Magazine Politique

HRW et la défense des activistes arabes en ligne : un regard biaisé ?

Publié le 09 novembre 2016 par Gonzo
140 characters (Page d'accueil, capture d'écran). 140 characters (Page d’accueil, capture d’écran).

La remise du prix Reporters sans frontières à un jeune journaliste syrien incite, une fois de plus, à s’interroger sur les arrière-pensées politiques de nombreuses ONG, y compris les plus célèbres. Courageux, Hadi Abdullah l’est certainement et il ne fait pas de doute qu’il n’a pas craint de prendre des risques pour ses convictions. Mais celles-ci, justement, posent question, c’est le moins qu’on puisse dire. Sur son site, Assad Abu Khalil reprend une dépêche particulièrement sectaire du jeune lauréat pourtant primé par une association qui s’est donné pour mission de défendre une certaine idée de l’information. En date du 8 juin 2013, on y lit que les « rafidites » (terme injurieux pour les chiites) ont érigé une bannière à la gloire de Hussein (fils de Ali) pour célébrer « la mort ou l’expulsion des sunnites », l’occupation du village en question consacrant à ses yeux les visées du « Hezbollah chiite et de l’armée des Nusayris [autre terme injurieux pour les Alaouites cette fois] ». Au passage, le jeune journaliste syrien aura oublié de signaler à ses lecteurs que la mosquée en question, reprise à l’authentique islam sunnite, était en réalité… un lieu de prière chiite ! N’y avait-il pas d’autre choix possible pour honorer le journalisme arabe ?

C’est donc avec intérêt, et circonspection, que l’on découvre l’étude qu’une autre ONG tout aussi célèbre, Human Rights Watch, vient de consacrer à la répression des militants en ligne dans les pays du Golfe (les six pays riches – Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Qatar et Oman – le pauvre Yémen est bien entendu laissé de côté). Elle est illustrée d’un site qui met en avant 140 activistes victimes de la répression (140, comme le nombre de caractères possibles sur Twitter, ce qui donne un joli titre en anglais jouant sur le mot character, qui signifie aussi personnage, jeu de mots malheureusement intraduisible dans la version arabe où HWR utilise le mot rumûz, pour « symboles » : je vois dans ce « détail » un bon indice des priorités, au moins linguistiques, de ladite ONG).

Résumé dans un document donné en six langues le rapport rappelle le dynamisme de la croissance du numérique dans la région, avec ses conséquences dans la sphère politique en raison de « l’impact potentiellement transformatif des réseaux sociaux et de la technologie de l’internet » (la version anglaise fait d’ailleurs explicitement référence aux manifestations de l’année 2011). À juste titre, HWR alerte l’opinion contre ce qu’elle analyse comme « une offensive systématique et bien financée contre la liberté d’expression ». En plus de la classique répression, l’ONG souligne le développement de technologies de surveillance (en précisant, dans le corps du rapport, qu’il s’agit dans bien des cas de technologies développées en Israël : voir cet article sur la question). Elle s’inquiète, en outre, du renforcement, patent là encore, des multiples contraintes légales qui pèsent sur les activités citoyennes en ligne, souvent au prétexte de lutter contre le terrorisme.

En conclusion, elle souligne que « les États du Golfe intimident, mettent sous surveillance, emprisonnent et réduisent au silence des activistes dans le cadre de leur offensive tous azimuts contre la critique pacifique, mais ils se trompent lourdement s’ils pensent pouvoir empêcher indéfiniment les citoyens du Golfe d’utiliser les médias, sociaux ou autres, pour réclamer des réformes positives ».

Que penser d’un tel rapport ? Comment interpréter sa diffusion dans le contexte actuel ? En effet, les expériences du « Printemps arabe » ne sont pas si anciennes pour qu’on ait tout oublié de cette période, à commencer par la manière dont les USA – et quelques autres États sans doute – ont appris à mettre au service de leurs intérêts stratégiques l’immense potentiel des communications numériques. Par conséquent, on ne peut que s’étonner de voir une ONG aussi importante que HRW s’en prendre, de manière aussi frontale, aux régimes du Golfe. La mise en exergue des 140 victimes de leur répression, hommes et femmes confondus, est effectivement assez parlante. Certains continueront à penser que HRW n’a de comptes à rendre qu’à ses seuls partisans, à commencer par les hommes et femmes de bonne volonté qui la soutiennent financièrement. Pour ma part, je ne me résous pas à ce type de raisonnement, surtout lorsqu’on sait que l’ONG a reçu en 2010, entre autres donations politiquement questionnables, 100 millions de dollars de la fondation Soros. Sur un autre plan, on constate également que Sarah Leath Witson, la directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de HRW, est dotée d’un bien riche CV, qui l’a vu mettre ses talents au service de sociétés aussi philanthropiques que la banque Goldman Sachs, The Firm comme certains aiment à appeler cette « banque qui dirige le monde »…

On aimerait aussi en savoir davantage sur les critères qui ont présidé à l’élection de ces 140 « symboles ». Certes, le rapport précise qu’ils ne constituent qu’un échantillon d’activistes de premier plan et que des douzaines d’autres sont victimes de la même répression. Néanmoins, pour un regard attentif au point de vue arabe, la sélection présentée étonne. La répartition par pays d’abord, selon laquelle ne figure qu’un seul Qatari (le poète Muhammad ibn al-Dheeb al-Ajami) quand on trouve 17 cas de répression aux Émirats arabes unis, 26 en Arabie saoudite, 31 au Bahreïn et 49 au Koweït. L’absence de certaines figures aussi, par exemple celle de l’activiste saoudienne « scandaleuse » Raghad al-Faysal, fort célèbre dans son pays mais, comme le dit cet article en arabe, qui a le défaut de twitter à l’écart des sentiers battus.

Avec une petite dizaine de cas, les femmes sont pourtant bien mises en valeur sur le visuel (voir illustration du haut), donnant l’impression que le panel constitué par HRW a pour intention de suggérer une idée « progressiste » des militants poursuivis par les régimes du Golfe. Ce que confirme le choix des catégories professionnelles « modernes » (enseignant, blogueur, journaliste, ingénieur, etc.), en face d’une seule catégorie « passéiste », celle des « religieux », qui ne comporte d’ailleurs que 4 acteurs. Le choix des visuels va dans le même sens, car on peine à trouver quelques barbus inquiétants (pourtant tout autant victimes, sinon davantage dans certains cas, de la répression).

En d’autres termes, cette campagne de HRW donne l’impression d’un regard – peut-être involontairement – biaisé sur le monde arabe et son activisme politique. Une fois de plus (on en a eu maints témoignages au temps dudit « printemps arabe »), les modalités de l’action d’une grande ONG internationale, ses choix stratégiques de communication, en disent beaucoup sur les formes très particulières de l’intérêt que le monde dit « occidental » porte à ces régions exotiques où s’exportent ses armements. On note aussi, sans surprise il est vrai, que le rapport ne fait aucune mention de réalités tout aussi politiques mais moins univoquement à la charge des régimes en place dans la région : les modifications tarifaires qui pénalisent pourtant les utilisateurs en rendant payantes des applications jusque-là gratuites ou, plus grave encore, le blocage de comptes d’activistes de la part de sociétés nord-américaines telles que Facebook ou Twitter…


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines