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Quand Babelio rencontre Emily St. John Mandel

Par Samy20002000fr

Vous êtes-vous déjà demandé ce qui survivrait à notre époque si la civilisation venait à être décimée ? De quels objets culturels nous souviendrions-nous suite à une apocalypse ? Une série télévisée ou bien un opéra classique ? C’est exactement la question que s’est posée Emily St.John Mandel, l’auteur de Station Eleven, son quatrième roman très remarqué dans le monde anglo-saxon et sacré par le Prix Arthur C. Clarke qui récompense chaque année le meilleur roman de science-fiction publié au Royaume-Uni. L’écrivain canadienne était de passage à Paris dans le cadre du festival America et nous a fait le plaisir d’accorder une soirée aux lecteurs de Babelio dans les locaux des éditions Rivages le lundi 12 septembre dernier. La traduction a été assurée par Fabienne Gondrand.

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Une pandémie foudroyante a décimé la population. Une troupe d’acteurs et musiciens nomadise entre de petites communautés de survivants pour leur jouer du Shakespeare, un répertoire classique venu à représenter l’espoir au milieu des étendues dépeuplées. S’étendant avant et après la pandémie, le roman entrelace plusieurs destinées liées à celle d’un acteur connu, décédé sur scène la veille du cataclysme, Arthur, dont l’histoire semble étrangement liée à un illustré bien mystérieux…

Du polar à la science fiction

Station Eleven marque l’entrée de son auteur dans le monde de la science-fiction, alors qu’elle était auparavant plutôt tournée vers le genre du polar : “Ce n’était pas une décision totalement inconsciente. Je n’ai jamais souhaité me cantonner à un genre en particulier, je ne me sens pas auteur de genre. Pour moi, j’écris de la fiction littéraire, c’est tout.” Derrière cette ambition de n’appartenir à aucun genre, Emily St. John Mandel explique éprouver une certaine gêne à être étiquetée : “Malgré tout le respect que j’ai pour le monde du polar, si j’avais continué dans cette voie, j’aurais été marketée comme auteur de polar et je sais qu’il est très difficile d’en sortir. Alors j’ai changé de style, même si c’est aujourd’hui pour me retrouver avec une autre casquette, celle d’auteur de science-fiction.” Bien sûr, cette question de genre est très subjective et varie beaucoup d’un marché à l’autre, il est donc difficile pour un auteur traduit à l’étranger de savoir se positionner : “J’accorde peu d’importance à la case dans laquelle je vais être rangée finalement, l’important à mes yeux reste avant tout la qualité de mon histoire.”

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Dangereuse science-fiction

Les lecteurs présents à la rencontre confirment : il leur est presque tous arrivé de se refuser la lecture d’un livre sous prétexte qu’il appartenait à un genre qu’ils ne lisent pas ; et c’est précisément ce contre quoi Emily St. John Mandel tente de lutter. “J’ai lu un article très intéressant dans le New Yorker, il y a deux ans de cela, dans lequel il était expliqué que les récits sont souvent à la frontière entre plusieurs genres et qu’il est vain de vouloir les catégoriser. C’est un point de vue très intéressant que d’ouvrir de cette façon les perspectives des écrivains.” En dehors de la question de l’étiquette, la science-fiction n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, un genre facile d’accès pour les écrivains : “il ne faut pas croire que l’on est plus libre qu’avec le polar par exemple. Les recherches à effectuer pour rendre un univers imaginaire crédible, sont vraiment conséquentes ! De plus, c’est un genre dominé par les hommes et il faut s’habituer à être noyé au milieu des messieurs en festival lorsque l’on est une femme… Et non, ça n’est pas ce constat qui m’a poussé dans cette direction” précise l’auteur en souriant.  

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Apocalypse non violente

Comme vous l’avez peut-être constaté, lorsque la science-fiction s’empare de notre planète, elle lui réserve bien souvent un destin tragique. C’est forte de ce constat que l’écrivain canadienne a souhaité s’intéresser à un autre aspect du futur de notre civilisation : ”Beaucoup de livres évoquent un monde post-apocalyptique et leur point commun est une violence extrême. J’ai beaucoup lu ce genre de romans étant adolescente ; Walter Miller m’a notamment énormément marquée, tout comme les classiques des années 1960. J’ai vraiment essayé d’éviter d’instaurer une atmosphère chaotique dans mon roman, même si j’aime lire ce genre de choses.” Dès lors, Emily St. John Mandel a choisi de s’intéresser à ce qu’il se passerait une vingtaine d’années après l’apocalypse : “Je me suis demandé à quoi ressemblerait un monde en reconstruction, quelle culture choisirait-il de célébrer ? C’est la question fondamentale que pose mon roman et c’est une interrogation qui m’intéresse beaucoup : porterait-on au panthéon futur nos classiques actuels ou bien une bande dessinée autopubliée absolument inconnue pour l’instant ? Personne ne peut le savoir !”

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Construire son monde

Comment s’y prennent les auteurs pour construire un monde imaginaire crédible? Vous vous êtes sans doute déjà posé la question. Sans détour, Emily St. John Mandel explique à ses lecteurs : “Et bien on le fait, c’est tout ! L’imaginaire est le résultat d’un long processus d’extrapolation. Par exemple, nous avons tous déjà vu une maison abandonnée, avec des arbres qui poussent à l’intérieur. Et bien il suffirait d’élargir cette vision à une échelle plus grande pour obtenir un monde imaginaire. C’est aussi simple que cela.” L’auteur explique par la suite avoir beaucoup lu de textes dits “survivalistes” afin de rendre son récit plus crédible et si elle nous le déconseille afin de nous éviter de cauchemarder, elle précise que ces lectures ont beaucoup stimulé son imagination : “J’y ai appris comment fabriquer son propre savon, comment vivre sans électricité… C’est très intéressant en tant qu’auteur d’essayer de deviner comment les gens réagiraient à un monde tel que celui que j’ai imaginé.”

