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Après la nuit américaine, l'hiver français (497ème semaine politique)

Publié le 12 novembre 2016 par Juan
Après la nuit américaine, l'hiver français (497ème semaine politique)

Comme tous les quatre ans, les médias européens se préparent à une nuit américaine, ce second mardi de novembre. Mais cette fois-ci, la nuit est sombre. Elle choque. Elle va durer. Elle n'est plus qu'américaine. C'est une nuit noire, une nuit qui s'étend rapidement en Europe. La victoire de Donald Trump est un cauchemar américain, mais aussi la promesse d'autres secousses, d'autres soubresauts, d'autres bêtises.


En un vote, une campagne ratée et une élite discréditée, l'Amérique s'est doté, sans transition aucune, de son premier président blanc, âgé, milliardaire, raciste et misogyne, juste après son premier président noir, jeune et démocrate. Elle est comme cela, l'Amérique, le pays de tous les excès. 
Cette élection, évidemment, aura des conséquences en Europe et en France. On lit déjà l'éditocratie s'agiter, effrayée de n'avoir pas vu ni anticipé. On entend déjà Le Pen et Sarkozy se régaler, Juppé et Hollande se prendre pour des sauveurs. On se pince. Ils n'ont pas compris, ils n'ont rien vu, rien appris, rien écouté.
L'élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis livre peu à peu des enseignements désagréables qu'il faudrait au moins comprendre. 
1. La victoire de Trump est la défaite d'un social-libéralisme mâtiné d'injonctions au "vote utile". On ne sait pas si Bernie Sanders, candidat malheureux à la primaire démocrate, aurait gagné contre Donald Trump. On sait simplement qu'Hillary Clinton a perdu. Parmi les erreurs de la candidate, on peut citer, sans contestation, sa faible popularité initiale, les manipulations et tricheries sur les votes que la hiérarchie du Parti Démocrate a tenté et réussi en sa faveur contre Sanders au risque de dégouter ses supporteurs; la collusion d'Hillary Clinton avec la finance; son programme centriste incapable de saisir la rage ni de convaincre les précaires; sa conversion "gauchiste" sur le tard; et ses déboires d'emails agités par le FBI. Hollywood est triste. Les dîners à 353 000 dollars la place pour soutenir l'outrageante Clinton n'ont pas convaincu la jeunesse, minoritaire, de se porter sur la candidate.
Hillary Clinton, malgré des convictions féministes et sociétalement progressistes, a incarné l'élite, l'argent, l'échec, le mépris.
Et depuis le début.
"François Hollande est le premier Clintonien de France". Jean-Luc Mélenchon, "Le choix de l'insoumission", septembre 2016
Après la nuit américaine, l'hiver français (497ème semaine politique) 2. Les Etats-Unis ont porté à leur présidence un candidat septuagénaire, blanc, raciste et misogyne.  Mais ce n'est pas tout. Le nouveau vice-président Mike Pence est un homophobe revendiqué, créationniste et anti-avortement, un conservateur pur jus, "à l’aile la plus conservatrice du courant évangélique".  La nuit sera longue. Elle a déjà été longue dans le passé. Elle sera longue à nouveau.  Le brillant Aaron Sorkin, scénariste de l'une des plus brillantes séries "A la Maison Blanche" qui décrit en quatre saisons un monde cynique et détestable de la politique américaine à Washington, cet exact monde qui fut dénoncé à longueur de campagne par Donald Trump, a publié une lettre à sa fille. On retiendra ce constat, factuel: 
"Ce n'est pas seulement Donald Trump qui a gagné hier soir – ce sont aussi ses supporters. Le Ku Klux Klan a gagné hier soir. Les nationalistes blancs. Sexistes, racistes, des bouffons."
3. Bizarrement, il y a encore quelques éditocrates et responsables politiques pour tenter de se rassurer sur les conséquences en France: Clinton, candidate démocrate est idéologiquement aussi proche de Juppé que de Hollande. Elle a été défaite par son rival outrancier. Elle est partie trop bas dans les sondages, elle n'était pas populaire. Elle a gauchisé sur le tard son discours après la primaire presque réussie de Bernie Sanders. Elle n'était pas crédible. Aussi peu crédible qu'un Hollande qui découvre sa gauche dans le dernier semestre de son quinquennat. Ou qu'un Juppé qui tente de jouer au rocardien. Il y a une rage qui peut s'incarner politiquement dans la haine ou la solidarité. Jamais dans la collusion avec un système qui détruit. C'est l'enseignement de cette campagne américaine, comme c'était l'enseignement du succès du Brexit.
4. Bizarrement, il y a encore quelques éditocrates pour continuer de ne pas voir, de ne pas comprendre, de caricaturer encore. Ainsi quand Bernie Sanders explique-t-il que "si M. Trump entend vraiment mener des politiques visant à améliorer les vies des familles de travailleurs dans ce pays, moi et d’autres progressistes sommes prêts à travailler avec lui, mais s'il entend mener des politiques racistes, sexistes, xénophobes et contre l'environnement, nous nous opposerons vigoureusement à lui", nos médias officiels ne retiennent que la première partie en une: "Le socialiste Bernie Sanders veut travailler avec Donald Trump" résume LCI. "Sanders veut travailler avec Trump", complète le Point.

