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La santé désastreuse d’Alexandra Feodorovna de Russie

Par Plumehistoire

   La vie de la Tsarine Alexandra Feodorovna, épouse de Nicolas II, fut un long calvaire.

   Des problèmes de santé à répétition, liés à des troubles psychologiques et une anxiété permanente, aggravent son caractère déjà peu affable et intransigeant.

Traumatisme de l’enfance

   Alix de Hesse-Darmstadt, née le 6 juin 1872, est la fille de Louis IV de Hesse-Darmstadt et de la princesse Alice du Royaume-Uni, seconde fille de la Reine Victoria.

   Dans son enfance, Alix est surnommée Sunny par ses proches, car elle fait preuve d’une joie de vivre communicative. Toujours souriante, c’est un vrai rayon de soleil.

  Hélas ! Alors qu’elle n’a pas encore atteint ses 7 ans, la mort subite de sa mère et de sa petite soeur Maria la laisse effondrée. La pauvre enfant ne se remettra jamais de ce double deuil.

   Dès lors, Alix se renferme, se replie sur elle-même, devient méfiante avec les autres et se réfugie dans la religion.

   Les premiers symptômes de sa maladie liée à l’anxiété font leur apparition : désormais, à la moindre contrariété, des tâches rouges marbreront son visage et son cou. Et les ennuis de santé ne font que commencer pour celle qui est appelée à régner sur la Russie…

Alix et sa troisième soeur, la petite Maria, en 1878.

Alix et sa petite soeur Maria, en 1878.

Impératrice

   Délaissée par son père, Alix est élevée en grande partie par sa grand-mère la Reine Victoria, qui la fait voyager dans toute l’Angleterre. Étant donné que sa sœur Elisabeth, de dix ans son aînée, a épousé le grand-duc Serge, un frère du Tsar Alexandre III, elle visite fréquemment la Cour de Saint-Pétersbourg.

   C’est ainsi qu’elle côtoie le tsarévitch Nicolas, fils aîné du Tsar. Les jeunes gens tombent amoureux, et ils le resteront toute leur vie.

   Les parents de Nicolas, au courant de la mauvaise santé d’Alix, ne sont pas ravis de cette passion. D’autant qu’au sein de la famille de la Reine Victoria sévit une curieuse maladie transmise par les femmes appelée hémophilie, qui fait des ravages…(voir mon article sur le sujet !)

   Nicolas ne veut rien entendre, il est amoureux fou et se fiance avec l’élue de son cœur. Le mariage est célébré le 26 novembre 1894, seulement quelques jours après le décès du tsar Alexandre III. Les problèmes de santé de la nouvelle Impératrice Alexandra Feodorovna iront en s’aggravant au fil des années.

La phobie de la foule

Alexandra Feodorovna

Alexandra Feodorovna (Gallica BNF)

   Alexandra déteste les grandes réceptions officielles et les divertissements de Cour, durant lesquels elle apparaît toujours crispée et distante. C’est qu’elle a développé une peur de la foule qui déclenche de curieux symptômes.

   La grande-duchesse Olga, sœur de Nicolas II, se souvient :

Sa respiration se faisait rapide, trahissant à l’évidence des halètements difficiles. J’ai souvent vu ses lèvres devenir bleues.

   Le jour même de son mariage, première grande cérémonie à laquelle elle assiste, Alexandra se plaint à ses demoiselles de douleurs aux jambes : elle a du mal à se tenir debout et à marcher.

Une sensation diffuse et continue d’angoisse, de vertige, d’éblouissement, lui rendaient chaque cérémonie intolérable.

   Le 7 septembre 1912, alors qu’est célébrée au Kremlin l’anniversaire de la célèbre bataille de la Moskowa de 1812, Alexandra supporte mal les festivités. Elle est accablée par des douleurs aux tempes, un cœur qui s’emballe, des nerfs soumis à rude épreuve et ces éternelles marbrures rouges qui la défigurent…

   Lors d’un dîner officiel faisant suite à l’attentat de Sarajevo en 1914, le couple impérial accueille Raymond Poincaré dans le but de consolider l’alliance franco-russe. Alexandra est assise à la droite du président français.

Dans ses souvenirs, l’ambassadeur de France, Maurice Paléologue, rapportera une impression de malaise, partagée avec le président, à propos de la tsarine.

