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Conflit chez les économistes: Cahuc et Zylberberg, victimes de leurs préjugés idéologiques

Publié le 26 septembre 2016 par Blanchemanche
#LiêmHoangNgoc

Publié le 25-09-2016 

Par 
Nouvelle Gauche Socialiste

 Un pamphlet, signé par les économistes orthodoxes Cahuc et Zylberberg relance le conflit au sein de la communauté des économistes, divisée entre hétérodoxes et néoclassiques. Liêm Hoang-Ngoc, maître de conférences à l’Université de Paris 1 et auteur de plusieurs ouvrages sur l'économie, nous éclaire sur cette violente discorde.

Édité par Barbara Krief  Auteur parrainé par Baptiste LegrandConflit chez les économistes: Cahuc et Zylberberg, victimes de leurs préjugés idéologiques
Cahuc et Zylberberg avancent l’hypothèse suivante : le chômage est principalement lié au coût du travail. Image d'illustration. (Pixabay)

Dans un pamphlet visant à discréditer les économistes hétérodoxes qu’ils qualifient de "négationnistes", Pierre Cahuc et André Zylberberg se font les porte-paroles de l’opinion dominante des tenants de la corporation des économistes, pour qui la bonne science économique doit être pratiquée sur le modèle de la science physique.

Nombre d’entre eux déclarent appliquer à la lettre la méthodologie économique recommandée par l’épistémologue Mark Blaug, pour qui les énoncés économiques sont réputés scientifiques s’ils sont infirmables, conformément au critère énoncé en 1934 par Karl Popper.
Des prédictions par déduction logique
La méthode recommandée, dite hypothético-déductive ou instrumentaliste, consiste à énoncer un ensemble d’hypothèses empiriquement testables, formant un modèle théorique cohérent et conduisant par déduction logique à des prédictions. La théorie retenue est alors celle qui résiste au test de ses hypothèses et de ses prédictions.  L’histoire de la pensée économique est elle-même comparée à l’évolution des autres disciplines scientifiques. Elle aurait été le théâtre d’une succession de paradigmes au sens de Kuhn, ou encore de programme de recherche au sens de Lakatos. Un paradigme désigne l’ensemble des pratiques dominantes au sein de la profession. Ces pratiques forment la science normale, dominante.
Cette dernière est ensuite susceptible d’être écornée, puis de s’effondrer suite à la multiplication de controverses méthodologiques accouchant d’une nouvelle matrice disciplinaire dominante.
Un Programme de recherche scientifique est constitué d’un noyau dur de propositions métaphysiques irréfutables, et d’une ceinture protectrice, faite d’hypothèses auxiliaires destinées à rendre la théorie empiriquement testable. Un programme de recherche est dit progressif lorsqu’il parvient à expliquer un phénomène empirique nouveau. Il devient dégénérescent s’il n’y parvient pas sans user d’explicationsad. hoc, visant à justifier le bien-fondé d’une théorie empiriquement mise à mal.
Une hypothèse qui n’a jamais été solidement validée
Le programme de recherche néoclassique revendique l’héritage exclusif de l’histoire de la pensée économique. Il  pourfend les théories institutionnalistes, structuralistes et marxistes, rangées parmi les méthodologies dites approximatives. Les approches holistes sont en particulier critiquées pour leur caractère totalisant et infalsifiable, à la différence de la démarche instrumentaliste, appliquant avec rigueur l’individualisme méthodologique.
Pour autant, les économistes du mainstream respectent rarement les canons méthodologiques qu’ils entendent imposer à leurs congénères et pratiquent la plupart du temps un infirmationisme inoffensif (dixit Blaug).
Il faut dire que les évaluations empiriques invalident bien souvent le système de croyances dominant lorsqu’elles sont rigoureusement opérées en tenant compte des rétroactions entre les effets micro et macroéconomiques. Cahuc et Zylberberg ont ainsi construit l’essentiel de leur carrière autour de l’hypothèse selon laquelle le chômage serait avant tout lié à un problème de coût du travail, et particulier à un salaire minimum trop élevé. Or cette hypothèse n’a jamais fait l’objet de validations empiriques solides.
Cahuc et Zylberberg défendent la loi travail
Les études économétriques n’ont jamais mis en évidence, à l’échelle macroéconomique, l’existence d’une relation inverse entre le coût relatif du travail et l’emploi en France.
Certes, les auteurs brandissent des travaux microéconomiques sélectionnant des "panels tests" d’entreprises pour évaluer la sensibilité de l’emploi au coût du travail de "groupes tests" de salariés non qualifiés. Mais ces études microéconomiques ne prennent pas en compte l’impact sur le bouclage macroéconomique d’une variation du salaire.
Elles sont, de plus, insuffisamment représentatives pour déboucher sur la théorie générale du chômage dont les auteurs se font les apôtres. Ils n’ont d’ailleurs fait qu’en importer les modèles, pour certains conçus aux Etats-Unis par un certain Joseph Stiglitz, dont les analyses actuelles de la réalité européenne le conduisent à écarter la pertinence des politiques de "dévaluation interne" défendues par nos promoteurs de "réformes structurelles" du marché du travail (Cahuc et Zylberberg défendent la loi travail et font la promotion du contrat de travail unique).
Le débat économique est ici la poursuite du débat politique
La charge lancée par l’accusation à l’encontre des hétérodoxes se retourne ici contre elle. En l’absence de validation incontestée, les modèles néoclassiques reviennent eux-mêmes à raconter des histoires plus ou moins vraisemblables et généralement coïncidentes avec les opinions des chercheurs qui les conçoivent. Reste alors à deviner laquelle de ces histoires est la plus pertinente.
Ce qui n'épuise nullement la quête de construction d’analyses cherchant à saisir la réalité économique pour aboutir à des prédictions pertinentes. L’instrumentalisme n’est pas en soi à rejeter. Côté hétérodoxe, les post-keynésiens y ont parfois recours, en partant d’hypothèses alternatives parfaitement infirmables et débouchant sur de toutes autres prédictions et recommandations.
Il est de surcroît fallacieux de prétendre, comme le font les néoclassiques, que les hypothèses retenues aux fins d’établir des prédictions correctes ne débouchent pas sur des recommandations normatives inhérentes à l'organisation de la société. La démarche des économistes du mainstream prétend en effet, au nom de la science, être affranchie de tout jugement de valeur en affirmant distinguer l’analyse positive (c’est-à-dire le champ de l’étude de "ce qui est") de l’économie normative (le champ des recommandations politiques concernant "ce qui doit être").
Pourtant, même lorsqu’elles sont infirmables, les hypothèses induisent des recommandations éminemment normatives. Parce qu’il a pour objet le contrôle de la production et la répartition des richesses, le débat économique est, dès lors, la poursuite du débat politique sous un jargon particulier.
Cahuc et Zylberberg sont victimes de leurs préjugés idéologiques
Les présentations traditionnelles de l'histoire des théories économiques doivent par conséquent être remises en question. La philosophie poppérienne de la science s’applique sans doute aux sciences dures. Mais elle ne représente pas une grille de lecture pertinente de l’histoire de la pensée économique. Les analyses économiques sont empreintes d’idéologies.
Leurs auteurs ont une fausse conscience du discours qu'ils professent. Comme l’aurait dit Karl Marx, celui-ci est bien souvent l’expression déformée, dans l’esprit des chercheurs, des rapports sociaux qu’ils tentent d’interpréter. Cahuc et Zylberberg ne sont sans doute pas les bras armés de la finance internationale ou du MEDEF. Ils sont simplement victimes de leurs propres préjugés idéologiques, lorsqu’ils persévèrent à utiliser des modèles théoriques dont la validité empirique revendiquée est loin d’être avérée.
Malheureusement, dans le débat public, leur discours pseudo-scientifique légitime des choix présentés comme neutre, mais qui se révèlent éminemment conservateur.http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1561684-conflit-chez-les-economistes-cahuc-et-zylberberg-victimes-de-leurs-prejuges-ideologiques.html

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