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Guy Alexandre Sounda : Confessions d'une sardine sans tête

Par Gangoueus @lareus
Guy Alexandre Sounda : Confessions d'une sardine sans têteJ'aime la figure du fou dans la fiction. Le fou est souvent sinon toujours au plus près de la vérité. Il a cessé sa partition masquée et il nous livre sans retenue sa nudité au sens propre comme au sens figuré. Il est un fou qui m'avait marqué il y a quelques années dans un film de Dany Kouyaté, Sya Yatabéré ou le rêve de python. Kerfa. Kerfa le fou. Kerfa n'était pas fou. Il était habité par un excès de lucidité sur les pratiques de dominants et des arcanes du pouvoir dans le Ghana antique... Bref quand un auteur place un fou dans son dispositif narratif, suivez le fou...
Imaginez que pendant près de 250 pages denses, format d'écriture serré, on laisse un fou se mettre à table. Une sardine sans tête qui passe à confession. L'exercice est pour le moins périlleux. Une sardine sans tête, entendez un fou. Cette image de la sardine, même s'il ne s'agit que d'un poisson décapité en boîte venue le plus souvent du Maroc ou du Portugal, cette image me fait penser aux sculptures sans tête qu'érigeait l'ancien kadogo (1) devenu artiste, Serge Amisi, auteur d'un très grand roman sur l'enfance dans la guerre. Pourquoi des statues sans tête demandait le public médusé au jeune sculpteur ? "Dans la guerre, tel qu'on nous avait conditionnés, on ne réfléchissait pas, on exécutait..." répondait-il.
Comment Fabius Mortimer Bartoza est-il devenu fou? Les chemins pour aller aux sources de la folie sont longs et tortueux, mais Guy Alexandre Sounda s'est laissé guidé Fabius Mortimer Bartoza dans les méandres de la folie, de l'exclusion, de l'exil, du crime, etc. L'histoire semble simple. Un observateur écoute un homme qui lui raconte sa vie à un rythme effréné. Il a la gouaille, la verve, le verbe facile. Comme tout bon congolais, enfin gombolois, je veux dire. Il raconte son histoire en respectant les différentes strates de la communication. La surface. Ses tentatives infructueuses d'intégration dans la société française. Les femmes qui sont un des moyens pour un exilé de se faire une place au soleil. Il raconte ses amours décalées. Le rejet. La rue. Car Fabius Mortimer Bartoza est instable. En première lecture, on pense à un personnage un peu simplet, un immigré qui veut régler ses questions administratives, ses papiers. Mais en même temps, dans la rue, il est dans une logique de survie. Et ce regard sur la rue semble être le prolongement d'une pièce de théâtre écrite et jouée par Guy Alexandre Sounda intitulée Le fantôme du quai d'en face.
Sounda fait parler cette rue dont on se refuse à affronter le regard ou même le dos. Il emprunte à Prévert, cette sensibilité et il est en même temps particulièrement habité par la question. Une énième tentative de sortir Bartoza de la rue échoue et pour cause... On entre dans un second niveau de communication. Les crimes, le spectre des disparus. Bartoza parle de ses morts. On entre en eaux profondes. On découvre que Fabius Mortimer Bartoza a un passif très lourd et qu'il cohabite de manière spectaculaire pour ne pas dire fantastique avec les conséquences de ses actes. Il s'agit du récit d'une bataille intérieure, de l'impact de la culpabilité, de la croyance profondément ancré chez les bantoues du culte des ancêtres et des morts en général.
Guy Alexandre Sounda : Confessions d'une sardine sans tête
Ce roman est un mélange de plein de choses troublantes et je pense que certains regarderont un peu facilement les immigrés autour d'eux avec inquiétude tellement la violence qui secoue Bartoza est pour le moins terrifiante. Cette folie dépasse Bartoza. Là encore je ferai référence à un texte de Léonora Miano qui m'avait marqué à l'époque, Contours d'un jour qui vient, où la romancière partait d'une hypothèse étrange pour qui ne connait pas les croyances ayant prises sur rue en Afrique centrale. L'Afrique serait tourmentée par l'âme de ces centaines de milliers d'africains qui n'auraient pas traversé l'Atlantique et qui auraient été oubliés, sans traces symboliques de mémoire sur le continent. Bartoza a tué. Bartoza est traqué par ses morts.
Si le style est complètement déjanté, la forme emprunt d'humour, c'est un portrait noir que Guy Alexandre Sounda dresse du Gombo, pays imaginaire d'où vient Bartoza. Pays qui a détruit cet homme. Pour information, Gombo dans le langage courant congolais renvoie à la corruption...
Bonne lecture !
Guy Alexandre Sounda / Confessions d'une sardine sans tête
Editions Sur le Fil - Première parution en 2016
Roman sélectionné dans la première liste du Prix du livre engagé de la CENE littéraire.
(1) Kadogo : Enfant soldat en swahili.

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