Magazine Europe

Union européenne ou Union occidentale : le débat rebondit sur Criticus

Publié le 21 juin 2008 par Roman Bernard
Mon récent article "L'Union occidentale plutôt que l'Union européenne" a provoqué une féconde discussion avec Xerbias, René Foulon et le Chafouin. Le dernier commentaire, d'Elyas, répond aux questions soulevées par mon article et la discussion entre les blogueurs précités et moi-même. Il me semble donc mériter d'être reproduit ci-dessous sous la forme d'un article, à la fin duquel j'apporterai ma réponse. J'invite les personnes ayant participé à la discussion précédente à réagir à leur tour. Cette nouvelle discussion sera pour moi le moyen idéal d'introduire à la lecture de mon prochain article, qui consistera en une critique de Qu'est-ce que l'Occident ?, de Philippe Nemo, dont j'ai achevé la lecture aujourd'hui.
Cela faisait longtemps que j'attendais un tel débat, car je savais que bien qu'ayant voté oui en 2005, tu étais passé depuis de l'autre côté de la barrière, si l'on peut dire. N'ayant pas eu l'occasion d'en discuter plus tôt, j'étais curieux de connaitre tes arguments d'autant que nous partageons sensiblement les mêmes idées comme tu le sais ! Et pourtant... Je suis en ce qui me concerne un Européen convaincu, et cela passe pour moi par la même vision que celle de Xerbias : une Europe fédérale, faite d'Etats-régions si l'on peut dire.
Une telle Europe, pour moi, consisterait à "monter d'un cran" institutionnel; les régions deviendraient pour ainsi dire des départements européens, les Etats des régions européennes, et il y aurait un Super-Etat européen chapeautant le tout.
Les régions européennes, autrement dit les Etats comme la France, conserveraient certaines prérogatives, en fonction des nécessités de la construction européenne : outre la gestion locale comme pour les régions françaises actuelles, cela pourrait inclure certains points de politique sociale ou autre.
Bref, dans mon imaginaire, il s'agirait en gros des Etats-Unis d'Europe.
Les particularismes ne disparaitraient pas, pas plus que l'identité culturelle propre à chaque nation. Les régions françaises, bien qu'étant françaises, ont gardé un certain folklore, une culture qui leur est propre.
Et encore cela n'est-il pas trop marqué, ce dont je me réjouis pour la cohésion de la France, du fait du jacobinisme et du travail d'unification en une seule et même nation effectué par nos ancêtres.
Concernant l'idée d'une alliance occidentale : je suis tout à fait d'accord avec toi que nous partageons un grand nombre de valeurs et de points communs avec des pays dispersés un peu partout dans le monde, à commencer par les Etats-Unis, pour qui j'ai non seulement du respect et de la sympathie, mais aussi pour certains points de l'admiration.
Mais ne nous y trompons pas; si d'un point de vue civilisationnel je t'accorde que nous partageons les mêmes intérêts, sur le plan politique ce n'est pas du tout le cas. Les Etats-Unis le savent parfaitement bien, eux qui sont opposés, en tout cas en ce qui concerne la droite néo-conservatrice, à l'émergence d'une entité politique européenne intégrée. Opposition qui à mon sens montre bien que si il y a une éventuelle américanisation des Etats européens, ce n'est en tout cas pas par le biais de l'Union Européenne, bien au contraire.
Qu'il y ait une certaine américanisation des pays européens, je te l'accorde, mais les pays européens qui y succombent le plus sont d'ailleurs les plus eurosceptiques, ou en tout cas opposés à une Europe politique : Royaume-Uni, Irlande, Danemark, Rep. Tcheque,... Et je ne pense pas que cela provienne de la construction européenne.