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Une grippe qui les tuera tous

Dans le roman d’Emily St. John Mandel, c’est une grippe qui décime la quasi totalité de la population. Curieux, les lecteurs l’interrogent à ce sujet : “Les épidémies que l’on a connues jusqu’à présent sur terre sont, et nous avons beaucoup de chance, restées relativement localisées. J’ai choisi la grippe parce qu’elle évoque quelque chose que nous connaissons tous puisque nous sommes très nombreux à l’avoir déjà attrapée. Bien sûr, la crédibilité d’un tel scénario catastrophe est toujours discutable. J’ai rencontré deux experts et alors que l’un niait complètement la possibilité d’une grippe comme arme de destruction massive, l’autre me soutenait le contraire. Finalement, le doute plane et c’est je crois l’un des enjeux de la science-fiction.”

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Sur la route

Les personnages principaux du roman Station Eleven, sont des artistes itinérants, qui traversent le pays et vont de communautés en communautés. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est bien cet élément particulier qui a donné naissance au roman : “Au départ, je voulais que le roman se déroule aujourd’hui et évoque la vie d’artistes itinérants. Je n’avais pas du tout en tête l’aspect apocalyptique. Cependant, je souhaitais également écrire sur la technologie qui nous submerge à l’heure actuelle et que l’on prend pour argent comptant. Dès lors, j’ai pensé qu’un futur sans technologie était la meilleure manière d’évoquer la question puisque j’en priverais tous mes personnages. Finalement, j’ai abordé la question de la technologie en choisissant de peindre son absence dans notre quotidien.”

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Le poids des souvenirs

La mémoire est un thème qui intéressait également Emily St. John Mandel et notamment la question des souvenirs : “Je voulais également pouvoir traiter le souvenir comme poids ; en effet, plus l’on possède de souvenirs, plus on en perd et d’ailleurs, seuls les gens ayant connu un avant différent de leur présent sont en mesure de comparer et de regretter. Finalement, les survivants à l’apocalypse ont beaucoup plus de mal à s’adapter au nouveau monde que les plus jeunes. J’ai beaucoup réfléchi à cette question du traumatisme et des souvenirs. Je pense que d’un monde passé, il ne nous resterait que des éléments aléatoires, tout comme les images que nous avons de notre enfance ne sont que des chansons ou des images floues. J’ai également souhaité traiter cette dimension dans le roman.”

Allers-retours

Concernant son mode d’écriture, l’écrivain canadienne explique ne pas respecter l’ordre chronologique. Son roman effectue d’ailleurs des allers-retours entre présent et passé. “J’ai toujours écrit de cette manière. C’est, je pense, un très bon moyen de raconter des histoires car cela enrichit beaucoup la narration. J’ai l’impression en écrivant de construire un puzzle géant et cela ajoute un contraste important entre le passé et le présent de mon histoire. Cela revient en quelque sorte à amplifier les deux époques.” Évidemment, fonctionner sans plan n’est pas chose aisée quand vient l’heure de la relecture : “Bien sûr, mes brouillons sont presque illisibles ! Il me faut maintes fois les reprendre pour rendre l’histoire cohérente, mais fonctionner sans plan me rend l’exercice de l’écriture beaucoup plus ludique : si je bloque sur un passage, je passe au suivant et j’y reviens par la suite en fonction de mon inspiration !”

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Cymbeline, Fille déloyale

Shakespeare est une figure centrale dans Station Eleven. C’est avec la mort d’un acteur interprétant une de ses pièces que débute le roman. De même, ce sont ses pièces que joue la troupe itinérante tout au long du récit. Pourquoi l’auteur s’est-elle tournée vers lui en particulier ? “Lorsque j’ai pensé au répertoire de mes personnages je me suis dit que tout était possible. Cependant, j’ai pensé que dans un monde post-apocalyptique où la technologie a dévasté la terre, la population aurait plutôt tendance à se tourner vers les oeuvres d’avant la folie numérique et donc vers les oeuvres classiques. De plus, en me penchant sur la vie de Shakespeare, j’ai trouvé beaucoup de similitudes entre son époque et celle que je décrivais : un monde sans électricité, où les artistes itinérants étaient à la mode et où la menace de la peste pesait au quotidien ; je me suis donc sentie poussée vers son répertoire. Enfin, Cymbeline est ma pièce préférée de l’auteur et j’ai aimé l’idée que si tout venait à disparaître sur terre, elle soit l’une des seules pièces à survivre.”

La fin avant la suite ?

Lorsque l’on apprécie beaucoup un livre, on souhaite intimement retrouver les personnages pour un deuxième volet. C’est donc tout naturellement que la question est posée à Emily St. John Mandel, par un public conquis par son roman : “J’ai pris énormément de plaisir à faire évoluer mes personnages et en particulier Miranda que j’apprécie particulièrement mais je crois que j’ai passé beaucoup trop de temps à réfléchir à la fin du roman pour finalement les faire revenir ! En tout cas, les droits du roman ont été vendus au cinéma, et je crois que quelqu’un s’intéresse au scénario en ce moment…

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Après cette dernière question, les lecteurs ont eu la chance de partager un verre de l’amitié avec l’auteur avant de procéder à une séance de dédicace et de pouvoir échanger personnellement avec elle.
Retrouvez Station Eleven d’Emily St. John Mandel, publié chez Rivages

Retrouvez notre interview de l’auteur et un aperçu de la rencontre en vidéo :


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