   Toute de brocart blanc vêtue, les cheveux constellés de diamants qui brillent comme de petites étoiles, c’est une très belle femme de 42 ans. Elle fait de louables efforts pour se montrer souriante et soutenir la conversation avec Poincaré. Mais il lui est impossible de feindre bien longtemps : sa peau se marbre, ses lèvres se crispent et sa respiration devient haletante.

Jusqu’à la fin du dîner, qui est long, elle lutte contre l’angoisse hystérique.

   Cette « intolérance » à la foule qui lui fait abhorrer toute forme de mondanité contribue beaucoup à son impopularité dès les premières années du règne. Aucun courtisan ne la voit jamais souriante ou enjouée. La comtesse Kleinmichel rapporte : « C’était une statue de glace qui répandait le froid autour d’elle ».

   Elle se tient en réalité sur ses gardes, par peur des réactions de son organisme. Dès qu’elle sent ses jambes se dérober, elle s’appuie sur le bras de son mari et lui murmure : « Nicky, maintenant il est tant de partir ».

Un garçon hémophile, le drame de sa vie

La famille impériale vers 1914

La famille impériale vers 1914 (de gauche à droite : Olga, Maria, Nicolas II, Alexandra, Anastasia, Alexis et Tatiana

   Entre 1895 et 1901, les grossesses se succèdent pour Alexandra mais sont une déception pour l’avenir de la dynastie : Olga, Tatiana, Maria puis Anastasia… Elle ne donne naissance qu’à des filles. Malgré tout l’amour qu’elle leur porte, Alexandra sait qu’elle n’a pas rempli son devoir. Anxieuse, elle fait même une grossesse nerveuse : son ventre enfle, elle se croit enceinte… Fausse alerte.

   Le 30 juillet 1904, la Tsarine donne enfin naissance à l’héritier tant attendu, le Tsarévitch Alexis. Horreur, il est hémophile. Alexandra sait qu’elle est responsable de cette tragédie, puisque c’est elle qui lui a transmis cette terrible maladie. Profondément meurtrie, manquant de défaillir à chaque fois que le petit est victime d’une nouvelle crise qui lui fait souffrir le martyr, la Tsarine entame un long chemin de croix. La maladie de son fils sera « son tourment constant », le drame de sa vie et celui de toute la famille.

   Elle n’a que 32 ans à la naissance du Tsarévitch, mais son état de santé se ressent de ce sentiment de culpabilité qui la taraudera dorénavant chaque jour.

La tsarine, dont les cheveux grisonnèrent soudainement, s’enferma dans son chagrin.

   C’est le début de ses graves problèmes de santé. Insomnies, migraines, angoisses perpétuelles… En 1912 elle confie dans ses lettres : « Ma tête me fait souffrir tous les jours… »

   Avec l’énergie du désespoir, elle ne croit plus qu’en Dieu, et en Raspoutine, pour sauver le cher Alexis. Intransigeante, opposant à toute forme de modernité un refus du moindre changement, elle ne comprend pas que le trône de son mari vacille, qu’elle s’isole de son peuple qui la trouvait déjà froide et hautaine.

   L’assassinat de Raspoutine, le seul capable de soulager les maux de son fils, en décembre 1916, la rend complètement hystérique. Folle de douleur, elle présente un état psychique inquiétant qui fait craindre de devoir l’enfermer dans un couvent.

   Elle se reprend cependant, bouillant d’une énergie mystique mal venue, poussant son mari à des intransigeances néfastes en politique. Elle devient « une caricature d’elle-même. »

Un « cœur élargi »

   En 1908, soit quatre ans après la naissance de son fils, Alexandra développe une maladie de cœur difficile à déterminer.

   Elle mentionne très souvent ce problème de santé dans sa correspondance ou son journal intime, toujours rédigés en anglais, et l’appelle son « cœur élargi » (enlarged heart).

   Lorsqu’elle est en présence des gens en qui elle a confiance, essentiellement sa famille ou ses rares amis, tout va bien. Mais dès la moindre contrariété, ou en présence d’une foule nombreuse, elle se plaint de son cœur.

Je suis mortellement fatiguée, mon cœur me fait souffrir et se dilate. Et, par moments, je sens juste que je ne peux plus continuer. Je défaille à cause de mes palpitations. Il y a un tel poids sur mon cœur, une telle tristesse… Je fonds en larme, je prie, je m’allonge et je fume pour me rétablir.

   Le 14 septembre 1911, le Président du Conseil Stolypine est assassiné au théâtre sous les yeux des grandes-duchesses et du Tsar Nicolas II.

