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Emmanuel Dongala : Jazz et vin de palme

Par Gangoueus @lareus
« Cahier d’une vie dans l’entre-deux … »
Jazz et Vin de palme, Emmanuel Boundzéki Dongala,
Paris, Hatier, 1982.
La plume de Nkul Beti
« Jazz et vin de palme » abrite huit nouvelles enivrantes et captivantes. D’emblée, ce recueil de nouvelles se veut une manière d’écriture testimoniale. Qui rend compte des réalités de deux univers distincts (le Congo Brazzaville et les Etats-Unis d’Amérique) sous le signe de l’émancipation et du métissage des cultures. En d’autres mots, il s’agit de l’écriture de la mémoire de l’auteur, et de celle de tout un peuple. Cette manière d’écriture interpelle, en effet, le lectorat à poser un regard critique sur la situation socio-économique et politique du monde actuel.
Emmanuel Dongala : Jazz et vin de palme
Dongala fait le portrait d’un Congo Brazzaville nouvellement indépendant. Cette indépendance a été annoncée comme le souffle qui impulserait le progrès des Etats Africains. Mais, cette hypothèse s’est avérée fallacieuse au regard des évènements. De fait, ladite indépendance a plutôt plongé les sociétés africaines, le Congo Brazzaville notamment, dans un dédale affligeant. Et elle a donné naissance à des Hommes politiques opportunistes, nombrilistes et machiavéliques. L’auteur construit donc un réseau de personnages et d’intrigues atypiques pour illustrer tout ce branle-bas : la trame de l’historiette du « camarade » Kali Tchikati est l’allégorie de l’imbroglio causé par la rencontre du fétichisme (mystère africain) et du communisme (tradition animiste et donc de l’occident); le procès truqué du « père » Likibi dévoile l’impertinence des gouvernants, l’injustice galopant, et partant l’opposition battante entre le marxisme et les pratiques culturelles locales; la vie d’Augustine Amaya quant à elle est le dessin parfait de l’indifférence de l’homme vis-à-vis d’autrui.
Vient l’épisode des Etats-Unis d’Amérique. En effet, l’auteur laisse entrevoir sa trajectoire d’exilé à travers cette migration spatiale. C’est-à-dire, l’expressivité du trauma du départ qui ronge le plus souvent le sujet-humain migrant : Il est hanté par ses souvenirs, et frustré par la difficulté à s’intégrer dans son nouveau biotope. La description de la vie comme un train-train interminable, attire l’attention sur les difficultés que le sujet-humain migrant rencontre quand il se retrouve sur un nouveau territoire, dont les réalités sont aux antipodes du sien. Par ailleurs, l’hommage fait à l’artiste américain John Coltrane est la représentation de la joie que dégage l’ivresse de la rencontre inter-culturelle. La culture apparait, dès lors, comme l’instrument dont tout sujet-humain migrant devrait se servir pour garantir son intégration « ailleurs ».
Le titre de la nouvelle éponyme « Jazz et Vin de Palme » est la métaphore de la célébration du syncrétisme culturel. En effet, « Jazz », qui est un genre musical (Américain précisément), représente la culture noire Américaine. Aussi est-il l’exutoire de l’expression de la liberté des populations noires américaines, dont le pinacle connu est le mouvement autour de la Harlem renaissance dans les années 30. Quant à l’expression « Vin de Palme », elle renvoie à la culture africaine. La conjonction de coordination « et » se présente donc comme le pont entre les deux cultures.
Cependant, le vin de palme que les peuples africains offrent à leurs convives de « tout-monde » (terriens et extra-terrestres) dans ladite nouvelle éponyme, est l’expression de l’« art de vivre africain, un art de solidarité, un art d’altérité, de l’ouverture aux autres », constate Joseph Ki-Zerbo. Mieux, il est question de poser un regard neuf sur la question de la symbiose des culturelles sous les belles lumières de l’échange et du partage.
L’écriture de Dongala est habillée d’une esthétique de la dénonciation. Toutefois, elle prend aussi en charge l’interdépendance des cultures et l’intégration des nouveaux déplacés (les migrants) à la manière d’Edouard Glissant dont l’écriture se présente comme l’expression de l’entre-deux. C’est-à-dire que ladite écriture met en scène des univers différents, sachant que leur ciment est l’appel à un foisonnement des cultures diverses.
Le « demain » du monde est entre les mains de l’Afrique puisqu’elle a tant de richesses à partager. Et l’à-venir dudit monde réside dans l’intégration. Voire, dans une construction bien achalandée des « mondialités » pour citer Glissant. Autrement dit, il s’agit de conjuguer les efforts et d’accepter le vis-à-vis malgré sa différence culturelle. L’opuscule d’Emmanuel Boundzéki Dongala se présente donc comme une initiation à l’inévitable rencontre inter-culturelle, dont est confronté tout sujet-humain migrant. Dès lors, la culture se veut désormais un ensemble d’outils mis en relation, et par ricochet en commun, par plusieurs peuples au cours de leur histoire pour répondre aux problèmes ponctuels : Vive le mariage du « Jazz… » et du «… Vin de palme » !
Nkul Beti University of Yaoundé IDepartment of French.

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