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Diversité culturelle, François Mitterrand, mai 1987

Publié le 26 octobre 2016 par Ep2c @jeanclp

Nous sommes français, nos ancêtres les gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un petit peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être qui sait polonais, et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes ? Je reconnais que voici une phrase imprudente. C'est celle-là qui sera épinglée. 

François Mitterrand; 1987.

Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, à l'occasion du colloque sur "la pluralité des cultures" organisé par la Fondation "France-Libertés" à La Sorbonne, Paris, lundi 18 mai 1987.

Je vous remercie de la manière précisément dont vous avez réservé votre hospitalité au Président de la République. Je n'ai pas le sentiment qu'il s'agissait d'un accueil spécifiquement révérenciel, mais d'une sorte de relation qui s'est créée à travers le temps, par les combats et les prises de position que la rigueur des temps oblige, surtout lorsque l'on parle du sujet qui vous occupe : culture, race, ethnie, origine, langage, avec tout ce que le mot culture évoque, la façon d'avancer, de comprendre et de sentir d'une société donnée. Qui pourrait croire un instant que je ne suis pas, au moins autant que quiconque, attaché aux valeurs dites traditionnelles qui ont fait la France ?
 

Mais je constate, pour commencer, que parmi ces valeurs traditionnelles, il y a toujours eu l'ouverture. La France est un pays qui a été fait à travers le temps et dès le premier jour par l'apport de cultures, cet apport de cultures étant représenté par des peuples en mouvement, un certain nombre d'invasions, de conquêtes, qui se sont imbriquées avec le fond même de notre population, avant la conquête romaine et les entrées massives venues de Germanie. Tout cela s'est fondu. Une sorte de langue commune a fini par s'édifier, une sorte de bas latin, mélangé de celte et de mots germaniques. Le français, vaille que vaille, est sorti de là, pour former une langue assez pure pour qu'elle apparaisse aujourd'hui comme l'un des grands rameaux capables d'exprimer la pensée de l'humanité.
Alors cela, naturellement, nous y tenons, j'y tiens. 

(...)

Les cultures - vous dites "plurielles" c'est le mot à la mode, voilà un mot que je n'avais pas mis dans mon vocabulaire habituellement, je savais bien ce que c'était que le "pluriel", je l'avais appris dans ma grammaire, les cultures plurielles cela fait partie de ces mots, de ces expressions qui traversent tout d'un coup, puis ensuite deviennent quelque chose d'inscrit dans les modes de langage constant.

Les cultures plurielles sont différentes, elles ont parfois quelque peine à communiquer. On croit parfois qu'elles ne pourront pas communiquer. Que de fois ai-je entendu dire l'émigration italienne, portugaise, espagnole, c'est facile, c'est le même rameau. Ce n'était pas si facile que cela lorsqu'ils sont arrivés : les parents de Zola ou ceux de Gambetta étaient considérés comme des gêneurs qui venaient prendre la place des paysans ou des commerçants français. Cela aurait été dommage de les renvoyer.
Puis on a dit que ce serait beaucoup plus difficile avec des Slaves. Parce que les Slaves, naturellement, écrivent d'une façon bizarre, là-bas, du côté de Byzance. Enfin, ce n'est pas tout à fait du voisinage. Ensuite, qui pense aujourd'hui que les Polonais de France n'ont pas été - je vous le disais pour commencer - un enrichissement de tous ordres : ethnique, industriel, commercial, linguistique, culturel pour la France ?
Alors, on entend dire quand même, c'est beaucoup plus difficile maintenant avec les Arabes, avec la langue arabe, avec la culture et une religion différentes. Ce n'est pas tellement sûr que les religions des pays que je viens de citer eussent été si semblables qu'elles apparaissent. Mais enfin, celle là, c'est différent, c'est peut-être le même Dieu, mais ce n'est peut-être pas pareil et c'est une culture différente. Il y a eu des conflits, il y a eu des combats, il y a eu des luttes pour la possession du sud de l'Europe, des côtes méditerranéennes. Les religions ont inspiré des luttes parfois fanatiques.
Il y a eu des haines que l'on croyait puisées dans le sang et puis finalement, si l'on écrivait la contre-histoire de tout cela, on s'apercevrait que l'interpénétration dans chacune des zones terrestres où la civilisation islamique et la civilisation chrétienne se sont rencontrées, où les langues romanes ont rencontré la langue arabe, que cette interpénétration a produit des richesses culturelles considérables, remarquables et durables. Et que cela peut être parfaitement assimilé par les uns et par les autres. Regardez de quelle façon la France, à dominante catholique pendant si longtemps, fut impressionnée par la culture biblique, à quel point tout ce qui vient de la civilisation juive, fait partie finalement presque de nos réflexes. Sans doute parce qu'une tradition s'est établie par les rites religieux, par les explications dogmatiques.
Nous sommes français, nos ancêtres les gaulois, un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un peu italiens, un petit peu espagnols, de plus en plus portugais, peut-être qui sait polonais, et je me demande si déjà nous ne sommes pas un peu arabes ? Je reconnais que voici une phrase imprudente. C'est celle-là qui sera épinglée. Et qui incitera à dire vous voyez bien, c'est le Président de la République qui l'a dit. Ils me la répéteront peut-être sans mettre exactement le même sens aux propos que je tiens.
Je voudrais vous faire comprendre pour terminer, que je suis l'un de ces Français de province, d'une toute petite province, qui ont beau rechercher leurs origines, - c'est un goût que l'on prend à mesure que l'on vieillit - venu du centre de la France, et qui n'arrive pas à trouver l'un de ses ancêtres.