Ces pays pesant de tout leur poids pour que l'Europe ne se mêle pas d'autre chose que d'économie pure et dure, la potentielle américanisation ne se fait donc pas au niveau de la culture, mais sur des points somme toute peut-être plutôt positifs (libre concurrence,...).
La seule menace des quelques chevaux de Troie au sein de l'UE en est manifestement une pour moi mais pas pour toi : c'est qu'ils empêchent la construction européenne d'aller plus avant. Ce qui me fait me demander si la fameuse solution d'une Europe à deux vitesses ne serait peut-être pas préférable, laissant de côté les pays qui ne veulent pas d'une Europe fédérale...
Au fait, je ne comprends pas trop en quoi ton idée d'une union occidentale diffère, disons, de l'OTAN ? A moins qu'il s'agisse d'une OTAN à visée plus politique, mais alors c'est tout bonnement non seulement irréaliste mais en plus non souhaitable.
Maintenant, un autre problème que tu soulèves, et qui diffère quelque peu de "l'américanisation" à proprement parler : l'usage de la langue anglaise comme lingua franca de l'Europe. C'est un problème réel, je te l'accorde, d'autant qu'elle peut effectivement jouer les chevaux de Troie au niveau culturel.
Mais plusieurs constatations :
- l'usage de l'anglais n'est pas propre à l'Union européenne; il est encore plus présent dans le monde des affaires et dans le monde scientifique, symbole d'une domination des Etats-Unis dans ces secteurs. Pour y remédier, la solution n'est pas (que) culturelle, c'est avant tout de reprendre la mainmise sur ces domaines, ce qui était encore le cas au XVIIIème siècle et un peu moins au XIXème. Et cela passe par l'Union Européenne, surtout en considérant que le nombre d'acteurs a augmenté depuis (Inde, Chine, Brésil...)
- il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain; ce n'est pas parce que l'on parle anglais entre fonctionnaires bruxellois qu'il faut renoncer à l'Europe politique. Déjà parce que les populations, elles, continuent de parler leur langue, et ensuite parce qu'il nous appartient d'imposer le respect de nos langues dans le processus. Mais il est clair qu'il ne faut pas se leurrer, un certain nombre de langues vont "disparaitre"; je ne pense pas que cela soit le cas du français.
En tout cas il faut être aussi efficace que les Anglo-Saxons dans la promotion de notre langue; la défense et la promotion de la francophonie doivent être beaucoup plus vigoureuses et se saisir de la construction européenne comme une opportunité historique, notamment vis-à-vis des pays d'Europe de l'Est dont il faut freiner et inverser la "défrancisation".
- il faut également être pragmatique : tout échange international implique de communiquer; on peut le déplorer, mais l'anglais est à ce jour l'outil le plus efficace pour ce faire. Europe ou pas Europe, la mondialisation nous impose d'utiliser l'anglais. L'absence d'une Union politique ne nous en protégera pas, bien au contraire.
Quoiqu'il en soit, construire l'Europe ne signifie pas tourner le dos à nos alliés ou dédaigner des alliances; je me félicite d'ailleurs que la France réintègre le commandement de l'OTAN.
Quant à l'Union méditerranéenne, elle doit pouvoir permettre de remplir le rôle que les Etats-Unis et le Royaume-Uni veulent voir l'UE jouer : construire un espace de paix et de stabilité dans des régions fragiles, en accueillant des partenaires précieux comme le Maroc, la Turquie,etc. Partenaires qui, soit dit en passant, signeraient la mort de l'UE politique si jamais ils venaient à être acceptés comme membres.

