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Rester vertical

Par Kinopitheque12

Alain Guiraudie, 2016 (France)

Rester vertical

LE SOUFFLE D'UNE RÉSISTANCE
CAUSSENARDE

A la recherche du loup, un chevalier errant, plus errant que chevalier (Damien Bonnard), entre ville et campagne, mais toujours en plein désert (Brest sans un chat ou presque, le Causse Méjean, le marais Poitevin, ainsi que Séverac dont on aperçoit au loin et de nuit le château éclairé), après avoir échoué auprès d'un beau page qui aurait pu se retrouver propulser acteur (Basile Meilleurat), rêva sa blonde bergère en princesse (India Hair). Ils firent l'amour et vécurent séparés avec un seul enfant. Comme ce n'était pas tout à fait la fin rêvée, le chevalier Léo, c'est son nom, l'infortuné, cela aurait pu être son surnom, qui était aussi scénariste égaré, plus égaré que scénariste, s'en alla trouver la bonne fée des Lilas de Demy ( Peau d'âne, 1970) ou une proche cousine (Laure Calamy), thérapeute arboricole (c'est une spécialité) pour obtenir conseil. Or, le chevalier abandonné, comme si l'isolement des lieux visités avait eu de secrètes influences sur son rapport à l'individu et au monde, agressé par les plus démunis qui préférèrent à l'occasion le dépouiller complètement plutôt que de subir sa charité, attirait encore au crépuscule l'ogre paysan et l'ermite sodomite (Raphaël Thiéry et Christian Bouillette). Et comme si cela ne suffisait pas, toujours à proximité le loup rôdait.

Jamais un conte de fée n'aura été si politique. Mais quelle politique et en quel endroit ? Une politique inédite et partout. Car Rester vertical, ce n'est pas un titre que l'on comprend seulement avec les derniers plans, inquiétants et magnifiques. Rester vertical, c'est rester droit et fidèle à ses convictions, ne pas s'abandonner au plus facile. Rester vertical, c'est rester debout coûte que coûte et cette résistance, qui s'inscrit dans les images et les sujets traités, définit intrinsèquement le film. Résistance partout dans les paysages filmés dans leur diversité et leur originalité. Dès le début en caméra embarquée, on peut penser parce qu'ils les précède de quelques mois à Suite armoricaine de Pascale Breton (2015) ou Ma loute de Bruno Dumont (2016) pour alimenter une collection de chemins de traverse, de routes de campagnes encore trop peu fréquentés par les réalisateurs français qui eux ne résistent ni à la France touristique ni à Paris (mais peut-être la cause est-elle imputable aux producteurs soucieux de séduire au plus vite le plus grand nombre et qui, enfermés dans cette logique stérile de morne séduction, imposent tant à leurs auteurs, les pressent et les stressent, comme celui de Léo -Sébastien Novac- qui le traque jusque dans son refuge caché). Guiraudie filme également des lieux réels qui deviennent à l'écran de pures fantasmagories : saisis dans une semi-obscurité, les Grands Causses des Cévennes et le marais Poitevin se changent dans des atmosphères étonnantes en territoires fabuleux. Résistance partout aussi dans la chair osée, exposée, partagée, de L'origine du monde à un accouchement qui, parmi ceux que le cinéma a l'habitude de nous offrir, ne fait certainement pas partie des plus sereins. Résistance partout encore dans les sujets qui affleurent de manière très dispersée comme les saillis minérales sur un plateau verdoyant : de la garde d'un bébé par le père seul, du loup et des ennuis qu'il procure aux éleveurs, de la déprise des espaces ruraux isolés, de l'accompagnement des mourants (ainsi celui du vieux raciste amateur de musique progressive désireux de jouir jusqu'au dernier instant). Pour tous ces sujets sociaux et sociétaux, le titre donne une ligne de conduite : ne pas ployer, jamais, et toujours résister.

Rester vertical n'empêche pourtant pas le sol de se dérober sous ses pieds, Léo dans ses mésaventures doit connaître une sensation proche, et le film s'ouvre assez tôt sur une mise en abyme qui par certains passages rappelle la qu'avait envisagée, quoique de façon nettement moins revendicatrice, Quentin Dupieux (2014). On sent alors qu'Alain Guiraudie, à moitié improvisant, en voulant aussi se surprendre lui-même (ce qu'il dit dans ses entretiens ou lors des projections qu'il accompagne), s'accorde une liberté plus grande que celle permise dans le cadre de son précédent film, L'inconnu du lac (2012). Une liberté qui déstabilise parfois, à laquelle on peut même tenter soi-même de résister (l'inconfort de certains plans sur les sexes ou le plan-séquence d'une mort douce annoncée), mais une liberté bienvenue. Et un cinéma qui ne craint pas le loup, qui peut être fasciné par lui (réconcilier l'inconciliable) mais sait néanmoins garder ses distances, ou lui résiste, ça fait du bien.


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