(...)

Je dis cela simplement pour vous montrer que l'expérience de ma vie, et la connaissance de l'histoire du pays qui est le nôtre m'ont conduit à recevoir tout ce qui venait de l'autre, dès lors qu'il était reçu dans la volonté de préserver l'essentiel de soi-même, sa propre continuité, sa propre identité, dès lors que l'on n'opposait pas sa propre faiblesse à la force d'expansion des autres, dès lors que l'on avait le sentiment qu'en fin de compte, rien n'avait de sens qui ne serait universel.
Ayant compris cela, je suis sorti de ma province et je souhaite qu'à travers les générations, les Français qui viendront après moi, fiers quand même de ce qu'ont été ceux d'avant, considèrent que ceux d'après, ceux du siècle prochain seront plus forts, seront plus riches de culture, seront des Français plus proches de l'universel et donc de la compréhension des affaires du monde, s'ils savent admettre et comprendre les autres cultures pour en faire aussi leur propre culture. Cela se lie à des choix politiques en certaines circonstances. Je voudrais bien que ces choix politiques n'altèrent pas ce type de débat, et que puissent siéger dans des assemblées comme celle-ci, des femmes et des hommes dont les conceptions de politique intérieure sont diverses, mais qui sauraient s'allier pour refuser tous les appels de l'inconscient ou de je ne sais quel subconscient mal réglé ou mal dirigé. Qui seraient capables de choisir l'unité de la France à construire plutôt que le regret vain, parfois inintelligent, le refus de vivre dans son temps, ou le rêve de je ne sais quel âge d'or qui n'a jamais existé. Savoir que si âge d'or il y a jamais, c'est celui que nous construirons, celui que vous saurez construire, vous qui vous appliquez à la définition de cultures - plurielles -. Celui que nous construirons, avec les autres et par les autres, pour être davantage encore ce que nous sommes.

Merci.


Lire l’intégralité du discours.


 

Chapitres précédents

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Droits culturels : continuons le débat.

Le mérite des contributions évoquées dans cette note est de constituer un appel à la vigilance : la récente inclusion des droits culturels dans l’article 103 de la loi NOTRe, désormais une loi de notre République, ne saurait en aucune manière clore le débat.

Droits culturels : une longue histoire

Il est peut-être utile de situer le débat récent sur l’inscription ou non dans la législation française du concept de droits culturels dans un horizon historique plus large que celui de la signature par la France, dans les années 2000, de conventions internationales portant sur la nécessité de reconnaître, protéger et promouvoir la diversité culturelle.

Des droits culturels (1968) aux droits culturels (2015)

Je voudrais continuer le parcours engagé dans ces notes précédentes, de façon à attirer l’attention sur l’histoire des notions successives ou sédimentées qui ont fondé et légitimé l’intervention publique dans les affaires culturelles.Toutefois, je ne suis en aucune manière historien. Il ne s’agit donc que « d’arrêts sur image »...

Droits culturels : débat public ou théâtre d'ombres ?

"Le défi lancé est tout autre : penser, ensemble, la différence par laquelle toutes les sociétés (en des modalités variables) ont séparé et séparent du quotidien ordinaire, un domaine particulier de l'activité humaine, et les dépendances qui inscrivent (de diverses manières) l'invention esthétique et intellectuelle dans ses conditions de possibilité et d'intelligibilité".

(Roger Chartier, 1991).

Droits culturels et développement durable.

 Le paradigme du développement culturel, orienté par les valeurs de la démocratie culturelle, est entré en relation avec l’attention internationale accrue portée aux conditions d’un développement durable, depuis le rapport Brundtland (1987) jusqu’aux Déclarations de l’Unesco sur la diversité culturelle (2001, 2005), la fondation de l’Union des Cités et Gouvernements Locaux pour le développement culturel (Agenda 21 de la culture) et la Déclaration de Fribourg sur les Droits Culturels (2007).

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