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[FNC 2016] The End – Le jour de la marmotte

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Nul n’est prophète en son pays. Parole d’Évangile pour Depardieu l’hédoniste, le je-m’en-foutiste pêcheur qui aura claqué la porte au nez de la France pour embrasser l’air de la Russie. Une décision symbolique forte, à l’image du personnage : entier, paradoxal, provocateur et fédérateur, impétueux et terriblement talentueux.

Gage de succès à ses plus belles heures, la figure de Depardieu, désormais source de controverses et de débats enflammés, ne fait plus, et c’est rien de le dire, vraiment recette. La projection de The End au Cinéma L’Impérial dans le cadre du FNC en tête. Au vu des rangs clairsemés indignes d’une première nord-américaine qui avait pourtant tout d’un bel événement, on peut craindre que Depardieu et Guillaume Nicloux ne prennent malheureusement, ici aussi, un sacré vent.

Alors que la sortie du film en France, en avril dernier, directement en VOD ressemblait déjà à s’y méprendre à un camouflet… qu’il ne mérite certainement pas.

Au contraire, The End ressemble surtout à une vraie belle proposition de cinéma.

La volée de bois vert qu’a pu prendre le dernier Nicloux lors de sa sortie hexagonale s’avère d’autant plus incompréhensible que le tout respire en permanence l’amour du jeu, du décor comme vecteur de sens, du montage comme catalyseur d’émotions, laissant alors le champ libre à toutes sortes d’interprétations.

Cela ne trompe d’ailleurs pas : au sortir de la projection, venait inévitablement pour tout le monde le temps des questions. L’expérience est désarçonnante, souvent étonnante ; voir l’ogre Depardieu esseulé, perdu dans cette forêt sans fin à errer désespérément en quête d’une sortie, quasiment à l’agonie, ne manquera pas d’interpeller.

Filmé en permanence seul (ou presque…) face à ses démons, lancé dans une chasse aux lapins virant rapidement à la traque aux fantômes, Depardieu réalise une nouvelle fois une performance de haute volée, un one-man-show drôle et pathétique à la fois, dans lequel la frontière entre l’homme et l’acteur apparaît plus mince que jamais. Difficile alors de ne pas voir dans ce dédale de feuilles et de branches le dédale identitaire, professionnel, forcément personnel dans lequel Depardieu se retrouve désormais plongé, au crépuscule d’une carrière pleine et entière, sans autre direction à donner que celle de simplement jouer.

Le glissement progressif du drame classique vers le survival tragi-comique ne manquera pas de faire jaser (la détestation de la France envers le film de genre n’étant un chapitre toujours pas refermé), mais apparaît comme un choix des plus pertinents, qui plus est pleinement signifiant pour nous plonger en même temps que Depardieu dans une expérience sensitive forte, où le grave le dispute à l’absurde, où le commun devient chaque fois une épreuve.

Voir ce dernier vociférer, jurer, éprouver les pires difficultés à se déplacer, évoluer dans cette forêt comme une immense bête traquée, fait certes un peu pitié par certains côtés, mais ne manque pas de nous rappeler quel (grand) acteur il est et a été.

Reste que derrière le symbole et la figure écrasante du comédien, se cache aussi et surtout une histoire autonome rondement menée, aux élans métaphysiques adéquatement gérés, tout comme un suspense parfaitement ménagé : ou l’art de mettre en scène un véritable cauchemar éveillé, tournant en boucle chaque matin, quelques éléments chaque fois en moins…

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Si The End ne serait évidemment rien sans un Depardieu totalement investi, ce dernier ne pourrait rien non plus sans une belle qualité d’écriture niveau récit. Et sur ce plan, autant dire que le contrat est là-aussi rempli.

Avec, par ailleurs, cette spécificité particulièrement intéressante de répondre à certains moments-clés au court-métrage projeté juste avant la représentation (Rhapsody de Constance Meyer au sein duquel jouent Depardieu et Guillaume Nicloux), où la question des rêves et des souvenirs s’avère centrale… et pour la résolution de l’intrigue, fondamentale.

Sans crier au chef-d’oeuvre, sûrement pas le meilleur film de Nicloux, The End s’avère être, néanmoins, une bonne surprise autant qu’une belle proposition de cinéma, au service d’un Gérard Depardieu que l’on n’espérait plus à ce niveau-là, juste et excellent de bout en bout.

On n’en attendait pas tant, et pour un film de genre français,  soyons honnêtes, c’est déjà beaucoup.

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