueurs implacables, ils agissent dans un but bien précis. Parmi toutes ses qualités, Comancheria n’est à aucun moment manichéen. Pas de blanc ou de noir mais plusieurs teintes de gris. La couleur de l’âme humaine quand elle est en proie à des tourments, en quête d’une rédemption impossible.

Comancheria (pour une fois quel beau titre, bravo au distributeur) est justement l’illustration brutale et sublime de cette envie de rédemption. Il prend pied dans un monde, le notre, où changer et réparer les erreurs rime pour certains avec une série de choix périlleux dont l’issue n’est bien souvent pas celle souhaitée. Il s’apparente à une mélopée tantôt contemplative, tantôt effrénée, qui fonce à 100 à l’heure sur les routes interminables du Texas. David Mackenzie saisit l’éloquence des paysages pour offrir à ses protagonistes une toile de fond qui vient se confondre avec la couleur de leur peau, de leur yeux et de leur psyché torturée.

En Bref…
Drame insaisissable, passionnant, déchirant mais aussi plus qu’à son tour drôle, Comancheria est le fruit d’une association de talents somme toute exceptionnelle. Ce n’est ni un remake, ni une nouvelle relecture, pas plus qu’il n’est l’adaptation d’un roman ou d’une série. Mine de rien, on n’en croise plus très souvent des films de cette trempe. Des œuvres qui parviennent à accomplir avec un brio exemplaire tout ce qu’ils tentent. Qui collent la chair de poule, qui font réfléchir et dont le souvenir persiste longtemps… Un des meilleurs films de l’année.

@ Gilles Rolland

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  Crédits photos : Wild Bunch Distribution


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