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Un Vania étriqué

Publié le 17 octobre 2016 par Les Lettres Françaises

Mise en page 1À l’évidence Julie Deliquet aime à s’approprier les textes de grands auteurs, Brecht et Lagarce hier,  Tchekhov aujourd’hui, ce dont on ne pourrait que se réjouir si cette appropriation ne finissait pas par devenir abusive.

Avec Brecht (La Noce) et Lagarce (Derniers remords avant l’oubli) elle rabaissait l’écriture de ces auteurs à celle réalisée collectivement avec sa compagnie In Vitro, signataire d’œuvres plus ou moins improvisées mettant en scène des jeunes gens de sa génération, toujours en groupe, exprimant leur mal de vivre ; Nous sommes seuls maintenant, tel était l’intitulé en forme de cri d’un triptyque répondant au nom ronflant de Des années 1970 à nos jours

Pas franchement une réussite donc, mais cependant bien dans l’air du temps au point que l’on assistera à la résistible ascension du Collectif et de sa responsable presque immédiatement programmé au Festival d’automne toujours en quête d’artistes émergents comme le veut la mode actuelle (et les directives du ministère, lui aussi dans le vent).

Avec Tchekhov cependant les choses sont quelque peu différentes. D’abord – c’est une avancée – parce qu’il est bien précisé que l’on ne nous donnera pas son Oncle Vania dans son intégrité, ce sera, et c’est un spectacle, Vania d’après Oncle Vania… Petite nuance de grande importance. Ensuite parce que la donne change puisque ce n’est plus le collectif In Vitro qui se charge de la représentation mais la Comédie-Française et sa formidable troupe d’acteurs capable dans ses meilleurs moments de faire passer auprès des spectateurs des vessies pour des lanternes, ce qui, en l’occurrence, il faut bien l’avouer, est un peu le cas ici… Car enfin qu’est-ce au juste que cette adaptation qui ne dit pas son nom ? Une volonté de « moderniser » à tout prix un texte qui n’en a guère besoin, et c’est bien ce qui fait sa qualité, qu’il ait été écrit à la fin du XIXe siècle ou pas ?

En réalité cette tentative de modernisation (avec l’ajout de quelques répliques bien senties et bien de notre temps) correspond à une autre logique. Julie Deliquet entend faire entrer cette représentation de la Comédie-Française sous l’égide de son propre travail avec le collectif In Vitro, à savoir un travail avec une « bande » d’amis, parlant encore et toujours des mêmes petites questions dans lesquelles ce petit monde se débat. Dans tous les cas de figure on reste entre soi. Ce n’est pas Tchekhov que l’on sert ; Julie Deliquet se sert de lui pour le faire entrer de gré ou de force dans son propre univers qui, avouons-le, ne présente pas un intérêt des plus marqué. C’est un Oncle Vania vidé de sa substance et vivement remplacé par une autre, assez vaine, qui nous est présenté. Ce qui n’est pas vraiment ce que l’on souhaitait !

Les comédiens du Français se prêtent à cette substitution avec beaucoup d’allant et même un certain bonheur. C’est une bien belle équipe qui nous mène donc dans cette histoire de famille comme les aime Julie Deliquet. Laurent Stocker (Vania) et Stéphane Varupenne (Astrov le médecin) animent la soirée tambour battant. Criant de vérité ! De vérisme ? On sera simplement un peu étonné de voir la grande comédienne qu’est Dominique Blanc dans un rôle secondaire, avec seulement quelques répliques à dire : seule la Comédie-Française peut se permettre un tel luxe !

On sera tout aussi étonné de voir Hervé Pierre ne devenir que la caricature du grand comédien qu’il est lui aussi. Question de direction d’acteur ? On peut se poser la question. Sans être désagréable tout cela semble bien vain, à mille lieues de Tchekhov ; Julie Deliquet fait du Julie Deliquet.

Jean-Pierre Han

Vania, d'après Oncle Vania de Tchekhov.
Mise en scène de Julie Deliquet.
Théâtre du Vieux-Colombier.
À 20 h 30 jusqu'au 6 novembre : 01 44 58 15 15


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