   Alexandra, souffrante, n’a pas assisté à la scène, ce qui ne l’empêche pas d’être victime le lendemain d’une crise violente de spasmes cardiaques mêlée d’une intense agitation.

Alexandra Feodorovna

Alexandra Feodorovna (Gallica BNF)

   En 1915, alors que Nicolas II est au front, Alexandra lui écrit :

Bonjour, mon petit mari ! J’ai mal dormi, le cœur me fait mal. Ce matin, il est très dilaté, de sorte que je dois rester au lit.

Une immobilité forcée

Alexandra Feodorovna vers 1915

Alexandra Feodorovna vers 1915

   Depuis son mariage, Alexandra est victime de douleurs dans les jambes qui lui rendent parfois la marche difficile. Il s’agit certainement d’une mauvaise circulation du sang, qu’on se soigne pas à l’époque.

   Alexandra, qui ne raffole pas du soleil et du grand air contrairement à son mari et à ses enfants, marche peu et se déplace en voiture.

   De temps en temps, lorsqu’elle souhaite prendre l’air mais qu’elle est souffrante, Nicolas ou ses enfants la poussent sur une chaise dans les jardins des différentes résidences impériales.

   Le 23 février 1913, lors d’un bal donné pour commémorer l’accession au trône du couple impérial, la Tsarine ne danse pas, empêchée par ses douleurs aux jambes et ses rougeurs au visage.

   Ces douloureuses contrariétés l’empêchent de plus en plus souvent d’assister aux réjouissances, aux dîners, ou même de se lever.

   Elle est constamment tendue, irritée, sur la défensive. Une tristesse chronique l’accable, alternance de phases d’excitation et d’abattement.

   Dans ses Mémoires, Maurice Paléologue affirme que l’Impératrice souffre d’une « névrose hystérique ». Son médecin particulier, qui la suit quotidiennement, n’ose pas lui avouer qu’elle est atteinte de graves problèmes psychologiques. Le général Spiridovitch, chef de la sureté personnelle du Tsar, qualifie la maladie de l’Impératrice d’ « hystéro-neurasthénie ».

   Elle souffre en réalité, dans le langage moderne, de troubles psychosomatiques liés à l’anxiété, accentués par la peur constante pour la vie de son fils.

Une situation difficile

   Incapable du moindre exercice physique, Alexandra passe la majorité de son temps assise ou allongée, à lire ou à broder, souvent d’humeur maussade.

   Une situation parfois difficilement tenable pour ses filles, qui sont de vrais bouts-en-trains, pleines d’énergie et de joie de vivre. De grandes sportives qui n’aiment rien tant que passer leurs journées dehors. Tatiana écrira même à Raspoutine :

Oh ! Si vous saviez combien c’est dur pour nous de supporter la maladie de maman !

Olga tient compagnie à sa mère, vers 1914/1915

Olga tient compagnie à sa mère, vers 1914/1915

   Pour Nicolas II aussi, la maladie de son épouse est un poids, mais il ne se plaint jamais. Amoureux comme au premier jour, il supporte ses sautes d’humeur avec un dévouement exemplaire.

   En mai 1913, la famille impériale est au palais de Livadia, en Crimée. Nicolas pousse le fauteuil roulant de sa femme, qui respire avec difficulté et ressent d’insupportables douleurs dans ses jambes.

   Les grandes-duchesses font fréquemment de longues marches avec leur père, qui leur fait découvrir le paysage environnant. A leur retour, elles retrouvent leur mère, qui s’est transportée de son fauteuil roulant dans le parc, à sa chaise d’osier dans le patio du palais. Elles lui tiennent compagnie.

Elles sont patientes, attentives et affectueuses, mais leur mère n’est pas facile. Et son habitude de ne pas se plaindre ne fait que tendre l’atmosphère.

   Jusqu’à la fin, jusqu’au drame final, les grandes-duchesses, leur petit frère et leur père se montreront d’une patience infinie avec Alexandra, l’entourant de ce même amour qu’elle ne cessera jamais de leur témoigner.

Sources

♦ Nicolas II et Alexandra de Russie : une tragédie impériale, de Jean des Cars

 The Last Diary of the Tsaritsa Alexandra

 La saga des Romanov, de Jean des Cars

♦ Alexandra Féodorowna : Impératrice de Russie, de Maurice Paléologue 

 Les couples royaux dans l’histoire, de Jean-François Solnon

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