Après la nuit américaine, l'hiver français (497ème semaine politique)

Crédit: Lucinda Williams

5.  L'abstention est la première gagnante du scrutin. Clinton a découragé son camp: ça ne vous rappelle rien ? Obama a raconté que "ça allait mieux". Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Comme le Brexit au Royaume Uni, la victoire de Trump s'est joué sur la mobilisation d'un camp et l'abstention du plus grand nombre. 46% des électeurs n'ont simplement pas voté. Le taux de participation a été le plus bas depuis 2000. Trump a recueilli 59 611 678 suffrages. Et Hillary 59 814 018 votes. C'est la seconde surprise du scrutin. Hillary Clinton, apprend-t-on plus tard, a obtenu de justesse davantage de suffrages que Donald Trump. Mais le jeu du "winner-takes-all", Etat par Etat, a accordé 290 grands électeurs au milliardaire aux cheveux orange. 
Les électorats noirs et latinos se sont moins mobilisés que pour l'élection d'Obama.
Après la nuit américaine, l'hiver français (497ème semaine politique) 6. Donald Trump a gagné grâce à Facebook, un incroyable investissement personnel dans les réseaux sociaux. Il a flatté tout ce qu'il y avait de plus bas, de plus faux, de plus outrancier à flatter sur Facebook, un réseau social plus puissant que les débats, explications, articles, et autres couvertures médiatiques officielles. La victoire de Trump est d'abord celle de Facebook. Marc Zukerberg est l'idiot utile de la trumpisation du débat politique. Il s'en défend évidemment. En France, la fachosphère est puissante, rodée et prête au combat électoral.
Après la nuit américaine, l'hiver français (497ème semaine politique) 7. Donald Trump est aussi un acteur surexposé dans les médias. Il a gagné avec avec une chaîne d'information, la plus puissante du pays, et il en a parfaitement joué: ça ne vous rappelle rien ?  Ses propos de campagne ont halluciné les bonnes âmes, et les âmes tout court. Ses petites phrases, lâchées souvent la nuit sur les réseaux sociaux ou dans des meetings survoltés, ont été construites pour attirer choc, détestation et couverture. Mais surtout, Trump a bénéficié de plus de 800 heures de conversation politique sur les chaînes de télévision américaine, contre à peine la moitié à sa rivale démocrate. Un candidat "hors système" sur-couvert par le "système", ça ne vous rappelle rien ?
8. Donald Trump a convaincu les femmes. Oui, vous avez bien lu. Ses propos misogynes ignobles,  ressortis du passé ou pas, ses accusations d'agression sexuelle n'ont pas découragé une majorité des électrices blanches de voter pour lui. Le score médiocre obtenu sur l'électorat féminin au global (42%) n'est dû qu'à la très faible mobilisation des minorités pour le milliardaire: 65% des électeurs hispaniques, lesquels se sont insuffisamment mobilisés par ailleurs, ont préféré Clinton.
9. Trump a gagné le vote des âgés: 53% des plus de 45 ans qui ont voté l'ont choisi.  55% des électeurs de moins de 30 ans ont voté Clinton. L'électorat âgé est toujours le plus effrayé. Le pays se gouverne par les vieux, avec les vieux, pour les vieux. 
10. Trump a "racialisé" le vote. Il a agité les haines et les peurs pour capter la rage. Et le résultat ,e sait pas fait attendre. Quelque 70% des Blancs sont allés voter, ils représentent 65% de la population. 8% des électeurs noirs seulement se sont portés sur Trump. Un tiers des votants hispanophones seulement ont choisi Trump.
11. Les affaires judiciaires qui menacent Trump n'ont rien changé. Elles sont pourtant légions, qui viendront polluer, ou pas, la présidence Trump. On en dénombre près d'une centaine qui sont toujours en cours : des actions de groupe lancées contre l’ancienne Trump University, ou des accusations d'agressions sexuelles,  une gigantesque fraude fiscale ou des fraudes à la Trump Fondation. Car c'est une autre leçon de cette élection: même aux États-Unis, les casseroles judiciaires n'ont pas fait la différence.
12. Wallstreet a applaudi. Les bourses étrangères ont dégringolé. La droite furibarde, protectioniste et identitaire fait plaisir au grand capital. Même dans la Sillicon Valley, on se cherche des raisons d'espérer de cette présidence Trump qui débutera dans une soixantaine de jours. Le dernier président conservateur exotique, Ronald Reagan, a ruiné son pays pour quelques décennies.
Donald Trump est parvenu à incarner par la haine la rage des exclus, des inquiets. Il arrive à la tête d'un Etat fédéral où les contre-pouvoirs sont nombreux, et les élections fréquentes. Et même si le Sénat comme la Chambre des représentants sont (encore) sous contrôle républicain, la situation institutionnelle de Trump est moins puissante que celle du prochain président français.
Ami citoyen,
Réveille-toi.

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