Voici ma réponse :

Mon cher Elyas, même si tu n'as comme je le sais aucun lien de parenté avec Norbert, je te remercie pour ton brillant commentaire qui, sur certains points, m'accule "dans les cordes", pour utiliser une formule propre au monde de la boxe.
Comme tu as présenté de manière énumérative tes arguments, il me sera aisé de leur répliquer, en m'efforçant d'être tout à fait cohérent, clair et précis. Je ne répondrai que sur les points de désaccord, moins nombreux que les concordances.
Tu as raison de dire, concernant l'"américanisation" de l'Europe dont je te remercie de reconnaître la réalité, que les pays les plus américanisés sont justement les plus eurosceptiques. Que leur euroscepticisme fait justement les affaires des néo-conservateurs américains, qui rêvent d'un Vieux Continent divisé et donc soumis à l'hégémonie des Etats-Unis. Si je prône une Union occidentale, c'est que j'estime que l'Union européenne et l'unilatéralisme américain sont en train de provoquer un divorce irréversible entre les deux pôles de l'Occident. Et qu'il est urgent de garder les deux rives de l'Atlantique liées, au vu de leur héritage commun qui est bien plus profond que les différences nationales entre les pays occidentaux, indépendamment, du reste, de leur appartenance à l'Europe ou à l'Amérique du Nord. Là où il y a donc cohérence dans mon propos, c'est que j'estime que, pour garder l'unité du monde occidental qui me semble être la priorité majeure, il importe qu'une structure paritaire associant les Etats-Unis d'Amérique et la Confédération des Nations européennes que j'appelle de mes voeux voie le jour, en prenant en compte les domaines clés de la politique occidentale qu'il faut bâtir : c'est déjà le cas pour la défense avec l'OTAN, mais il y aurait aussi l'immigration, l'énergie, la justice... pourquoi ne pas pareillement imaginer une co-diplomatie occidentale ?
Le pôle européen de cette Union occidentale serait donc confédéral, et non fédéral. Puisque, comme Xerbias, tu invoques, mais sans le nommer, le principe de subsidiarité, je considère que celui-ci nous impose, pour des domaines importants quoique non régaliens comme l'éducation et la recherche, de laisser les nations gérer elles-mêmes ces questions, ce qui ne serait guère possible dans une structure fédérale européenne. Celle-ci risquerait d'imposer l'anglais comme langue d'éducation et de recherche prioritaire en Europe, et c'en serait fini, je le crains, de la diversité linguistique et culturelle, la première richesse du Vieux Continent.
Notre différence de perception à cet égard tient peut-être, je le répète, à mes deux séjours québéco-ontariens qui m'ont fait prendre conscience de la nécessité qu'il y a, sinon à cloisonner, du moins à préserver l'intégrité de chaque culture, sans quoi la plus forte finit toujours par se substituer graduellement à la plus faible.
D'où la préservation des nations dans l'édifice que j'imagine. Les nations, mais non les régions, car si la diversité linguistique et culturelle est la richesse de l'Europe, une trop grande diversité favoriserait paradoxalement l'usage d'une langue vernaculaire, comme c'est le cas en Belgique ou en Suisse où l'anglais est de plus en plus utilisé entre communautés linguistiques. Fernand Braudel, dans L'Identité de la France, a bien prouvé que l'imposition du français, de l'édit de Villers-Cotterêts en 1539 jusqu'à la Troisième République, avait été facilitée par l'extrême diversité des patois et dialectes locaux et régionaux. Leur relative disparition n'ayant pas, comme tu le notes bien, empêché la persistance des identités régionales comme j'ai pu le constater en Alsace, il faut faire un choix entre la défense des langues nationales, dont tu rappelles que certaines, même magnifiques comme l'italien, sont menacées, et les langues régionales, qui n'ont pas apporté grand-chose au patrimoine culturel européen. Pour moi, le choix est déjà tout fait.
Enfin, sur l'usage de l'anglais en général, je ne le rejette pas, au contraire, pour autant qu'il ne vienne pas s'immiscer au sein même des nations européennes. Cela dépendra surtout de la volonté des Européens de défendre leurs langues nationales respectives. A cet égard, il est confondant de voir que les seuls peuples vraiment impliqués dans la promotion de la Francophonie soient les Québécois et les Africains.
Au fond, le problème, bien illustré par l'ingratitude irlandaise, vient peut-être de l'incapacité des Occidentaux, enkystés dans l'égotisme et le consumérisme, à voir plus loin que leur petite personne. A cet égard, que l'on parle de Nation, de Francophonie, d'Europe ou d'Occident, il faudra de toute façon qu'évoluent les mentalités pour que de nouveaux projets communs soient possibles entre des peuples partageant des valeurs communes. Un défi a priori impossible, mais dont on aimerait au moins qu'on puisse en discuter ailleurs que sur les seuls blogs...

Roman Bernard

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Roman Bernard 428 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossiers Paperblog